Sur les restrictions imposées pour la venue de l'OTAN à Strasbourg

Publié le 04 mars 2009 par Arnaud Lehmann

DNA d'aujourd"hui :

Atteintes aux libertés ?

Patrick Wachsmann, professeur de droit public à l'Université de Strasbourg, auteur chez Dalloz d'un manuel sur les libertés publiques, livre son point de vue sur la légalité des restrictions imposées aux Strasbourgeois et aux manifestants à l'occasion du sommet des 3 et 4 avril.

Les mesures imposées aux Strasbourgeois résidant ou travaillant dans les zones rouges ne vont-elles pas un peu trop loin en terme de respect des libertés individuelles ?
- Leur légalité ne me semble pas évidente au regard des textes qui garantissent les libertés individuelles, soit la Convention européenne des droits de l'homme, la Constitution française et la loi. La liberté d'aller et venir est notamment garantie par une règle de valeur constitutionnelle, posée par une jurisprudence de 1980. Si on ajoute le fait qu'apparemment, les personnes sans badge ne seraient pas admises à rentrer chez elles, c'est clairement illégal. La liberté de domicile s'impose à l'autorité administrative sous une seule réserve qui tient aux nécessités du maintien de l'ordre public. On peut concevoir qu'à proximité d'une zone où règne un danger pour le public, on se fasse contrôler, mais de là à y restreindre l'accès et imposer qui peut y entrer ou non, c'est abusif. D'autant plus que la situation est créée par l'autorité puisque c'est elle-même qui a décidé de tenir le sommet à Strasbourg.
Un recours en justice peut-il être envisagé ?
- N'importe quel Strasbourgeois intéressé, c'est-à-dire touché par les mesures, est fondé à attaquer la décision devant le juge administratif. Mais la solution pour le juge n'a rien d'évident. De même, les mesures préventives comme par exemple l'obligation du badge, qui, j'imagine, ont été prises par le préfet ainsi que les mesures individuelles d'application qui seront prises lors du sommet, par exemple l'accès restreint aux commerces et aux entreprises, sont susceptibles d'être attaquées. Mais je doute que quelqu'un aille jusque-là. On vit du reste déjà en France avec pas mal de mesures restrictives des libertés, telles les différents fichiers, la vidéosurveillance, etc.
Y a-t-il des précédents en la matière ?
- Il faut remonter à l'arrêt « Dames Doll et Laurent ». C'est un grand arrêt de la jurisprudence administrative pris par le Conseil d'Etat en 1919. Il a fixé des limites à l'action des pouvoirs publics en matière de restriction des libertés en définissant ce qu'on appelle depuis la « théorie des circonstances exceptionnelles ». Dans le cas du sommet de l'OTAN à Strasbourg, on peut se demander si elle s'applique, sachant que la situation est créée par l'autorité administrative. Tout se passe ici comme si un monarque, n'écoutant que son bon vouloir, avait décidé d'imposer un régime d'exception temporaire à Strasbourg.
Le préfet est-il en droit de refuser aux organisateurs du contre-sommet de manifester au centre-ville ?
- La Constitution et l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme garantissent la liberté de manifester pacifiquement. Ce qui est le cas puisque le préfet n'a pas interdit la manifestation. Toutefois, si on craint des débordements, on peut encadrer cette liberté en vertu d'un décret-loi de 1935. Or l'expérience montre qu'à l'occasion de ce genre de sommet, des risques réels existent. Le préfet est donc fondé à interdire le centre-ville et à demander aux organisateurs que la manifestation passe là où elle présente le moins de risques de troubler l'ordre public.
Comme Strasbourgeois, que vous inspire ce déploiement de contraintes ?
- Il apparaît disproportionné par rapport à un profit touristique qui reste, selon moi, imaginaire. La liberté des gens semble être le cadet des soucis des autorités. On assiste à une sorte d'exacerbation du tout-sécuritaire qui me semble dangereuse pour la démocratie. Je suis choqué que l'on ait décidé d'organiser ce sommet à Strasbourg et qu'on découvre après coup les problèmes que cela soulève. Car la ville n'est pas équipée pour assurer la sécurité de ce genre de rencontre. Le camp militaire de Mutzig aurait été plus indiqué. On fait souvent le parallèle avec la visite du pape en 1988. Bien que sa vie fût alors menacée, je n'ai pas souvenir qu'il y ait eu des mesures pareilles imposées aux Strasbourgeois.

Xavier Thiery