Education des enfants

Publié le 06 mars 2009 par Argoul

Le numéro spécial des ‘Dossiers de La Recherche’ de février 2009 est consacré à l’intelligence. Ou plutôt à « comment notre cerveau développe ses étonnantes capacités ». Le concept d’intelligence est en effet ambigu. Ce qui est mesuré par le QI (quotient intellectuel) n’est qu’une combinaison de capacités de langage et de logique requises par le système scolaire. Le QI, en termes quantitatifs, a peu à voir avec cette capacité globale d’adaptation que la lignée humaine a développée plus que les autres animaux. C’est moins le score final qui importe pour apprendre quelque chose sur « l’intelligence » que les manières d’aborder les questions et les erreurs commises. Le premier article l’affirme tranquillement. Howard Gardner, professeur à Harvard, distingue sept ou huit formes d’intelligence : linguistique, logico-mathématique, musicale, spatiale, corporelle, interpersonnelle, intrapersonnelle (la capacité de se comprendre soi-même), et peut-être l’intelligence de l’environnement naturel.

Cette analyse en profondeur, fondée sur l’imagerie cérébrale, montre combien l’école traditionnelle est sommaire. Les apprentissages scolaires sont rigides, mal adaptés au développement d’un enfant et d’un adolescent. Leur cerveau ne cesse pourtant de se transformer, permettant une maturation des connexions : pourquoi ne pas en tenir compte ? L’instruction vise manifestement à formater selon une certaine idée technocratique de la société, pas à épanouir les individus. Les seules compétences linguistique et logico-mathématique sont sollicitées, de façon linéaire et depuis tout-petit.

La logico-mathématique l’est en France bien plus qu’ailleurs. Notamment depuis que la filière L a perdu l’aura que conservait encore, jusque vers le début des années 1980, la filière A philosophique et littéraire. Pourquoi ne pas en être conscient ? L’ENA a supplanté Normale Sup depuis trois décennies dans le recrutement des hauts fonctionnaires et des élites industrielles. Le système scolaire français sélectionne des singes savants, habiles en modèles mathématisés, pas des adultes critiques, aptes à juger du bien-fondé de ce qu’ils font. On le constate en observant ses produits les plus finis, notamment ces technocrates énarques imbus d’eux-mêmes et dominateurs qu’a étudié Ghislaine Ottenheimer dans ‘Les Intouchables’. Citons Jean-Yves Haberer au Crédit Lyonnais, Jean-Marie ‘Moi-Même’ Messier chez Vivendi, Jean-louis Gergorin chez EADS, Philippe Dupont chez Natixis, entre autres… Mais pas seulement : les traders ‘fous’, les ingénieurs-modèles attirés à Londres, les abstracteurs de quinte-essence qui préparent nombre de réformes politiques, sont de cette qualité là.

Les travaux fondamentaux en psychologie et en neurosciences permettent de proposer des méthodes pédagogiques efficaces. Pourquoi en France a-t-on la même règle pour tout le monde (surdoués comme handicapés sociaux), sans expérimenter comme on le fait ailleurs ? « Il n’y a pas de psychopédagogie expérimentale organisée en France », affirme sans ambiguïté Olivier Houdé, ex-instit devenu professeur de psychologie à Paris-Descartes. Il est l’auteur du Que sais-je ? sur ‘La psychologie de l’enfant’ (2004).

Or les enfants ne sont pas des adultes en miniature, c’est ce que démontre Adele Diamond, professeur à Vancouver. Les fonctions exécutives du cerveau, l’inhibition des routines, la mémoire de travail et la capacité à changer ses façons d’agir sont indispensables pour réussir les apprentissages. Les expérimentations in situ de programmes canadiens visant à renforcer les fonctions exécutives (‘Tools of the mind’) montrent sans ambiguïté que les enfants réussissent mieux s’ils ont appris à apprendre. Bien mieux que s’ils sont seulement instruits en lecture et écriture. Surtout pour les enfants issus de milieux peu favorisés. La pratique d’un instrument de musique, le dessin, le sport ou la danse, améliorent nettement la réussite scolaire. Ce sont toutes les fonctions exécutives qui sont en effet sollicitées : concentration, discipline, nécessité de retenir des enchaînements complexes dans sa mémoire de travail. Les arts martiaux, de 5 à 11 ans en particulier, inculquent le sentiment d’appartenance à un groupe, le respect de règles et d’un cérémonial, ce qui permet fierté et confiance en soi – en bref toute une autorégulation cognitive et affective, indispensable à la bonne acquisition des connaissances scolaires.

L’intelligence au pluriel, les étapes de la maturation du cerveau, l’enfance des souvenirs, l’apprentissage des mots, le sens des nombres, comment l’empathie vient aux enfants, l’intelligence sociale des adolescents, apprendre à lire et à calculer, l’analogie, apprendre à apprendre – sont autant d’articles stimulants et fortement illustrés de ce Dossier. Ils en apprennent plus sur l’éducation que les débats corporatistes qui envahissent les media.

Les Dossiers de La Recherche n°34, trimestriel, février 2009, 6,80€ en kiosque, 98 pages.
Ghislaine Ottenheimer,
Les Intouchables - grandeur et décadence d’une caste : l’Inspection des Finances, Albin Michel 2004, 20.43€
Olivier Houdé,
La psychologie de l’enfant, PUF Que sais-je ? 2004