Sans sommation Hervé Morin a viré Aymeric Chauprade pour dissidence

Publié le 02 mars 2009 par Francisrichard @francisrichard

Hervé Morin est ministre de la Défense dans le gouvernement de François Fillon.
Il y a à peine un mois, le 5 février 2009, après avoir lu un article diffamatoire, publié la veille dans Le Point, écrit par un ancien journaliste de Libé,  Jean Guisnel, il a congédié Aymeric Chauprade, professeur, depuis 1999, de géopolitique, et directeur, depuis 2002, du cours éponyme, au Collège interarmées de défense, CID, sans même l'avoir entendu.
Ce n'est que le 25 février 2009 qu'Hervé Morin a écrit à Aymeric Chauprade une lettre mal-polie dans laquelle il l'invitait à faire des observations après qu'il a été " mis fin sans délai à ses vacations (sic)" ( ici ).
Avez-vous entendu parler de cette affaire ? Vraisemblablement pas. Parce que Chauprade peut être considéré comme un dissident, infréquentable par conséquent : il se pose des questions et il paraît que ce n'est pas bien. Il n'a donc pas droit à la parole. L'annulation d'invitations à des émissions de radio et de télévision lui  a été notifiée. Il est devenu paria, le lot de tous les dissidents. 
Mais avant d'aborder pourquoi Chauprade a été viré si brutalement, il convient de répondre à quelques questions sur lui.


Qui est Aymeric Chauprade ? C'est un universitaire de tout juste 40 ans.
Quelle est sa formation ? Il est diplômé de Sciences-Po Paris (1993), titulaire d'un DEA de droit international (1996) à l'Université Paris Descartes, où il a été l'étudiant entre autres d'Edmond Jouve ("Il m'est constamment apparu comme particulièrement courtois, travailleur, brillant et ouvert à la discussion"
ici ).
Que fait-il ? Il enseigne et il écrit.
Où enseigne-t-il encore ? Il enseigne l'Histoire des idées politiques à l'Université de Neuchâtel en Suisse ( 
ici ) et la géopolitique au Collège royal de l'enseignement militaire supérieur de Kénitra au Maroc.

Qu'écrit-il ? Des articles et des livres.
Dans quels média publie-t-il ses articles ? Il est directeur de La Revue française de géopolitique ( 
ici ), publiée par les éditions Ellipses ( ici ), et il collabore à la Nouvelle Revue d'Histoire  ( ici ) dirigée par Dominique Venner.
Quels livres a-t-il écrit ? Une dizaine d'ouvrages dont Géopolitique - Constantes et changements dans l'histoire, qui en est, en 2007, à sa 3ème édition et qui a reçu un accueil très favorable de la part de la critique. Extraits :


" un ouvrage magistral " Marcel Duval, Défense Nationale
" dans la lignée des Braudel et Bainville " Jérôme Besnard, Le Figaro

" magistral " Thierry Garcin, France Culture

" une grande indépendance d'esprit " Jean Sévillia, Le Figaro Magazine 


Il vient de publier un nouvel ouvrage intitulé Chronique du choc des civilisations.

C'est justement cette publication qui va lui coûter son poste au Collège interarmées de défense. Dans l'article évoqué ci-dessus ( ici ), intitulé affectueusement "Chauprade, l'homme qui forme les officiers et déforme l'histoire", et mis en ligne le 4 février, Jean Guisnel accuse Aymeric Chauprade de présenter avec complaisance, sur l'attentat du 11 septembre 2001, des thèses de complot alternatives à la thèse officielle d'un complot d'Al-Qaïda. Or les pages incriminées ( extraits ici ) ne sont pas aussi complaisantes que le laissent entendre Jean Guisnel :
" Pourquoi les attaques du 11 septembre 2001 ont-elles constitué une accélération foudroyante du choc des civilisations ? Parce que le monde s’est divisé entre ceux qui pensent qu’un formidable attentat islamiste a déclenché une guerre contre l’Occident libéral et démocratique, et ceux qui pensent qu’un machiavélique complot américano-israélien a été le point de départ d’une guerre américaine contre le reste du monde. Une hypothèse qui ne manque pas d’arguments, à défaut de forcément convaincre ". 
Sur son blog de Libé, le 7 février, Jean-Dominique Merchet reproduit ( 
ici ) la réaction d'Aymeric Chauprade à l'annonce qu'il est viré :
" On a le droit de ne pas savoir (qui est à l'origine des attentats). Je ne suis pas convaincu par la version officielle. J'ai en effet présenté de manière crédible les thèses alternatives. Mais je donne la version officielle - que tout le monde d'ailleurs connaît - dans une chronologie. J'ai des doutes importants , mais cela ne veut pas dire que je crois que les responsables sont des éléments des services américains ou israéliens. Je ne tire pas de conclusions, je m'interroge ".

Le lendemain Jean Guisnel peut savourer le résultat de sa sale besogne de délation ( ici ). Il a eu la peau d'Aymeric Chauprade et, dans le même temps, la liberté d'opinion a une fois de plus reculé, du fait du prince.
Tout ce qu'Henri Morin a trouvé à dire pour justifier sa mauvaise action, c'est qu'il
"a découvert un texte au travers duquel passent des relents inacceptables. Sur onze pages, on nous parle d'un complot israélo-américain imaginaire visant à la conquête du monde".
Tout laisse croire que le ministre n'a même pas pris la peine de lire les pages en question : cette accusation de textes inacceptables ne pouvait être que vraie, puisque c'était écrit dans le journal ... Le Point.

Quoi qu'il en soit, Aymeric Chauprade a été viré parce qu'il a exprimé, avec nuances pourtant, une opinion dissidente. Le motif de ce limogeage est en tout cas si ténu qu'il ne peut s'agir que d'un prétexte. D'autant que, selon le directeur du Collège interarmées de défense, le général Vincent Desportes, cité par Jean-Dominique Merchet ( ici ) :
" (Chauprade) n'a jamais fait de prosélytisme dans ses cours, n'a jamais exprimé sa vision du monde".
Le général ajoute - il a bien appris sa leçon : 
" mais en faisant état de ses fonctions au CID dans ses livres, il engage l'institution militaire avec des thèses qui ne sont pas les nôtres ".



Entendez-vous le silence assourdissant qui règne autour de cette affaire ? Où se trouvent les grandes consciences pétionnaires, si promptes à défendre les libertés menacées ? Font-elles encore seulement leur la célèbre phrase attribuée à Voltaire : 

" Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire." ? 

Il semble bien que non.

J'ai attendu près d'un mois, mais, comme soeur Anne, je n'ai rien vu venir. Alors je me suis décidé à écrire pour relever cette nouvelle atteinte flagrante aux libertés, dont la république de Sarkozy est coutumière, avec d'autant plus de liberté dans l'expression que, pour le coup, ce sont les thèses de complots alternatifs exposées par Chauprade qui me laissent sceptique.

A la décharge des grandes consciences et des bien-pensants, il faut dire qu'Aymeric Chauprade a tout faux, puisqu'il est catholique pratiquant, qu'il a soutenu la liste de Philippe de Villiers aux élections européennes de 2004 (il n'a pas été son directeur de campagne contrairement à ce qu'affirme ce faux-cul de Guisnel), qu'il n'est pas adepte de la pensée unique, bref qu'il n'est pas correct du tout : bien fait pour sa gueule !

Francis Richard