Sylvie Fabre G./Dans l’attente d’un prolongement qui se meurt

Par Angèle Paoli

Sylvie Fabre G., Corps subtil,
L’Escampette Editions, Collection Poèmes, 2009.
Préface de Claude Louis-Combet.

DANS L’ATTENTE D’UN PROLONGEMENT QUI SE MEURT
   « Tu trouves le corps sous tes mots, sa nudité est indéchiffrable ». Ainsi s’ouvre Corps subtil de Sylvie Fabre G. Sur une impasse, une impossibilité, une énigme. De l’écart s’origine le poème. Écart entre le désir horizontal du temps et le désir vertical du corps, entre le visible qui cerne le corps dans sa finitude et l’invisible auquel il aspire. Écart transcendé par l’écriture.
   Introduit par « Pays premier » de Claude Louis-Combet, Corps subtil est un triptyque. Deux textes brefs en italiques encadrent le corps central de cette « œuvre d’écriture ». Chant d’ouverture à l’Amour, « Ton corps bleu », qui ancre ses forces créatrices entre Azur et attente, décline ses cinq strophes du côté de l’indicible. « Né de la fulgurance d’être », il ne reste du « grand Corps » que son ombre. De la quête de sens entrevue tout au long du parcours poétique, il reste l’appel infini et lointain des amants. Et cette évidence qui clôt l’ouvrage : « Le vide nous brûle ».
   Corps de l’Amour-corps du langage, sous le narré subtil de la rencontre des corps ― Une fois a eu lieu, une fois dure toujours ―, Sylvie Fabre G. interroge la peau de l’un les mots de l’autre, formes et enlacements, naissance, acmé et disparition. De la disparition de l’Amour, de l’évolution inéluctable vers le vide qui brûle, naît le poème, énigme des mots, chair issue de l’énigme même de l’amour.
   Ainsi, tout au long du récit de Corps subtil, le corps de l’amour se cherche-t-il sous le corps du langage. « Le poème et l’amour sont ensemble vigie. » Tissés de la matière amoureuse du poète, l’un et l’autre corps tressent leur trame pour forger l’entité nouvelle d’un « corps subtil ». Un corps neuf qui transcende les deux autres. Se compose en amont une mosaïque complexe de l’Amour qui cherche à dire sa fulgurance dans la violence de la révélation jusqu’à la fusion indistincte du « je » et du « tu ». « Là où je nais, là où tu gis, chacun se tient à la croisée ». Froissements d’ailes, coulée des regards ― iris de l’œil et du ciel un instant confondus ―, le transport amoureux jamais ne se dit autrement que par effleurements de mots et de corps. Dans l’attente d’un prolongement qui se meurt dans la blessure ouverte du ciel.
   À l’origine de la quête amoureuse, la soif insatiable de l’unité première. Unité des origines, miraculeusement retrouvée le temps d’un rapt et d’une extase. À jamais absorbée dans la perte du « grand Corps », la quête de l’Amour s’inscrit dans le « pays premier » de la séparation. D’où surgissent toutes les failles et tous les paradoxes. « Comment faire pour que nous ayons vécu cet amour ? » s’interroge Sylvie Fabre G., reprenant dans l’un des trois exergues de Corps subtil, le mystérieux questionnement de Marguerite Duras. Amour et langage mêlent leur quête, unité patiemment abordée dans le mystère des mots, dans la voix qui bat son silence. Encore trop de mots pour dire l’indicible. « Toujours trop de bogue, la langue, chair et esprit, demande l’écale. » L’avancée en aveugle dans le désert.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli




SYLVIE FABRE G.

Voir aussi :
- (sur Terres de femmes) Sylvie Fabre G., Corps subtil (extrait) ;
- (sur Terres de femmes) Sylvie Fabre G. par Sylvie Fabre G. (auto-anthologie poétique comprenant plusieurs extraits de L'Approche infinie) ;
- (sur Terres de femmes) Sylvie Fabre G./L’Approche infinie (article) ;
- (sur Terres de femmes) Sylvie Fabre G./Celle qui n’était pas à sa fenêtre (extrait issu du recueil Le Génie des rencontres) ;
- (sur Terres de femmes) Sylvie Fabre G./Maison en quête d’orient (poème issu du recueil Les Yeux levés) ;
- (sur Terres de femmes) Sylvie Fabre G./Quelque chose, quelqu’un ;
- (sur Terres de femmes) Sylvie Fabre G./Trouver le mot (poème issu du recueil L'Autre Lumière) ;
- (sur Terres de femmes) le Portrait de Sylvie Fabre G. dans la Galerie Visages de femmes
(+ poème issu du recueil L'Approche infinie) ;
- (sur Terres de femmes) Jean-Pierre Chambon, Le Petit Livre amer par Sylvie Fabre G. ;
- (sur le site Poezibao) une fiche bio-bibliographique de Sylvie Fabre G. ;
- (dans la Poéthèque du Printemps des poètes) une autre fiche bio-bibliographique de Sylvie Fabre G. ;
- (dans les Chroniques de femmes de Terres de femmes) L'Amourier/Le Jardin de l’éditeur par Sylvie Fabre G. ;
- (sur Terres de femmes) Anne Slacik par Sylvie Fabre G. : Anne, la sourcière.