Et qu'on m'emporte - Carole Zalberg

Publié le 11 mars 2009 par Clarabel

Emma, coincée sur son lit de malade, sent que la vie est en train de la quitter. A bout de souffle, et de forces, elle s'adresse à sa fille disparue et lui raconte son parcours, ses choix, sa vie de femme, d'épouse et de mère. Mariée très jeune, mère dans la foulée, Emma a longtemps eu le sentiment de traîner un boulet, alors qu'elle était ivre d'une chose : de liberté. Ivre d'amour, également. D'aventures en aventures, Emma va rencontrer un homme qui lui donnera le coup de pouce pour tout quitter et tout recommencer. Sans un mot, sans une explication, elle va prendre la fuite. Son amour en bandoulière. Abandonner ses enfants. Ni remords, ni regrets.
Emma incarne la femme féminine, sensuelle, animale par excellence. C'est un portrait qui fait sortir les griffes, qui inspire l'admiration ou l'incompréhension, car en tant que mère, elle est à blâmer. Egoïste et amoureuse, tout le temps dans la démesure, incapable de sacrifice, à fond dans ses goûts et ses choix, n'hésitant jamais une seconde, Emma a toujours foncé. Traumatisée par une mère qui n'était pas exemplaire, et l'image du couple usé que renvoyaient ses parents, Emma s'est jurée d'en finir, d'en sortir, de ne jamais abdiquer. Ne jamais plier.
Sa liberté, précieuse et choyée, lui sera longuement reprochée par sa propre fille, la disparue. Il aura fallu que celle-ci soit également à l'article de la mort pour qu'Emma retrouve son amour in extremis, pour que le miracle se produise. Non, elle n'a jamais été maternelle, ce n'est pas un secret. Mais qui sommes-nous pour juger ? Aujourd'hui Emma est en train de mourir, elle ne s'apitoie pas sur son sort, elle lance un regard par-dessus son épaule et elle ne regrette rien. Elle reste toutefois fixée sur le petit caillou rose, symbole de sa relation conflictuelle avec sa fille. Mais impossible de le retrouver. Comme si, de toute façon, il était impossible de renouer avec le passé, de réparer les erreurs. Elles ont été bues et jugées, en somme.
C'est en cela un roman profond, sensible, parfois délicat, qui ne verse jamais dans le pathos. Carole Zalberg reprend le miroir d'une histoire déjà racontée dans La mère horizontale, que je n'ai cependant pas lue. Il doit être très intéressant d'avoir ce jeu des miroirs, de prendre un bout d'histoires et de le revoir sous un autre jour. Le récit d'Emma a su me toucher en même temps qu'il est venu me troubler, la femme en moi est bouleversée par ce portrait d'une féminité pleinement endossée, d'un choix de vie qui ne se discute pas, « le sacrifice, le renoncement au nom de l'amour, au nom de la responsabilité à l'égard de ses enfants, merci bien ». Le titre dit déjà beaucoup, « Et qu'on m'emporte », envie d'aller voir ailleurs, de rêver grand. Pourquoi pas ? N'être femme, après tout.

Albin Michel, 2009 - 130 pages - 12€

Léthée en parle...

J'avais lu :  Chez eux, un autre roman de Carole Zalberg (Phébus, 2004)

http://www.carolezalberg.com/