Andréï Makine : Le testament français

Par Gangoueus @lareus

Aliocha. Son nom est prononcé une seule fois par Charlotte Lemonnier sa grand-mère française, Charlotta Norbertovna pour les russes. Aliocha est le principal personnage narrateur de ce roman de l’auteur russe d’expression française Andrei Makine.
Il est depuis sa tendre enfance fasciné par cette grand-mère auprès de laquelle sa sœur et lui ont régulièrement passé des étés dans sa petite demeure au cœur de la Sibérie. Cette grand-mère est en effet française, et consacre une grande partie de ses échanges à partager autour de ses souvenirs d’une France qu’elle a quittée pour passer le restant de ses jours dans cette grande Russie si révolutionnaire, si lointaine, si sombre. Par la langue française, elle entretient avec ses petits-enfants et en particulier avec Aliocha une certaine idée de sa terre d’origine et au fil des ans, et ce dernier se forge une vision singulière du monde au travers de ce rapport à la fois intime et distant à une langue étrangère sous la Russie soviétique.
Ce roman offre à la fois le portrait de la filiation française d’Aliocha, l’itinéraire sur plusieurs décennies d’une femme française dans la Russie des steppes et des goulags et la construction de l’identité d’Aliocha. Ce texte est avant tout intimiste. Il offre par séquence, un regard bref sur des épisodes historiques importants de l’U.R.S.S comme la guerre civile a suivi la révolution de 1917, les goulags, la bataille de Stalingrad. Mais ces petits écarts sont des éléments présents pour mieux ramener le lecteur à ce rapport, sous certains aspects, obsessionnel qu’entretient le narrateur avec sa grand mère.
La France est ici sublimée, voire fantasmée. Au fur et à mesure que le narrateur grandit, la greffe française prend plus ou moins prise sur sa russité, le français est la langue " grand-maternelle ", la France au travers des contes et souvenirs de Charlotte, puis au travers des lectures d’Aliocha incarne une forme de romantisme qui s’oppose à la brutalité du système russe.
Concernant la lecture de texte, j’ai eu l’impression qu’elle était laborieuse sans pour autant que je puisse m’en détacher. L’écriture de l ‘auteur russe est belle, maîtrisée. Personnellement, j’ai souvent un peu de mal avec les romans trop intimistes, mais le Testament français fait exception. L’aspect obsessionnel de la relation de Charlotte et d’Aliocha peut paraître sous certains aspects agaçant, mais le texte nous encourage à poursuivre et le final en déroutera plus d’un. En fermant la dernière page, j’ai cru entendre le rire guttural d’Andrei Makine dont le passage à la Grande librairie m’a donné le désir de découvrir son univers. A raison.
Un très beau texte, original, rageant, poétique, chargé de nostalgie.
Andrei Makine, Le testament français
Edition Mercure de France, 309 pages, 1ère parution 1995Prix Goncourt 1995Voir une interview de l'écrivain sur Figaro Livres et quelques critiques sur Les rats de bibliothèque