Du "vigilante"... (Gran Torino vs The Watchmen)

Par Stéphane Kahn
Entre les Watchmen de Zack Snyder et Gran Torino de Clint Eastwood, et quelques mois après The Dark Knight de Christopher Nolan, le cinéma hollywoodien s’interroge plus que jamais sur la figure du "vigilante", quitte à théoriser désormais très clairement sur les ambiguïtés droitières qu’il gommait jusqu’alors sous le vernis du divertissement et des figures imposées par le genre.
De Dirty Harry à Gran Torino, il y a pourtant un gouffre, qui passe notamment par l’abandon du genre policier au profit de la chronique banlieusarde. Si Eastwood joue toujours au justicier, s’il impressionne les sauvageons par sa seule dégaine, le détour par la fable humaniste, par les bons sentiments, vient rendre "acceptable" et "drôle" son personnage de vieux bougon raciste. On aime Gran Torino, certes, mais on est aussi en droit de le trouver plus qu'ambigu (lire ici une voix discordante plutôt bienvenue au sein de l’enthousiasme critique).
De l’autre côté, la bande dessinée d’Alan Moore et Dave Gibbons a plus de vingt ans, se déroule dans des eighties uchroniques, et pourtant on se dit, à la vision de cette adaptation plutôt réussie, que les questions passionnantes qui étaient soulevées par le scénariste de V pour Vendetta valaient bien qu’on s’y arrête encore aujourd’hui et qu’il n’y a guère que le look des justiciers et certains choix plastiques qui paraissent aujourd’hui anachroniques.
Revenant sur des mythologies populaires typiquement américaines – celle des super héros et celle du justicier dans la ville – les films de Snyder et d’Eastwood stimulent par leur manière de retourner soudain les coutures convenues du divertissement d’action hollywoodien, d’interroger ses fondements et sa propension à l’apologie de l’auto-défense. Plaisir du vieil acteur ridé à composer le pire des salauds, à jouer sur les souvenirs d'un spectateur compagnon de route, à ressortir la punchline assassine et le rictus afférent comme il le faisait, sans y réfléchir, il y a tant d’années. Mais comme pour se trouver des excuses, déplaçant le personnage ambigu des seventies dans les atours du cinéaste à Oscars (celui qu’il est devenu depuis Bird et auquel tout le monde excuse aujourd’hui ce retour du refoulé qui est aussi, sans doute, très calculé). Alors, cure de jouvence, petit film craché dans l’urgence, film de vieux réactionnaire ou tour de passe-passe auteuriste pour théoricien eastwoodien, Gran Torino pose toutes ces questions passionnantes sans jamais vraiment y répondre. À l’inverse, The Watchmen (comme l’été dernier The Dark Knight) se veut très lisible dans ses intentions et ne parle finalement que du pacte paradoxal liant les justiciers à leurs ennemis jurés, l’existence du Mal ayant pour principale et paradoxale vertu de légitimer leur fonction (voir les scènes entre Rorsach et Moloch, et bien sûr les motivations complexes du meurtrier, révélées dans la dernière bobine)…
Hasard du calendrier, ces deux films passionnants, et dont on n’attendait pas qu’il correspondent ainsi l’un avec l’autre, sont visibles en salles en même temps...