France, terre d’asile… psychiatrique ?

Publié le 13 mars 2009 par Boustoune


Welcome
est une histoire de fous.
Une histoire de fous d’amour, de fous de désespoir. Une histoire qui traite de la folie du monde, et celle des hommes qui nous gouvernent, capables de créer des textes de lois tordus et de les faire appliquer de manière aberrante, comme l’article L622-1 du code pénal mis en lumière par le film de Philippe Lioret.
A cause de cette loi, Simon Calmat (Vincent Lindon), un type ordinaire, maître-nageur dans une piscine à Calais, va avoir pas mal de déboires avec la police. Convoqué au poste, victime d’une fouille intempestive de son domicile au saut du lit, puis mis en examen et risquant cinq ans d’emprisonnement et 30000 € d’amende… Son crime ? Avoir fait preuve d’un peu d’humanité envers des clandestins kurdes, les avoir pris en stop dans sa voiture, les avoir hébergé une nuit ou deux, et avoir donné des cours de crawl à l’un d’entre eux, Bilal, animé par l’idée folle de traverser la Manche à la nage pour gagner l’Angleterre sans se faire pincer par les gardes-frontière.
  
Le premier quart d’heure du film suit de près ce jeune homme de dix-sept ans qui a fui l’Irak ravagé par la guerre. Plus de 4000 kilomètres à travers l’Europe pour arriver jusqu’à Calais. Ses projets ? S’installer en Angleterre, retrouver la femme qu’il aime, fille d’un petit restaurateur qui a, lui, réussi à se faire régulariser, et trouver du travail, avec le rêve de devenir footballeur professionnel dans un grand club comme Manchester United.
Mais pour cela, il faut déjà traverser la Manche. Quasiment une mission impossible. Il faut déjà pénétrer dans la zone de fret international, et cela ne peut se faire qu’avec l’aide de « passeurs ». Ces types peu scrupuleux exploitent la situation désespérée des clandestins en leur extorquant des sommes astronomiques (500 € par personne) pour le minuscule service rendu, sans garantie de succès. Il faut ensuite trouver un autre camion dans lequel se cacher, en prenant garde à ne pas se faire remarquer. Et, un sac sur la tête, se placer en état d’asphyxie afin d’échapper aux détecteurs de dioxyde de carbone utilisés par les patrouilles de policiers pour les repérer dans les véhicules.
C’est plus que ne peut en supporter Bilal. La tentative se solde donc par un échec. Le jeune homme est arrêté, mais ne peut être expulsé vers sa nation d’origine, en raison des conventions en vigueur sur les réfugiés venant de pays en guerre. Et hors de question également de le laisser gagner l’Angleterre. Alors on l’autorise à rester à Calais, parqué dans un « centre pour réfugiés » - nom bien pompeux pour un bidonville en plein air – en espérant qu’il retournera de lui-même dans son pays. Et pour bien notifier qu’il est un clandestin, on lui a numéroté un numéro sur la main, comme du vulgaire bétail, avant de lui faire comprendre qu’à la prochaine tentative, il goûtera aux joies des prisons françaises…Bienvenue chez les ch’tis !
 
Mais Bilal a de la suite dans les idées. Celle qu’il aime est de l’autre côté et il ira à la nage s’il le faut. Quitte à se payer quelques leçons de crawl pour y parvenir. C’est comme cela qu’il rencontre Simon, un maître nageur un peu bourru. Jusqu’alors insensible au sort des clandestins, ce dernier va se prendre de sympathie pour le jeune homme. Il va essayer de le dissuader, de le raisonner, et de l’aider du mieux qu’il le peut, malgré les risques encourus.
Pour Simon, Bilal représente le fils qu’il n’a jamais eu, en même temps qu’une certaine forme de courage dont il est admiratif. Le jeune kurde est plein de rêves et d’espoirs, prêt à tous les sacrifices par amour. Le maître-nageur, lui, a vu sa vie conjugale faire naufrage, et s’apprête à divorcer de sa femme. « Il a fait 4000 kilomètres pour [retrouver sa copine] et maintenant il s’apprête à traverser la Manche. Toi quand tu es partie, je n’ai même pas été foutu de traverser la rue pour te rattraper », souffle-t-il à cette dernière, conscient d’avoir été trop lâche, trop égocentrique. L’aide qu’il apporte à Bilal, c’est une façon de se racheter, d’aider quelqu’un à ne pas refaire les erreurs que lui a commises.
 
Cette trame permet à Philippe Lioret de tisser une touchante histoire de relations humaines, faite d’affection, de respect, de dignité et d’amour, offrant au passage de très beaux rôles à Vincent Lindon, Audrey Dana et au jeune acteur Firat Ayverdi, une révélation.
Le film est très représentatif du style du cinéaste, qui raconte humblement des fictions aux accents mélodramatiques, mais toujours profondément ancrées dans le réel et dotées d’un fond très social. L’air de rien, Lioret pose des questions très pertinentes sur l’état du monde qui l’entoure. Ses oeuvres ne sont pas des brûlots politiques, mais elles invitent naturellement au débat.
Le cinéaste n’est pas franchement ce qu’on peut appeler un activiste. Il s’excuserait presque de créer une polémique. On peut d’ailleurs s’étonner de voir Eric Besson, le Ministre de l’intégration et de l’identité nationale, s’offusquer des propos du cinéaste, qui a pointé le parallèle entre la situation actuelle et la traque des juifs - et de ceux qui les cachaient - durant la seconde guerre mondiale. Il n’y a pourtant rien de scandaleux. Evidemment, les policiers n’envoient pas les clandestins dans des camps de concentration dans le but de les exterminer… Mais la traque des personnes essayant de traverser les frontières, les descentes de police pour empêcher les bénévoles d’apporter repas et vêtements chauds à ces réfugiés, le recours à la délation, les sanctions encourues par ceux qui aident les migrants, les consignes données par les préfets pour atteindre les quotas de reconduction aux frontières décidées par le gouvernement, sont autant de procédés peu glorieux qui évoquent les ombres du passé.
Bien sûr, la question de l’immigration et l’accueil de populations fuyant leurs pays n’est pas simple, et les pays occidentaux ne peuvent sans doute pas accueillir tout le monde. Lioret n’entend d’ailleurs pas la résoudre, ne propose pas de solutions. Il se contente d’exposer des faits, à hauteur d’homme, et invite à s’intéresser au sort de ces populations en souffrance autrement qu’en termes politiques ou pénaux. Les clandestins ne sont pas qu’un « problème », ce sont des êtres humains, et il ne devrait pas être interdit de compatir à leur sort.
J’en vois déjà me reprocher d’exposer des opinions personnelles sur le thème abordé plutôt que de livrer un jugement critique sur l’œuvre. Alors, disons que Welcome est un film cinématographiquement simple, réalisé sans fioritures et mouvements de caméra tarabiscotés. Une oeuvre qui suit ses personnages à bonne distance, avec retenue et pudeur, sans pathos, qui rappelle le style des frères Dardenne ou de Ken Loach, les tenants d’un cinéma « social ». Artistiquement, c’est donc tout à fait correct, et on peut très bien se contenter de voir le film de Philippe Lioret comme une émouvante histoire d’amour, une fiction bien menée. Mais il est difficile d’occulter totalement le sous-texte documentaire, qui fait que l’œuvre a déjà débordé du cadre de la salle de cinéma, provoquant des débats passionnants…
Welcome est un film essentiel, suffisamment poignant pour réveiller les consciences et ouvrir les yeux sur une réalité peu glorieuse.
Ca se passe aujourd’hui, chez nous. Et c’est révoltant…
Note :