Corinne Lepage: régression des libertés publiques

Publié le 13 mars 2009 par Dominique Lemoine @lemoinedo


J’ai beaucoup parlé au cours des derniers mois, comme nous tous, de la crise. Je voudrais ce matin dire le sentiment d’inquiétude que je partage avec beaucoup de nos concitoyens quant à la régression de nos libertés publiques. Elle s’accélère avec la crise comme si celle-ci était l’occasion de faire passer des mesures qui n’auraient pas été imaginables dans un pays comme le nôtre, et cela dans une relative indifférence, la stratégie de l’ébouillantement progressif de la grenouille fonctionnant parfaitement. Est-ce la bonne méthode ?


Nous risquons de nous retrouver rapidement dans un système qui n’aura plus de républicain que le nom, la peur servant dans cette période de chômage croissant, de moyen suffisant pour calmer les velléités de réactions.


Après la nomination des présidents des chaînes publiques par le Président et l’étranglement financier de l’audiovisuel public, dont les conséquences vont se produire d’un bout à l’autre de la chaîne pour réduire le pluralisme déjà malade et la liberté de la cjritique, après les nouvelles règles mises en place par le CSA réduisent drastiquement les équilibres. Non seulement la majorité gouvernementale détient deux tiers du temps de parole, le temps du président de la République étant hors quota, ce qui signifie qu’en réalité le pluralisme ne dispose que d’un quart voire un cinquième du temps de parole, mais encore la comptabilité se fait en fonction de l’appartenance de la personne et non des sujets abordés y compris s’ils n’ont rien de politique.

Nous sommes donc mûrs pour la désinformation organisée et la régression qui n’existe dans aucune démocratie d’un contre-pouvoir médiatique.
La mort confirmée des juges d’instruction sans aucun accroissement de l’autonomie des parquets témoigne de la volonté de faire dépendre de la chancellerie, donc de l’Elysée, l’instruction des affaires sensibles et donc leur enterrement ou au contraire leur développement en fonction de critères politiques. Exit le contrepouvoir judiciaire et tout espoir d’une séparation des pouvoirs dont la France est pourtant la conceptrice.
La nomination de M.Pérol, en violation flagrante de la loi puisque la commission de déontologie ne devrait pas statuer sur son cas le 11 (sans doute le risque d’une incompétence inévitable est-il trop grand) démontre la disparition de l’état de droit, celui-ci devant s’effacer devant l’urgence de nommer la bonne personne au bon poste compte tenu de la crise. Ce choix, très lourd de conséquence, illustre le fait qu’il n’y a plus aucune autorité, en France, pour faire prévaloir le droit sur la force.
Le vote de la loi Hadopi, à laquelle l’immense majorité de nos concitoyens ne comprennent rien, ne vise à rien d’autre qu’à restreindre l’immense espace de liberté qu’est internet, en réalité dernier espace qui reste au citoyen, en dehors de la manifestation. En effet, la loi création et internet va conduire à faire évoluer un réseau neutre et universel vers une forme d ‘intranet avec une offre opérateur- producteur, en opposition avec la liberté. La risposte graduée, qui vise à sanctionner les internautes téléchargeant « illégalement », votée en urgence avant que le Parlement européen ne l’interdise, témoigne une fois encore d’une exception française en matière de liberté.
Au niveau des libertés individuelles, l’affaire edvige a été un premier essai sans doute raté, mais qui occulte le fait qu’il existe aujourd’hui 45 fichiers, contre 34 en 2006, sachant qu'une douzaine de fichiers sont, de plus, "en cours de préparation" . Or, près de 7,5 millions de personnes étaient déjà fichées par les fichiers judex et stic aujourd’hui fusionnés auxquels s’ajoutent athena qui reprend des données de edvige, edvirsp.

Or, le rapport Bauer propose en sus un fichage ethnique et dans le même temps les moyens de la CNIL sont considérablement diminués.
Restaient les libertés locales particulièrement nécessaires en ces temps de crise où la proximité et la solidarité de terrain sont indispensables. Or, le rapport Balladur porte de nombreuses propositions, certaines intéressantes comme la nouvelle organisation entre départements et régions, imagine la suppression de la compétence générale pour les régions et les départements, ce qui constitue une atteinte incontestable à la libre administration des collectivités locales.


Ainsi, de quelque côté que l’on se tourne - et d’autres exemples auraient pu être donnés- non seulement aucun progrès n’est enregistré, mais les acquis sont remis en cause, anéantissant progressivement tous les contre-pouvoirs, les restrictions budgétaires achevant le travail en supprimant les moyens des associations.

Alors que la crise devrait être un accélérateur de libertés individuelles pour améliorer la coopération, la solidarité et promouvoir l’imagination notamment dans le domaine économique, alors que la démocratie est, parce que nous sommes en difficulté, le meilleur moteur de mobilisation et cohésion nationale, ce choix , lourd de conséquences en terme politique , risque de se révéler particulièrement contre-productif, excluant notamment toute idée d’union nationale.

Tribune France-Culture du lundi 9 mars 2009