La petite entreprise de Bashung n’a pas résisté à la crise

Publié le 15 mars 2009 par Ericlaforge

C'était presque hier et finalement si loin à l'échelle d'une vie humaine qui bascule un samedi de mars. Sur la scène, le jour du concert que vous pouvez lire à la suite, il avait tout donné. Attention, quand je dis tout donné, il ne s'agit pas de mouvements, mais de sentiments.

Jamais concert n'a dû serrer la gorge d'autant de personnes au même moment, jamais concert n'a fait couler autant de discrètes larmes sur les joues. La joie de voir un artiste atypique et attachant ? Ou la tristesse de le savoir condamné ? Peu importe, les larmes n'ont pas de pedigree.

Celles qui ont coulé sur les visages depuis ce samedi ont un mauvais goût. Le goût désagréable de l'amertume. Peut-être que lui, Alain Bashung, a laissé couler quelques larmes aussi, celles d'une délivrance. Désormais le cancer ne peut plus rien contre lui, plus rien…pour l'éternité.

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Bruxelles, Ancienne Belgique, 3 décembre 2008.

Un homme arrive sobrement sur la scène. Un homme coiffé d'un chapeau noir. Des lunettes noires et une longue veste noire finissent de lui donner une silhouette allongée, il est un oiseau qui va planer.

L'ambiance est particulière, il y a du respect bien sûr, il y aussi de l'admiration. L'homme se bat contre un cancer, là en ce moment même. Mais personne n'est venu parce qu'il est malade, non c'est son univers musical qui fait se déplacer la foule.

Un univers musical vraiment unique. Parfois noir comme ses lunettes, souvent rock avec de bonnes grosses guitares, mais surtout poétique. Ce soir, c'est une évasion.

L'homme s'approche du micro, d'une voix légèrement essoufflée : ”Ce soir pas de chichi, mais si on a envie de faire du chichi on peut, on est entre nous.” Sourires libérateurs dans la salle.

Les lumières sont à l'unisson de cet univers, raffinées. Un projecteur sous chaque musicien pour un effet de contre plongée rend l'ensemble particulièrement esthétique et cosy. Des effets subtils de rouge, de vert, de bleu. On se sent au chaud, comme un soir d'hiver que l'on passerait près de la cheminée.

Cette impression est renforcée par les sons chaleureux des instruments classiques comme la contrebasse et le violoncelle qui apportent réellement quelque chose à cette ambiance. Ils contribuent à nous plonger dans une certaine mélancolie par moment.

Lorsque cet homme chante, comme il y a vingt ans, il a ce phrasé inimitable, mi chanté, mi parlé. D'ailleurs il a exactement la même voix qu'à ses débuts. La voix change lorsqu'il parle, elle est alors plus lente, à l'image de son éternelle gestuelle saccadée, sorte de chorégraphie unique et personnelle. Des gestes d'une élégance rare. Petit numéro d'équilibriste virtuel sur L'équilibriste.

La gorge serrée, l'estomac noué, beaucoup beaucoup d'émotions. Cette nuit on ne se ment pas, on est bouleversé. Des larmes sur des joues.

Ses musiciens sont hors du commun, ils ne sont pas bons, bien mieux que ça, ils créent un son qui nous enveloppe comme une couette épaisse un soir de grand froid. On voudrait s'en échapper qu'on ne le pourrait pas. Mais qui le voudrait ? Même les habituels soiffards qui passent leur temps à faire des aller-retours vers le bar sont scotchés, cloués, rivés la bouche ouverte et les yeux brillants. On les dirait sortis d'un dessin animé de Tex Avery.

La foule est prisonnière de cette nappe musicale générée par la guitare et les sons lourds de la contrebasse. La batterie rythme la soirée et bat comme le coeur de cet homme digne qui est là devant nous.

Boum boum… boum boum… boum boum… boum boum inexorable et jusqu'à l'infini.

Un soir de concert procure toujours des souvenirs. La musique se vit en live. Un CD n'est qu'une photocopie en noir et blanc. Et puis il y a des concerts comme celui-ci qui vous transforme.

Est-ce la musique ? Elle est parfois très calme, des balades, des slows, des complaintes. Elle est souvent très agitée avec du putain de rock qui envoie plus de grains que n'importe quel bon groupe de métal. Mais ici c'est toujours mélodique. Toujours.

A la fin du concert, un spectateur me dit ”Il a du courage quand même…” On ne vient pas pour admirer son courage, mais c'est vrai que c'est un élément de cette soirée. Le quelque chose d'indescriptible qui flotte dans l'atmosphère. Comment ne pas y penser ? 

Chacun à un moment ou un autre de ce concert a dû penser à un proche qui a vécu ce calvaire. Pourtant l'homme est là devant nous, presque comme si de rien n'était. Du point de vue musical pur, rien ne transparaît, ce concert est même très largement le meilleur que j'ai vu cette année. Mais la retenue observée par le public a fini par exploser. Cette explosion s'est concrétisée dans le “On t'aime” qu'un spectateur a fini par hurler.

Ce cri sortant d'une foule captivée, a raisonné entre les murs, une autre voix, puis deux, vingt, mille voix sont venues en écho lui répondre ”On t'aime“. On a senti alors l'homme très ému. Très très ému, au point de devoir prendre une grande respiration avant de répondre…“Alors il faut que je vienne à Bruxelles pour qu'on me dise ça… c'est noté vous savez, c'est noté… je ne l'oublierai jamais.” Sa voix était essoufflée.

Les titres s'enchainaient parfaitement, la reprise de Bob Dylan, Blowin in the wind en court extrait venait s'insérer parfaitement dans une set list ou l'harmonica était très présent. Puis une version endiablée de Osez Joséphine avec des guitares rugissantes. 

Pour le rappel, on a vécu un instant qui a duré plusieurs heures d'une vie d'homme, mais le temps avait suspendu son vol, du coup le …Madame rêve n'a paru durer que cinq minutes. Puis une “…bête préhistorique…que j'aime bien… dira l'homme.” C'était Vertige de l'amour.

Suivra la présentation des musiciens et “…merci à vous aussi…” Son manteau noir s'est éclipsé puis a disparu dans la fumée de la scène. Saleté de fumée qui cherche à nous le prendre.

Désormais la nuit je mens quand je dis que je dors…je pense à Alain.

Les à-côtés du concert.

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- Les photos

Un début de soirée particulier. En plus de 300 concerts pour Classic 21 ces dernières années, ça n'était jamais arrivé. Ce soir-là, j'étais le seul photographe autorisé, j'avais mon pass-photo, tout était en règle. Mais lorsque j'ai voulu aller au pied de la scène comme à l'habitude, un type de la sécu est venu me dire que ce soir, exceptionnellement, les consignes étaient différentes, je pourrai prendre des photos mais en restant dans la foule. Aucune possibilité de s'approcher de la scène. Malgré la maison de disques qui essayait d'intercéder en ma faveur, rien n'y a fait. On ne passe pas !

Ok, mais à quoi sert le pass alors ?

Résigné, je me retrouve ballotté par les mouvements de foule au milieu de la fosse, tentant de faire des clics en guettant les moments ou personne ne me poussait dans le dos. Puis une main s'est posée sur mon épaule.

- “Vous êtes photographe ?”

-” Oui monsieur.”

-”Alors suivez moi !”

Je suis donc cet homme assez grand, il a lui aussi un pass autour du cou. On se retrouve devant le mec de la sécu à qui il dit: “Je suis le manager d'Alain Bashung, Alain l'autorise à prendre des photos, vous pouvez le laisser passer !”

J'ai donc fait des photos dans des conditions normales. Voulant être correct, je me suis retiré après la 3ème chanson comme à l'habitude, même si je n'avais pu shooter que pendant un seul titre en réalité. A peine étais-je en train de me replacer dans la foule que le manager m'a rappelé pour me dire : “Non puisque tu as été lésé, reste encore pour un titre.”

Les gens corrects sont agréables.

Le couloir des photographes.

- Le son

Pour ceux qui veulent écouter :

A la suite de cette After-Party sur Classic 21, j'ai reçu beaucoup de mails dont un qui est du genre à ne pas me faire oublier chaque matin quand je me lève que c'est pour faire un métier vraiment chouette. Le voici :

“… Z etes betes ou quoi, suis dans mon atelier , en train de réparer des vélos ,je vous écoute,j'écoute Alain Bashung et je pleure,j'y étais pas à l'AB ,j'aurais du y etre et merci de me faire pleurer, c'est pas souvent que ça m'arrive. Merci encore !”

Luc