Béatrice Bonhomme/Poumon d'oiseau éphémère

Par Angèle Paoli
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POUMON D’OISEAU ÉPHÉMÈRE

à Bérénice

je repense
à l’homme
qui revit soudain
entouré de sa famille
on le croit sauvé
il sourit
le soir il semble fatigué, nerveux
et le lendemain, prostré,
agonique
la mousse verte
comme une crème
une mousse d’étoile
a envahi son corps
de poumon et d’algues
il ne respire plus

la mousse se dépose
comme une feuille de lichen
sur ce poumon de hautes futaies
et il étouffe le carrefour respiratoire
de la mer,
il étouffe ces étoiles de branchies
et de bulles
et l’homme meurt
étouffé
avec un tampon d’ouate dans la bouche
et derrière ses yeux

La mousse est aussi sur la langue
et ouate le monde comme étranger
la mousse lentement se dépose
et perd le contact immédiat
une mousse isole le carrefour de souffle
du grand large
les amoureux de la liberté
perclus dans la crucifixion des mousses

Je vois le carrefour de nuit
et le souffle coupé
alors qu’il est si pur
le lien à la solitude
je vois le carrefour de nuit
dans ta magnifique indifférence
toi, toujours là à mes côtés
dans l’indifférence des poissons
aux branchies d’algues bleues
et qui recherchent l’air

je repense sans cesse à l’homme
qui se croit sauvé
et puis soudain sent que c’est fini
et se replie dans l’étreinte de fer
d’une mousse
la mâchoire qui ne s’ouvrira plus
dans le lichen de la mort

je ne peux que repenser
à l’étreinte molle mais sans faille
sans espacement
sans ouverture
sans liberté aucune
de la mousse
de ce monde mou
absurde
et de la mousseline verte
autour du poumon
pauvre chose
autrefois dans le carrefour des neiges
et dans le grand large de la mer

je ne peux que repenser
à la mollesse absurde
de la mousse qui ronge
le dépôt de limon
et la perte du fleuve
je ne peux que penser
au poumon lentement rongé
à la moustiquaire verdie
de la mort

le couteau s’enfonce
dans le corps mou
il est difficile de frapper
mais le plus facile est la neige
neige carbonique de brûlure
et ce feu ancien qui étouffe
transformé en mousse de lichen
si semblable dans la mort
au berceau de tulle
à la sensation blonde
des mousses de Noël

il croit qu’il est sauvé
et d’un coup cette sensation de libération
comme les convalescences d’enfant
et puis grandit la poigne de la mousse
s’élargit comme un faisceau de plumes
dans l’arbresle des poumons
et pluine d’étoiles en fer
au centre des carrefours de neige
rejoint cette sensation
d’être bloqué à jamais
dans la mâchoire du poisson
qui plus jamais ne saisit l’air des libellules
mais seulement la bouche ouverte
tendue en vain
vers l’unique ruisseau de l’espace

Désormais il n’est plus nécessaire d’échapper
car la mousse a rejoint le corps des lichens
et ramène à la terre
cet horizon de neige et d’air
gonflé de sang.
Désormais nul besoin de s’agiter
juste pénétrer en soi le travail des mousses
et ne plus chercher l’étroit passage
où s’ouvrirait une fenêtre
car la mousse a grandi
sur l’étoile des poumons
et tout a fait son nid
désormais dans la mort.

Comment remercier
pour ce si petit fil d’espoir
et de salive
de respiration fine
que semble parfois confier l’air
aux poumons de silence ?
Il dit   si je réchappe…
mais la mousse rattrape l’élan bleu
à vouloir vivre sans cesse, sans fin
et à se résigner
dans la pourriture verdie
des poumons d’oiseaux autrefois
jadis et d’espace
dans tes poumons d’oiseau éphémère

je ne crois pas que l’on puisse humidifier
sans cesse l’étoile des mers
et la rigole de pluie
n’est qu’un attrait d’enfance
la bave de l’escargot
brillant
qui forcément s’assèche et se replie
dans l’oubli des longues traînées vertes.

Béatrice Bonhomme, Poumon d’oiseau éphémère, Poèmes 1996-2001, Melis Éditions, 2004, pp. 111-122.



BÉATRICE BONHOMME


D.R. Ph. Laurent Bourdelas
Source


Voir/écouter aussi :
- (sur YouTube) le poème ci-dessus (« Poumon d’oiseau éphémère ») dit par Béatrice Bonhomme dans un diaporama de Bérénice Bonhomme (intégré par Bérénice sur YouTube hier, 15 mars 2009) :


- (sur Terres de femmes) Béatrice Bonhomme-Villani, Mutilation d’arbre (note de lecture) ;
- (dans la galerie Visages de femmes de Terres de femmes) le Portrait de Béatrice Bonhomme-Villani par Guidu Antonietti di Cinarca, un poème extrait de Poumon d'oiseau éphémère et l'excipit de Mutilation d'arbre ;
- (sur Terres de femmes) Béatrice Bonhomme/Sauvages ;
- (sur Terres de femmes) Béatrice Bonhomme/T’écrire adolescent ;
- (sur Terres de femmes) Béatrice Bonhomme/La terre rouge ;
- (sur Wikipedia) une belle bio-bibliographie de Béatrice Bonhomme ;
- (sur Poezibao) une autre bio-bibliographie de Béatrice Bonhomme ;
- (sur Terres de femmes) La rencontre Hölderlin-Jouve-Klossowski par Béatrice Bonhomme et Jean-Paul Louis-Lambert ;
- (sur le site de la Revue d'art et de littérature, musique) un entretien de Rodica Draghincescu avec Béatrice Bonhomme (Numéro 45 - décembre 2008) ;
- (sur Gattivi ochja) un poème de Béatrice Bonhomme (également extrait de Poumon d’oiseau éphémère) traduit en corse par Stefanu Cesari.



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