Philippe Marlière - "Pourquoi je quitte le Parti socialiste"

Publié le 17 mars 2009 par Lalouve

"J’ai adhéré au PS en 1989 et je le quitte aujourd’hui pour rejoindre le NPA.
De cette expérience militante, je retiens que des obstacles politiques et institutionnels majeurs empêchent toute réorientation à gauche du PS. Le militantisme inlassable de camarades sincères ou la bonne volonté de quelques dirigeants n’y changeront rien. Avec le NPA, j’espère contribuer à la construction d’un parti en rupture avec les politiques d’accompagnement social du capitalisme, que propose le PS depuis plus de vingt ans. Voici, succinctement, quelques réflexions sur ma trajectoire au sein du PS et les enseignements généraux que j’en tire.

Le combat pour l’ancrage à gauche du PS

Je rejoins le PS au moment même où le mur de Berlin vient de tomber ce qui, au commencement du second septennat mitterrandiste, n’est pas chose aisée. Les militants sont déboussolés par l’ouverture à des ministres de droite pratiquée par le gouvernement Rocard. Si le stalinisme a perdu la partie, la social-démocratie est à peine mieux lotie. Les politiques néolibérales d’inspiration étatsunienne (reaganomics) et britannique (la « contre-révolution » thatchérienne) déferlent sur un continent européen largement dominé par des gouvernements conservateurs. Quand les partis socialistes sont au pouvoir (en France, en Espagne, en Grèce), ils prêtent leur concours à la consolidation de cet environnement néolibéral : au niveau national (politiques monétaristes et privatisations) et au niveau européen (soutien inconditionnel à la construction d’une Europe des marchés dérégulés avec l’Acte unique européen, puis le traité de Maastricht). Il n’existe alors en Europe aucun gouvernement social-démocrate qui mène des politiques au bénéfice des peuples.

Je me dirige vers la Gauche socialiste, un petit courant de gauche animé par Jean-Luc Mélenchon et Julien Dray. En 1995, la GS est rejointe par le groupe Démocratie et socialisme de Gérard Filoche, issu de la LCR. La GS recueille environ 1% des voix au congrès de Rennes et en obtiendra 13,5% au congrès de Grenoble en 2000. Ce score est resté en deçà de ceux enregistrés par le CERES dans les années 70 et 80. Cette progression se fait sur une double ligne de rupture. Externe : contre le néolibéralisme pratiqué par les gouvernements de droite et de gauche ; interne : contre des dirigeants socialistes de plus en plus acquis au prêt-à-penser néolibéral. Contre la tentation centriste du parti, la GS milite pour une alliance « Rouge, Rose, Verte », dès 1992. Celle-ci est combattue par les autres courants du parti, mais l’idée s’impose progressivement dans les esprits des militants puis, dans la pratique, avec le gouvernement de la Gauche plurielle. La GS est le seul courant qui fournit un encadrement politique à ses membres, qui débat, qui étudie l’histoire du mouvement ouvrier, qui élabore une critique du capitalisme financier et qui porte un intérêt aux questions internationales. Je participe à quelques rencontres de la République sociale européenne, animée par Harlem Désir et Marie-Noëlle Lienemann. Nous côtoyons des représentants d’ailes gauches sociales-démocrates. Nous prêchons dans le désert car nous sommes alors en plein blairisme triomphant (1999-2001). Je remarque à cette occasion que la ligne de partage sur la question de la mondialisation néolibérale ne sépare plus la droite et la gauche, mais traverse les partis sociaux-démocrates. Partout en Europe, les blairistes sont les serviteurs zélés du capitalisme. Fait unique dans ce parti d’hommes d’âge mûr, la GS accueille de nombreux jeunes à travers des syndicats étudiants et lycéens, ainsi qu’SOS-Racisme.

Il y a certes des ratés importants. Les mitterrandistes Mélenchon et Dray votent en faveur du traité de Maastricht. Ce traité forme l’ossature qui permet d’accélérer le basculement vers l’Europe de la « concurrence non faussée », et dégage la voie aux traités ultérieurs qui resserrent encore plus le carcan néolibéral : Amsterdam, le traité constitutionnel et Lisbonne.

Les militants de la GS ambitionnent de construire une aile gauche qui, progressivement, deviendrait une pièce majeure dans le jeu interne. Par le biais du débat démocratique, nous espérons rallier à nos thèses des militants « de gauche » qui ont une conception du socialisme « moins exigeante » que la nôtre. Objectif : la construction d’un bloc majoritaire qui permettrait d’ancrer à gauche le PS, prélude à une réunification des gauches françaises sur une ligne de rupture avec le social-libéralisme. Vingt ans après, je considère que cette stratégie n’a pas fonctionné. Depuis la disparition de la GS en 2002 et les revers qui ont suivi le référendum de 2005, le repositionnement à gauche du PS est même devenu un objectif hors d’atteinte.

Défaites et reniements

Jusque 2002, la GS monte en puissance dans le PS, même si elle ne parvient pas à inverser la tendance de plus en plus social-libéralisante du gouvernement Jospin. Jean-Luc Mélenchon et Marie-Noëlle Lienemann entrent au gouvernement, en négociant une marge d’autonomie relative pour leurs ministères (enseignement professionnel et logement). Mais la gauche du parti subit de plein fouet le contrecoup de la défaite présidentielle de Lionel Jospin. Les ambitions personnelles et les querelles d’ego, longtemps contenues, éclatent au grand jour. Des individus (ici, Mélenchon et Dray) détruisent en une soirée des années de labeur militant et provoquent la scission de la GS. Quatorze années d’un patient travail de construction d’une aile gauche sont réduites en miettes. Commence alors le déclin de la gauche du PS, avec la valse des courants et des étiquettes : Nouveau Monde (Mélenchon-Emmanuelli), le NPS de Montebourg-Peillon-Dray, le NPS sans Dray parti rejoindre les sociaux-libéraux, Forces Militantes (Dolez), Trait d’union (Mélenchon après son rapprochement avec Fabius), Alternative Socialiste (Emmanuelli), NPS avec l’arrivée d’Emmanuelli avec, puis sans Peillon, Reconquêtes (Emmanuelli, Hamon) et aujourd’hui Un Monde d’Avance. Seuls Démocratie et socialisme (Filoche) et Pour la république sociale (Mélenchon) constituent de vrais courants. Outre leur stabilité, ils restent fidèles à l’ambition de la GS de socialiser les militants sur une ligne de gauche. Leur influence dans le parti est malheureusement assez marginale.

A partir de 2002, la durée de vie des courants de « gauche » est éphémère (pour certains, elle est inférieure au temps qui sépare deux congrès). Ces structures se construisent et se déconstruisent autour des pratiques césaristes de barons nationaux. La dimension éducative au cœur du militantisme a disparu. Les militants apprennent la naissance et la disparition de leur courant dans la presse nationale. Il n’est pas rare que des dirigeants opportunistes et marqués à droite rejoignent l’une des factions de « gauche » avant de repartir au congrès suivant vers un courant qui servira mieux leur carrière (Montebourg, Peillon). D’ex-cadres de la GS se recentrent (Désir rejoint Jospin, puis Strauss-Kahn) ou passent dans l’aile droite du parti (Dray, Boutih).

Quoiqu’en ordre dispersé, les courants de gauche du PS mènent une campagne remarquable pour le Non au traité constitutionnel. Politisant le débat sur l’intégration européenne, elles attirent à elles des milliers de militants exaspérés par le contenu d’un traité qu’ils ont pour la plupart attentivement lu. La victoire du Non retombe comme un soufflé à l’occasion du congrès du Mans, en novembre 2005. Les dirigeants de la gauche du PS (à l’exception de Filoche et Dolez), déjà en embuscade pour la présidentielle, se rallient à la synthèse de François Hollande. Les militants présents protestent vivement, mais ainsi va la démocratie socialiste. Après avoir piétiné la résolution du Conseil national de 2004 (qui spécifiait que la Constitution européenne était en l’état inacceptable), puis manipulé les chiffres du vote interne sur le traité constitutionnel (le Non l’emportait), Hollande et la droite du parti parviennent à dérober aux militants la victoire du Non de mai 2005. Ils étouffent dans l’œuf toute critique de gauche en regroupant l’ensemble du parti autour d’une synthèse molle. Le déclin de la gauche socialiste s’accélère ensuite. Sans figure nationale de premier plan pour les porter dans le jeu médiatique, les idées de gauche ne sont que très rarement prises en compte. Puisque les sondages la présentent comme la candidate la mieux à même de battre Sarkozy, les militants investissent logiquement Ségolène Royal. La gauche socialiste en est réduite à soutenir Fabius, l’ex-ennemi libéral, dont le gouvernement rédigea la loi de déréglementation financière dans les années 80. Royal ne tient pas compte du programme socialiste, au demeurant peu à gauche, et mène une campagne droitière axée sur les questions d’ordre public. Elle déserte le terrain social que vient occuper Sarkozy. Le PS perd une élection qu’elle abordait dans une position de force et la direction hollandaise n’est même pas critiquée. En 2008, une majorité du groupe parlementaire socialiste se fait complice du coup de force sarkozyste en refusant de voter contre la ratification parlementaire du traité de Lisbonne voulue par le président. Ce traité est pourtant largement identique au traité constitutionnel rejeté par 55% des Français deux ans plus tôt. Le travail de politisation sur l’Europe de 2005 semble réduit à néant.

Au congrès de Reims, fin 2008, l’union historique des gauches socialistes réunies autour de Benoît Hamon ne recueille même pas 20% des voix. Ségolène Royal frôle de peu la victoire dans le vote plébiscitaire pour le poste de premier secrétaire. La gauche du PS fait son entrée dans une direction idéologiquement hétéroclite. Le coup de barre à gauche promis par Martine Aubry fait long feu : dans la foulée de son élection, elle déclare que le PS fera campagne aux élections européennes sous la bannière du Manifesto rédigé par le Parti des socialistes européens. Dans cette plate-forme électorale, le PSE réaffirme son soutien au traité de Lisbonne. Fin février 2009, les royalistes rejoignent la direction du parti, ce qui marginalise encore plus la gauche socialiste. Le tropisme droitier des directions socialistes réapparaît : en janvier 2009, lors des massacres de l’armée israélienne à Gaza, la direction socialiste se borne à établir une responsabilité symétrique entre l’agresseur israélien et les victimes palestiniennes. Elle passe totalement sous silence la question de l’occupation des terres palestiniennes depuis 1967. En février 2009, alors que la colère sociale monte en France et en Guadeloupe, le PS temporise et disparaît des cortèges de manifestants. Avec Aubry, les carriéristes et les opportunistes de droite continuent de régner en maître. La gauche assiste impuissante à la composition et décomposition de ces majorités interchangeables.

Étrange démocratie socialiste

Personne au sein de la gauche socialiste ne conteste que le parti est essentiellement dirigé par des carriéristes. Difficile de défendre la trajectoire de Dominique Strauss-Kahn, directeur du FMI ou de Pascal Lamy, directeur de l’OMC. Difficile aussi de se reconnaître dans le parcours peu rectiligne des Peillon, Royal, Lang, Montebourg, Valls, Hollande, Dray, etc. Certains camarades arguent cependant qu’il est injuste de considérer que les dirigeants représentent l’ensemble du PS ; qu’ils renvoient une image fidèle de ce que pensent et souhaitent les militants de base. Il existe certes dans le PS – dans tous les courants du parti – des militants honnêtement de gauche. Il serait également erroné de mettre sur un pied d’égalité Benoît Hamon et Vincent Peillon, ou Henri Emmanuelli et François Hollande. Il faut toutefois considérer qu’à l’exception du vote interne sur le traité constitutionnel, fin 2004, les militants ont porté à la tête du parti des majorités droitières. François Hollande, un personnage opportuniste et cynique, dirigea le parti pendant onze années et Ségolène Royal fut investie candidate à l’élection présidentielle. Malgré ses slogans empruntés à un manuel de morale de la 3e République et son score médiocre en 2007, Royal reste populaire dans le parti. De ce point de vue-là, il faut bien reconnaître que les dirigeants sociaux-libéraux au sommet de l’appareil socialiste sont, dans une certaine mesure, le reflet de ce que pense et souhaite une part non négligeable de la base militante.

Certains estiment que les militants socialistes sont authentiquement de gauche. Cependant, leur adhésion au PS ne s’est pas faite sur la base d’une connaissance des programmes et des idées des dirigeants, mais sur le sentiment d’appartenance à la grande famille de la gauche, en fonction d’une orientation et d’une adhésion à des principes généraux. Soit. Le phénomène de dépossession des voix militantes par le personnel professionnel de la politique est bien connu depuis que Roberto Michels a énoncé la loi d’airain de l’oligarchie des partis. Cependant, il est caricatural d’opposer une élite de droite à une gauche militante. Force est de constater qu’il existe un nombre relativement important de militants qui pense que le PS doit cesser de se battre pour les travailleurs, de promouvoir des politiques de redistribution radicales, de pratiquer l’union de la gauche, qu’ils souhaitent remplacer par une alliance avec le Modem. Dans les courants Royal et Strauss-Kahn, on trouve nombre de militants qui défendent de telles orientions.

Mais il y a plus grave encore : le jeu de la démocratie partisane est aujourd’hui totalement perverti. Les militants peuvent certes se battre pour imposer une orientation politique et programmatique par le biais de motions. Cependant, les dirigeants n’en tiennent pas compte la plupart du temps. Ce fut le cas lors de la ratification parlementaire du traité de Lisbonne, assurée grâce au soutien des socialistes. Le PS s’était pourtant engagé à faire voter le peuple dans un nouveau référendum. Le parti tolère que le candidat à l’élection présidentielle s’affranchisse du programme arrêté par les militants. De manière générale, les débats sur les motions lors des congrès sont menés au pas de charge, les synthèses de textes sont réalisées de manière opaque et les alliances de congrès sont le fait du Prince, c’est-à-dire que le leader de motion décide, en son âme et conscience, avec qui il va négocier les voix militantes qui se sont portées sur son nom et sur son texte.

On peut se réjouir de la tenue au PS de débats contradictoires, du vote sur des motions proposant des orientations distinctes (de la gauche radicale au blairisme). Toutefois, à quoi bon une telle débauche d’énergie militante si, à la fin, chaque congrès reconduit la même ligne sociale-libérale ? A quoi sert ce pluralisme davantage théorique que réel, si le jeu prétendument démocratique des courants est avant tout utile au carriérisme des dirigeants ?

Une position dominante, mais non hégémonique

Les fonctions politiques du PS sont essentiellement droitières : la présidentialisation du parti dépolitise les débats et favorise l’émergence de dirigeants carriéristes et populistes ; la plupart de ces dirigeants sont acquis aux idées du néolibéralisme et la personnalisation des débats a sapé le respect dû aux textes démocratiquement adoptés par la majorité des militants.

On peut arguer que la nature sociale du PS reste essentiellement de gauche. Cette nature sociale renvoie à l’image de parti de gauche que possède toujours ce parti dans la population, quelles que soient les critiques que les individus puissent lui adresser. Si le peuple considère que le PS n’est pas vraiment un parti qui défend des idées socialistes, il peut néanmoins estimer que, potentiellement, il demeure ce parti-là ou pourra le redevenir un jour. Ce raisonnement explique pourquoi nombre d’électeurs qui avaient voté pour Olivier Besancenot et Arlette Laguiller en 2002, ont voté pour Ségolène Royal en 2007, en dépit de ses idées et ses propositions qui n’avaient rien de socialiste. Il s’est agi d’un réflexe d’auto-défense contre un candidat de droite jugé encore plus nocif que les bavardages réactionnaires de Royal. Le vote PS constituait le moyen le plus concret de résister à la droite la plus revancharde depuis Vichy.

L’identification d’une majorité de l’électorat à la nature socialement de gauche du PS (fût-elle virtuelle) explique que le PS soit resté depuis les années 80 le parti dominant à gauche. Cette position est dominante, mais non hégémonique, car les électeurs connaissent bien les turpitudes de ses dirigeants. Ils se souviennent des promesses non tenues et des politiques néolibérales qui ont été menées au gouvernement. Ils se gaussent de ces bourgeois beaux parleurs, ces mollétistes culturels qui ont le verbe gauchiste sur les tribunes de congrès et qui reprennent ensuite leur discours « raisonnable » de gestionnaire dès que les votes ont été engrangés. Ils exècrent la plupart de ces dirigeants et pourtant ils continuent dans leur grande majorité de voter pour le PS, quand ils ne s’abstiennent pas.

Pourquoi ? Parce que le peuple de gauche attend des partis politiques qui le représentent des débouchés politiques immédiats pour soulager la précarité de sa situation sociale et politique.

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La perception selon laquelle le PS est le mieux placé – ou, si l’on préfère le moins mal placé – pour améliorer le quotidien des travailleurs est bien ancrée dans les esprits. Pour cette raison, il est peu probable que le PS s’effondrera électoralement dans un proche avenir. Il n’est cependant pas à exclure que, sur le long terme, il connaisse le même destin que la SFIO à la fin des années 60. Sur le moyen terme, le NPA est le mieux placé à gauche pour recueillir les voix des électeurs qui votent socialiste faute de mieux. Le nouveau parti rassemble diverses traditions de gauche, il est résolu dans son combat contre le système capitaliste et pour une société solidaire et réellement démocratique. Il est aujourd’hui rejoint par des jeunes, des femmes et des individus des classes populaires, un phénomène unique à gauche aujourd’hui.

Le NPA est le parti dont les idées et la stratégie peuvent offrir une perspective aux militants et aux sympathisants du PS qui n’ont pas renoncé à leur aspiration à un monde plus juste et plus démocratique.

Lettre + Interview ICI sur le site "Contretemps".

Philippe Marlière est maître de conférences en science politique à University College London.