« L’aube le soir ou la nuit »

Publié le 02 septembre 2007 par Jlhuss

 de Yasmina Reza

Par Arion

Alors que le titre annonce une orchestration romantique, c’est dans un cahier de notes prises au vol qu’on entre d’emblée. Pour n’en plus sortir ? Certes, ceux qui attendent un portrait en pied de Bonaparte en campagne, voire une statue équestre de Napoléon IV, seront déçus : narration linéaire au présent, syntaxe pressée, ponctuation parfois collégienne, dialogues en miettes, silhouette éclatée pour un héros « humain, trop humain », dans un style « moderne » –trop moderne ?

Yasmina Reza choisit la touche pointilliste et l’admiration tempérée. De juin 2006 à juin 2007, nous suivons avec elle un candidat au pas de charge : Nicolas au meeting d’Agen, à la garden party du 14 juillet, Nicolas dans l’avion, Nicolas à New-York, à Rieutort-le-Rendon, etc., rapport d’une course qui s’achève dans le bureau de l’Elysée, où son personnage de fièvre et d’humeur, après lui avoir laissé toutes les libertés sauf celle d’une vraie conversation, se prête enfin, devenu Président, à un échange qui le rapproche en le distançant.  « Il s’est assis sur une banquette dorée, moi sur un siège doré. Tout est doré. Je dis : « Tu es content ? –C’est le mot que tu choisis ? –Je ne vais pas dire heureux. –Je suis serein. –Serein, c’est bien. –Oui. Je suis content en profondeur mais je n’ai pas de joie. »

On pourra reprocher à l’auteur l’absence d’intériorisation, de mise en perspective des enjeux, le campement dans une sorte de phénoménologie de l’instantané. On sera bien en peine en revanche de l’accuser de complaisance. Un ou deux furtifs aveux d’affection et d’admiration, mais le constant effort pour neutraliser l’émotion, garder aigu le regard critique. Le Sarkozy puéril, le Sarkozy grossier, le Sarkozy friable, le Sarkozy cynique pointent le nez au détour d’un déplacement, d’une réunion d’état major, d’une coulisse de grand messe. Et l’auteur vise acéré : « Il a à sa disposition une série de professions de foi bien calées, imitation de la pensée, auxquelles il finit peut-être par croire. »  Les tenants d’un Sarkozy parano trouveront leur compte dans ces pages : «Les lieux, les gens, les circonstances, peu importe, il tisse sa propre étoffe, sa trame de fer, ses revers, ses coutures étranglées. Sa grande armure de comédie. »

Mais, à petites touches jusqu’aux belles dernières pages, le carnet de campagne volontiers satirique (ne pas manquer la « récréation » d’ « un thé chez mamy ») se hausse -race d’écrivain oblige- au niveau de la réflexion philosophique et morale. L’individu Nicolas Sarkozy s’efface derrière les siens, se fond en eux, en offre l’image archétypale : « Ces hommes ne veulent pas le bonheur, ils veulent leur chance dans la bataille. » On attendait Catherine Nay, on rencontre Cendrars, La Bruyère et Pascal : « Ce sont des noms de jours, des dates, les points de chute d’un cycle sans fin que les hommes s’inventent pour échapper à la torpeur du banal ; élections, conseils, congrès, universités, où il faut tenir son rang d’important, persister dans la lumière crue qui confère un avenir, car il  n’y a pas d’autre vie. » Sans cesser de fuir la rhétorique et l’emphase, la dramaturge Reza met ainsi à nu un nerf de la tragédie humaine universelle, seulement plus visible dans la sphère du pouvoir : la tragédie non pas de la volonté qui défaille dans l’accomplissement du désir, mais celle, plus obscure, de la volonté qui survit au désir même : « Il est étrange de vouloir à n’importe quel prix, au prix des plus grands renoncements, quelque chose qui n’excite plus et qu’on a cessé d’aimer. Déserté par les formes vitales, il reste le vouloir. Le vouloir comme résidu. » L’auteur de « Art » a lu « La Reine morte » et « Le Cardinal d’Espagne ».

On aime enfin dans ce fort livre (agaçant parfois, peut-être inabouti), que l’auteur soit témoin direct, voyeur tantôt oublié, tantôt sollicité, parfois vaguement acteur, toujours pudiquement sensible, jusqu’à la nostalgie de l’aventure littéraire et humaine achevée ce jour de juin 2007, quand Nicolas et Yasmina se retrouvent dans les ors d’un palais conquis par lui de haute lutte « assis, face à face dans le salon silencieux, réduits au raisonnable , alors que c’était le mouvement même qui portait l’écriture. »

Arion