Les lapins numériques et le cauchemar de Violet

Publié le 19 mars 2009 par Ecosapiens

Dans l’univers des bits tout peut se recombiner, tout est flexible. Tout peut être merveilleux et magique. Malheureusement, nous sommes nés du mauvais côté de l’écran. Nous ne sommes pas faits de bits, nous sommes faits de chair, de sang et d’atomes. Nous vivons le plus clair de notre vie dans un monde physique, qui est dur, obtus, non adaptable, sans magie.

Voilà un extrait du rêve de Violet.

C’est ainsi que s’expriment les concepteurs du Nabaztag. Vous ne connaissez pas le Nabaztag ? C’est une boite numérique en forme de lapin (les oreilles-antennes peuvent bouger…) qui s’apparente à un objet de déco genre freebox. Ca parle, ca fait de la lumière, et surtout ca se branche sur Internet avec votre réseau wifi préféré. Afin d’être enregistré, personnalisé et donc “intelligent“.

L’entreprise derrière ce gadget, Violet, se définit d’ailleurs avec l’objectif développer des technologies, produits et services qui permettent de rendre “intelligents” et communicants des objets aujourd’hui inertes.

Rendre les objets intelligents. Une belle leçon de métaphysique s’annonce.

D’ailleurs, côté métaphysique, poursuivons le rêve de Violet:

Le rêve de Violet est donc de faire de l’espace physique, celui dans lequel nous vivons – nos maisons, nos bureaux, l’espace public – un endroit riche, intelligent, connecté, personnalisé, merveilleux, ludique.
Un espace qui ne simule pas la 3D, mais qui est naturellement en 3D. Un espace qu’on n’explore pas à travers un navigateur mais avec ses pieds ; qu’on n’effleure pas de la pointe de la souris mais qu’on saisit à pleines mains ; dont les icônes ne sont pas des symboles dessinés mais de véritables objets ; qui ne nécessite pas d’apprentissage puisqu’il sait lire nos habitudes quotidiennes. Un monde qui ne monopolise pas que le regard, mais passe par tous les sens : la vue, l’ouïe, le toucher, le geste, la parole, l’odorat.

Un environnement qui n’est pas une métaphore de notre environnement, mais sa tautologie. Un monde sur lequel on ne clique pas, mais dans lequel on vit.

Comprenne qui pourra ! Le monde n’est-il pas déjà en 3D ? On nage en plein Orwell. Il s’agit d’exalter le monde virtuel pour à la fin dire que le monde virtuel, c’est le monde réel. Ou sa tautologie !

En 1966, l’auteur de Science Fiction Philip K. Dick écrivait Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? (qui au cinéma s’appelle Blade Runner). Un titre qui pose d’emblée la question de ce que peut l’inerte, la machine par rapport à ce que peut le vivant.

Quelle tristesse de voir que le rêve de Violet consiste effectivement en lapins électriques. Quelle tristesse de trouver que le “meatspace” (ainsi nomment-ils le monde réel…) est obtus et l’univers des bits, le bitspace, “magique”.

Or, celui qui n’est pas capable de s’émerveiller devant la nature, le vacarme des enfants, la bancalité des constructions humaines, la complexité des relations humaine, la vie quoi ! celui qui du coup exalte Amazon parce qu’il nous reconnaît grâce à un cookie et y voit de la convivialité, .

Il est en plus victime d’une belle contradiction. Dénigrer ainsi les objets “idiots” c’est donc reconnaître que l’intelligence du monde réel existe. Et vouloir le transposer au cyberspace c’est souhaitable, mais ce rend pas l’objet “intelligent”.

Ou alors, cela revient à dire que “la nature est cruelle”

Quoiqu’il en soit, cette volonté de toute puissance (faire que le monde soit adaptable à sa volonté, ses envies de customisation etc) m’effraie. Le rêve de certains est décidément le cauchemar des autres.

PS: je vous conseille vivement de subir la présentation sonore dudit lapin: tout y passe ! On peut lui demander la Bourse et une voix féminine répond “La Bourse va très bien”.