Paso Doble n°129 : La grande peur de l’an deux mil neuf

Publié le 25 mars 2009 par Toreador

A las cinco de la manana..

Terreur ou Grande Peur ?

Hier, la Révolution française était à l’honneur. A ça ira, ça ira, ça ira…Et puis, ça n’ira plus.

Dans la presse écrite, Libération parle des grands patrons comme ces nobles de 1789 accrochés à leurs privilèges. Chez Autheuil, on réutilise le même argument mais le bouc-émissaire est l’énarchie. Il est vrai que périodiquement, Autheuil aime nous faire du Raoul Girardet et broder sur le thème de la conspiration et de ces inspecteurs des Finances qui nous gouvernent. Ce type a dû louper le concours de l’ENA. Quant à Malakine, qui s’interroge sur le rôle social des riches, il file la même métaphore.

Cette crise des élites, je vous en avais moi-même parlé et j’avais également succombé au mythe de 1788 dans un billet intitulé « L’Ecclésiaste ou la trahison des clercs« . C’est là où l’on s’aperçoit que l’originalité de votre serviteur laisse à désirer, parfois…

Il faudrait en réalité plus comparer cette crise avec la grande peur de l’An Mil. D’abord, parce qu’elle en a les caractéristiques : une terreur  gagne les campagnes européennes à l’approche d’une apocalypse que d’aucuns analysent comme une forme de Jugement Dernier.

Ensuite parce que le mythe de l’An Mil fut forgé au XVIème siècle pour discréditer le Moyen-Âge, un peu comme les post-capitalistes et les médias traiteront de cette crise, dans leurs manuels d’économie appliquée, dans vingt ans…

Société de petite vertu

Je n’achète pas complètement les arguments de Malakine, Minc ou Autheuil parce que, quelque part, ils reportent le problème sur une partie de l’élite. Je pense au contraire qu’il s’agit d’un problème est plus profond que celui du système économique ou de tel ou tel groupe social. En réalité, ce qui manque à notre époque moderne, c’est ce que les Romains appelaient la vertu, cette qualité citoyenne qui rend la loi superflue.

Si Sarkozy et Obama, le second avec plus de talent que le premier, multiplie les menaces de régulation législative, c’est parce qu’il y a quelque chose de pourri au royaume d’Occident.

Qui a tué la vertu ? Tout le monde. La vertu est une qualité qui régresse à tous les niveaux de la société. Il s’agit là d’une conséquence évidente d’une société matérialiste qui a fait de la consommation le but ultime du développement humain, et donc de l’argent le principal marqueur social.

Regardez le succès des émissions de télé réalité qui proposent une ascension sociale rapide à une jeunesse un peu désorientée. Entre bosser à l’usine pour 1 fois le SMIC pendant 40 ans et tenter sa chance pour devenir Loana, qui hésite ? La seule valeur qu’on vous demandera est physique : être beau/belle. Et être impudique. Brader son corps, sa jeunesse, sa réputation pour le pix d’un paradis facile.

Autre symptôme de désagrégation : le mépris envers les professions intellectuelles. Il y a un siècle, les Universitaires, les Normaliens, les instituteurs occupaient le haut du pavé. L’écrit a cédé la place à une culture de l’oral, en s’accommodant à une massification de la société. On privilégie donc les moyens de communication de masse dont les grands héros sont présentateurs, animateurs et autres humoristes. Heureusement, le blogueur lutte…

Société de (t)riches

Ces deux exemples sont évidememment réducteurs, et il ne s’agit pas de tomber dans le « ah, c’était mieux du temps du maréchal » (pour cela, allez lire Ridicus), mais ils témoignent de la formidable accélération qu’ont connu nos sociétés modernes et de la révolution copernicienne qu’a connu notre systèmes de valeurs. Il y eut un temps où l’honneur/la réputation était un objectif tout aussi important que l’argent. L’un et l’autre allaient de pair, et ne pouvaient s’acquérir que par la lignée ou le travail.

Le XXème siècle a subitement découvert que la réputation était une valeur interchangeable avec la célébrité – plus besoin d’avoir une bonne réputation, une réputation suffit.

Quant à l’argent, c’est une valeur qui s’est progressivement décorrélée de la profession occupée. Nos ancêtres étaient bien plus habitués à l’inégalité que nous le sommes et ils étaient dans une pyramide où le niveau d’études conditionnait le pouvoir d’achat.

Force est de reconnaître qu’aujourd’hui, on proteste plus aisément contre ceux qui sont indécemment riches. Néanmoins, cette colère n’est pas tant tournée vers le fait d’avoir de l’argent que sur la légitimité à en avoir. Vous ne verrez personne trouver honteux qu’un gagnant de loterie nationale soit multimillionnaire. Idem pour une star du football ou un acteur à la mode. A l’inverse, on réclamera la démission d’un ministre qui a un appartement trop grand et on cherchera à plafonner le salaire d’un capitaine d’industrie.

Nos sociétés de consommation, d’image et de loisirs ont désormais leur propre système de valeurs, un système qui conçoit différemment la légitimité de l’enrichissement et qui fait de la notoriété une valeur en soi, indépendamment de critères moraux. C’est un système d’ascension sociale qui ne favorise pas forcément les plus cultivés,  les plus intelligents, voire les plus travailleurs – ne parlons même pas des plus saints ou des plus nobles – mais plutôt les plus doués (au sens de talentueux),  les communiquants, les chanceux. A la vertu qui s’acquiert lentement, la société préfère la rapidité de la fulgurance.

Mais les châteaux de cartes qui se montent en un jour sont hélas bien fragiles lorsque le vent forcit…