Le Docteur

Publié le 25 mars 2009 par Corcky



Un lecteur assidu et fidèle, chanteur à ses heures, ange producteur de vodka au goût banane, carabiné carabin et accessoirement fort agréable compagnon de pique-nique estival, m'a inspiré le billet du jour.
Qu'il en soit remercié maintes fois et que les dieux lui accordent la vigueur de l'ornithorynque en période de rut,  car je dois t'avouer, ami lecteur, que ma muse Calliope avait décidé d'aller se jeter un petit godet au bar Chez Francis en compagnie de ses frangines Clio et Polymnie (Thalie, elle, est en RTT jusqu'à la fin de la semaine, partie surfer à Mimizan).
J'étais donc méchamment à court d'idées, jusqu'à ce que Melpomène vienne me souffler à l'oreille qu'il était peut-être temps de te parler de celle qu'on appelle affectueusement, là où je travaille,  "Docteur Mengele".
Adèle (appelons-la "Adèle", tu veux bien?) est le médecin attitré de nos Appartements de Coordination Thérapeutique.
Pour te la faire courte, disons qu'elle s'occupe du suivi médical d'une vingtaine de personnes malades du Sida en situation de grande précarité sociale, tous originaires d'Afrique subsaharienne.
Au vu de ce que je viens de te dire, tu serais légitimement en droit de penser qu'Adèle est un toubib particulièrement sympathique, la crème de l'humain, ce qui se fait de moins pire en matière d'Homo Sapiens en blouse blanche, étant attendu qu'elle se coltine, du lundi au vendredi, ce que la misère et les balbutiements du corps produisent de plus déprimant.
Une sorte de croisement entre le héros de la Cité de la Joie (le film) et le docteur John Carter d'Urgences, quoi.
Tu serais en droit de le penser.
Et tu te fourrerais le doigt dans l'oeil jusqu'au coude, ami lecteur.
Adèle a de drôles d'opinions sur ses patients.
Adèle pense que les appartements de coordination thérapeutique sont assez mal entretenus.
Voire carrément transformés en dépotoirs du Tiers-Monde.
Et elle a l'explication, Adèle, toute chaude sortie de son docte cerveau surdiplômé:
- J'ai fait une visite à domicile chez monsieur Diarra...mon Dieu, si tu avais vu l'état de son studio! Atroce. Tout simplement atroce. Il faudrait voir un peu à leur faire comprendre, à ces gens, qu'un studio à Rosny Sous Bois, c'est pas une case à Bamako!
Ces gens, selon Adèle, sont  de gentils illettrés au sourire doux et au quotient intellectuel relativement limité, à qui l'on s'adresse comme à un enfant de six ans, histoire de bien se faire comprendre:
- Madame Batantu, écoutez-moi bien: les petites graines bleues se prennent avec le mafé du soir, et les petites graines rouges se prennent avec celui du matin. Vous comprenez?
- Non. Qu'est-ce que vous appelez des graines?
- Ces petites choses colorées contenues dans ces jolies boîtes en carton.
- Ah. Mes médicaments, quoi.
- Voilà.
- Je ne mange pas de mafé le matin, ceci dit, je suis plutôt café au lait et tartines...
- Ah ben je suis contente! Vous vous adaptez bien!
Adèle a tendance à confondre Dakar et Ouagadougou, Yamoussoukro et Yaoundé, mais ce sont des lacunes qu'elle assume avec un certain courage, voire une dignité qui force l'admiration:
- Bah, tu sais, de toute façon, tout ça, c'est un peu pareil, quand tu regardes bien...ils pourraient tous jouer des seconds rôles dans Black Mic Mac, mouahahaha!
Adèle, comme tout le monde, avait son mot à dire sur les récentes et controversées déclarations papales.
Adèle n'est pas spécialement catholique, note bien.
Non.
Adèle se contrefout de Benoît Treize et Trois, de la Sainte Bible et des marchands du Temple qui grouillent devant la grotte de Lourdes comme des morpions sur un pubis douteux.
Ce qui l'a fait bicher, Adèle, c'est de trouver quelqu'un qui semblait enfin la comprendre.
Parce que tu te doutes bien que dans notre petite équipe, la mode du Y'a bon Banania, elle est à peu près autant en odeur de sainteté que la musique berbère dans les milieux du rock identitaire. Et que souvent,  Adèle a un peu l'impression qu'on la regarde  comme un vieux chewing-gum oublié sur une semelle par temps de canicule.
Ce en quoi elle ne se trompe pas de beaucoup, je dois l'avouer (oui, j'ai été vilaine).
Alors tu penses bien que quand elle a ouvert les débats, pendant la dernière réunion de service, pas plus tard que lundi, elle avait le sourire jusqu'aux oreilles, Adèle, la lipe en accent aigu et la narine frémissante.
- On en fait tout un foin, de cette histoire de Pape à capote (papakapote?), mais en fin de compte, quelque part, s'ils arrêtaient un peu de baiser comme des lapins, ils le choperaient moins, le Sida, les pôv' petits Africains que tout le monde plaint si fort!
Voilà.
On hésite un peu entre la médecine vétérinaire et le Grand Sorcier Blanc venu apporter la Lumière aux barbares des colonies.
Oui, c'est ça.
Adèle, c'est un peu la fille spirituelle de Daktari et du docteur Schweitzer.
Un jour, on découvrira que Victor Frankenstein ne fut pas le fruit de l'imagination ô combien fertile de Mary Shelley.
Un jour, on apprendra qu'il a réellement existé, qu'il appréciait les cerises confites au gingembre, la musique baroque et le massage des pieds, qu'il souffrait d'eczéma et de ballonnements intestinaux.
Et qu'il a eu une descendance.