Ambassadeur d'Iran : « En Afghanistan, la solution ne doit pas être d'ordre militaire ».

Publié le 27 mars 2009 par Delphineminoui1974

Seyed Mehdi Miraboutalebi est le nouvel Ambassadeur de la République islamique d'Iran à Paris.

Dans une interview accordée au Figaro.fr, il revient sur les relations franco-iraniennes, sur la crise du nucléaire et sur le dossier afghan, pour lequel l'Iran vient d'envoyer un représentant à la conférence de Moscou, organisée sous l'égide de l'Organisation de coopération de Shanghaï (OCS - Russie, Chine et quatre pays d'Asie centrale).

Il évoque également la délicate question d'un rapprochement avec l'Amérique.


On assiste à une crispation des relations franco-iraniennes depuis quelques années. Que reprochez-vous à la France ?


La France est un pays majeur de l'Union Européenne. Après la révolution islamique, et surtout après la présence de l'imam Khomeiny en France, elle a fait face à de nombreuses  opportunités lui permettant de renforcer sa présence en Iran. L'opinion publique iranienne a dressé un véritable tapis rouge à la France.  Pourquoi la France n'a-t-elle pas su saisir cette opportunité ? Pourquoi a-t-elle a soutenu Saddam Hussein pendant les 9 ans de guerre imposée à l'Iran ? Pourquoi a-t-elle fourni les armes les plus perfectionnées à Saddam ? Dans le jeu politique nucléaire américain, la France a toujours devancé les Américains dans les sanctions. Par conséquent, nous sommes navrés et désolés de constater que la France emprunte un chemin qui va à l'encontre des intérêts français et des intérêts des relations bilatérales.


Qu'attendez-vous aujourd'hui de la France ?


Qu'elle arrête de faire comme les Américains. Qu'elle comprenne qu'on ne renoncera pas à l'enrichissement d'uranium. L'autobus a démarré. Si elle veut monter dans cet autobus, elle est la bienvenue. Elle pourra alors participer avec nous à la construction de nouvelles centrales. L'Iran peut être un excellent partenaire pour la France. On peut aider la France dans l'approvisionnement en gaz. Nous pouvons l'aider sur le dossier afghan, sur l'Irak, sur la résolution des problèmes du Moyen-Orient. Mais encore faut-il que la France soit prête à jouer ce rôle de premier plan, à se distinguer des Etats-Unis.

Si on revient quelques années en arrière, la France a proposé à l'Iran, au sein de la troïka européenne, un paquet de mesures incitatives pour résoudre la crise nucléaire. Pourquoi l'Iran a-t-il refusé cette offre ?

 
J'insiste en disant que le nucléaire est un jeu politique. Et j'ai mes raisons. Pour votre information, il y a pratiquement 37 ans que l'Iran a signé le TNP (Traité de Non Prolifération). L'Iran est devenu membre du TNP car on estimait que si l'ensemble des pays signataires acceptent de tenir leurs engagements, alors le monde entier pourra emprunter le chemin de la paix et stabilité. Que dit le TNP ? D'abord, le désarmement nucléaire des pays détenteurs d'armes nucléaires. Ensuite, il s'agit de tout faire pour éviter  la prolifération nucléaire. Enfin, il préconise  l'assistance technique aux pays signataires pour qu'ils aient la possibilité d'accéder au savoir-faire relatif au nucléaire civile - par exemple l'utilisation de la technologie nucléaire pour produire de l'électricité,  pour la médecine, l'agriculture. Or, quelle a été l'attitude des pays signataires sur la base de ce traité ? Et bien, les pays détenteurs du nucléaire qui disposent de plus de 27000 têtes nucléaires n'ont jamais rien fait dans le sens du désarmement. Premièrement, non seulement  ils n'ont rien fait en matière de désarmement, mais chaque jour, ils développent leur programme.  Deuxièmement, non seulement ils n'ont strictement rien fait en matière de non prolifération mais en plus, ils sont allés à l'encontre de la loi, ils ont encouragé les pays à développer le nucléaire. Par exemple, la France et les Etats-Unis sont les deux pays qui ont permis à Israël d'accéder à l'arme nucléaire. Aujourd'hui, le régime sioniste  dispose de 250 têtes nucléaires. Donc ces deux pays ont enfreint le traité de non prolifération. La France et les Etats-Unis coopèrent également avec l'Inde, un pays qui n'a jamais signé le TNP. Ce sont des exemples flagrants d'infraction commise par la France et les Etats-Unis. Troisièmement, au niveau de l'assistance technique, non seulement l'Iran n'a jamais bénéficié d'assistance technique, mais en plus ils ont menti à la communauté internationale. Pourquoi ? Car d'après les statuts du TNP, il est écrit noir sur blanc que tout pays qui souhaite procéder à l'injection du gaz dans les centrifugeuses a le devoir d'en informer l'agence 180 jours à l'avance. Le jour où les Américains ont évoqué pour la première fois le dossier nucléaire iranien, on n'avait même pas de centrifugeuse pour en informer l'agence. C'est un exemple de mensonge flagrant comme celui qui servit de prétexte, en 2003, à l'invasion américaine en Irak - qui est l'origine de la mort de milliers d'innocents. 

Vous voulez dire que vous vous sentez incompris ?


Il y a 35 ans, nous avons signé des accords pour la fabrication de 20 000 mégawatt d'électricité d'origine nucléaire avec l'Amérique. D'ailleurs, les Américains ont construit pour l'Iran une petite centrale nucléaire d'essai à Téhéran, qui est toujours en fonctionnement. On a également signé avec la France un accord nucléaire dans le cadre d'Eurodif. De même avec l'Allemagne. Mais au début de la révolution, tous les pays occidentaux ont unilatéralement interrompu la totalité de ces contrats. Autrement dit la première graine du manque de confiance a été plantée ce jour là par les Occidentaux. J'insiste : il s'agit d'un jeu politique. Pourquoi ? Parce que depuis des années, les Etats-Unis coopéraient de manière étroite avec l'ancien régime iranien. Les Américains ont fomenté un coup d'Etat en Iran. Les Américains avaient une entière connaissance des capacités et des ressources de l'Iran. Le jour ou les Américains ont fait face à la colère populaire du peuple iranien et qu'ils ont été expulsés d'Iran, et bien pour pouvoir préserver leur présence en Iran et la possibilité d'un retour en Iran, ils ont tout mis en œuvre en invoquant de manière totalement mensongère ce dossier nucléaire. Ils ont cherché à éviter que des partenaires occidentaux puissants qui auraient pu les remplacer en Iran puissent coopérer avec nous. Ils  ont ainsi évoqué ce que j'appelle le sujet nucléaire.

Malheureusement, les pays européens ont suivi aveuglement les Etats-Unis sans prendre la peine d'étudier le problème, sans prendre en compte les réalités.Donc, en matière de confiance, permettez-moi de dire que c'est nous qui avons plus de raison de ne pas avoir confiance en l'Amérique. C'est pourquoi nous avons opté pour notre propre chemin, et nous avons essayé d'utiliser les jeunes diplômés iraniens dans la quête du savoir faire nucléaire.
Au milieu du chemin, les trois pays européens ont tenté de jouer un rôle d'intermédiaire et de trouver une issue adéquate à ce dossier. Nous, pour essayer de prouver notre bonne foi, et sachant pertinemment que nous n'avions commis aucune infraction, nous avons essayé de coopérer. Mais malheureusement, nous avons perdu deux ans et demi. Nous avons accepté de suspendre. Mais après ces deux ans et demi de coopération totale, on a été confronté à une attitude illogique et illégale de ces pays. Illégale parce que nous sommes signataires du TNP, et donc nous avons le droit légitime de bénéficier des droits qui nous reviennent. Illogique car nos amis européens nous ont dit texto : Accéder à l'énergie nucléaire civile est votre droit légitime, mais vous devez mettre un arrêt pour toujours à l'enrichissement d'uranium.

Imaginez, cela revient à dire vous avez droit à une voiture, mais qu'il n'est pas question d'y mettre de l'essence. La machine, vous ne l'achetez pas pour en faire votre chambre à coucher, mais pour la conduire ! Si vous n'avez pas de combustible, d'essence, comment voulez-vous la conduire ? Si vous nous dites : c'est nous qui vous fournissons le combustible, à ce moment là on serait tenté de vous dire : vous avez déjà montré de quoi vous êtes capables, n'oubliez pas qu'on est vos partenaires au sein d'Eurodif. Si vous aviez tenu vos engagements, on ne serait pas dans la situation actuelle. Donc on en vient à la conclusion que vous avez pris votre décision depuis longtemps, et que finalement, Q la négociation n'est jamais autre chose qu'un prétexte. Votre seul objectif, c'est d'essayer de nous éloigner du chemin qui correspond à notre droit légitime, donc c'est pourquoi, par conséquent, nous avons décidé de poursuivre notre propre chemin.

Aujourd'hui, le fait est que nous avons déjà accédé à la technologie et au savoir-faire. Ce savoir-faire se trouve désormais inscrit dans le cerveau de nos savants. Ce qui est inscrit dans le cerveau ne peut pas s'effacer avec la menace et les bombardements. Mais de toute façon, cette attitude est inadéquate. La science et le savoir-faire ne peuvent être le domaine privilégié d'un petit nombre de pays. Seuls quelques pays s'arrogent le droit d'avoir accès à la technologie. Ils disent qu'ils n'ont pas confiance envers l'Iran. Si dans l'histoire un pays ne doit pas faire confiance à d'autres pays, c'est l'Iran.

 
Au cours des derniers siècles, l'Iran n'a jamais attaqué un autre pays. Par contre l'Iran a été attaqué. Mais l'Iran s'est défendu. Ce sont les Américains qui ont exploité les armes de destruction massives, ce sont les Américains qui ont commis les infractions, qui n'ont pas suivi la réglementation de l'agence sur les volets du désarment et de la prolifération. Quant à l'Iran, il a été un des premiers pays signataires d'un Moyen Orient libre de toute arme nucléaire.

Vous savez, nous avons proposé à nos amis français de participer au programme nucléaire d'enrichissement d'uranium iranien. Nous pensons que si nos amis français cherchaient vraiment à trouver une issue, s'ils ne cherchaient pas à suivre ce jeu politique américain, ils auraient pu avoir une participation active dans la fabrication du combustible et dans la construction des 20 centrales nucléaires iraniennes.


On a l'impression d'être face à une impasse. D'un côté, le refus iranien de suspendre se activités. De l'autre, la menace de nouvelles sanctions.... Quelle solution voyez-vous ?


Nous insistons en disant qu'il faut un compromis équitable. Nous sommes signataires du TNP, nous voulons bénéficier des droits qui nous sont liés. La totalité des points évoqués de manière erronée ont été évoqué par quelques membres du Conseil de Sécurité, dont l'Amérique en tête. Mais ces différents points qui ont été mis devant l'agence internationale ont été élucidé un par un. Aujourd'hui, il n'y a plus aucun obstacle relatif à nos activités nucléaires civiles du point de vue technique. Donc du point de vue technique, il n'y a plus de raison que notre dossier soit au Conseil de Sécurité. Mais en politique, on peut trouver des prétextes jusqu'à l'éternité... En persan, il y a une expression qui dit : Si quelqu'un dort, et vous le secouez, il se réveille immédiatement mais si la personne feint de dormir, peu importe que vous la secouez fort ou pas, elle ne se réveillera jamais. Aujourd'hui, la situation est ainsi faite. Ils ne veulent pas résoudre ce dossier.


La main tendue par Obama, n'est-ce pas une opportunité pour essayer de retrouver une certaine forme de confiance entre les deux pays et de résoudre la crise nucléaire ?

Cette main tendue, il faut la voir dans la pratique et dans les faits. Les Etats-Unis ont un passé très noir auprès de l'opinion publique iranienne. Ce passé fait qu'on attend dans les faits ce qu'ils vont faire. Pour l'heure, mise à part des paroles contradictoires, on n'a rien vu d'autre. Peut être que dans la pratique on le verra. Si ce changement se concrétise dans les faits, nous serons ravis d'être témoins des changements fondamentaux dans l'attitude et la politique américaine. Si les Etats-Unis persistent à adopter une attitude dualiste, s'ils préfèrent créer des gouvernements qui les arrangent sans tenir compte du vote et des désirs du peuple, alors nous n'avons pas de raison de nous engager dans un dialogue.


Le dossier afghan pourrait-il être le point de départ pour d'éventuelles discussions ? Que peut faire l'Iran pour aider au retour de la stabilité en Afghanistan ?

 
L'Iran est un pays voisin de l'Afghanistan. Des relations centenaires nous lient. Notre pays accueille près de 3 millions de réfugiés afghans depuis de longues années. Nous pensons donc pouvoir aider à  la paix et à  la sécurité en Afghanistan. Ce genre d'aide ne peut d'ailleurs passer que par les pays voisins. Il n'est pas acceptable que dix mille kilomètres plus loin, un pays comme l'Amérique s'arroge le droit de se considérer comme le gendarme de la planète, en envoyant ses soldats, dès qu'il le souhaite, sans se soucier d'assassiner des femmes et des enfants innocents. Il faut mettre un terme à ce type d'attitude. Nous sommes prêts à envisager une coopération sur le dossier afghan, à condition qu'elle soit fondée sur le respect des droits inaliénables de chacun, sur le vote du peuple et sur la stabilité. En Afghanistan, la solution ne doit pas être d'ordre militaire.

 
Comment voyez-vous les élections présidentielles iraniennes du 12 juin prochain ?

L'Iran est un des pays les plus libres du monde et les plus démocratiques. Là bas, la démocratie existe réellement. C'est le peuple qui gouverne. Il va de soi que tout ce qui sortira des urnes, on le respectera entièrement. Du point de vue de la gouvernance, chaque personne est à sa place dans notre système : l'exécutif, le judiciaire, etc. Notre politique est définie et claire. L'élection d'un président ne changera donc pas notre ligne politique. Quand l'Occident dit : attendons de voir le résultat des élections iraniennes, c'est l'une des autres erreurs commises par l'Occident. Dans le cadre de la République islamique, le changement de président n'apporte pas de changement sur la politique globale du pays.