Un échange inégal avec A.Minc

Publié le 31 mars 2009 par Vogelsong @Vogelsong

Vous avez combien de connexion jours ? Que je pèse votre poids“. C’est en faux béotien qu’A.Minc jauge une infime partie de la blogosphère dans les locaux de Vendredi Hebdo. Très décontracté et d’une extrême assurance, il a prodigué sa clairvoyance sur la France, le monde, l’Internet à des blogueurs citoyens manifestement pas à la hauteur dans “un échange inégal“.

A.Minc, marxiste
Faussement subversif, A.Minc se réfère souvent au marxisme. Le rapport de force est au centre de ses démonstrations. Il se présente sans complexe comme un membre de la classe dirigeante. Il aborde les problèmes en évaluant les partis par leur poids, leurs potentialités, leur valeur monétaire. Ensuite il déploie sa dialectique selon une grille idéologique très marquée à base de puissance et de servitude, “le propre du capitalisme est de transformer en argent le bénévolat” : très sarkozien finalement. La campagne présidentielle américaine laisse des traces.”L’Internet est un continent autre“, il vient alors se frotter à des ennemis jusque-là sans visage dont la force est difficilement mesurable. Mais il pressent la nuisance potentielle, le bruit de fond numérique critique du sarkozisme a atteint l’Elsysée. Quand il s’agit de pouvoir, en Sarkozie, on ne laisse rien au hasard.

Le populisme de la rue, la démocratie des sondages
La situation sociale de la France est délétère. Satisfait, le cosmocrate loue la qualité du travail des syndicats pour éteindre la colère en organisant une petite promenade mensuelle, dégourdissant pieds et esprits frondeurs. Qui fait de la CGT, CFDT les deux plus grands clubs de randonnée urbaine et pédestre de l’hexagone avec 2 et 3 millions de participants lors des derniers événements. Un vrai succès. Il célèbre l’action de N.Sarkozy pour favoriser les deux grandes centrales syndicales. Pour A.Minc, “ils sont formidables“. Manifestement elles le lui rendent bien. Comme tous les libéraux, il pointe le faible taux de syndicalisation et de représentativité des organisations pour assoir son discours. A.Minc se prononce très favorablement pour des syndicats plus fournis et (donc) plus conciliants (encore). Le conseiller spécial du Président raille les fonctionnaires qui ont un salaire indexé. Ils ne subissent pas l’appauvrissement du secteur privé. C’est l’antienne des conservateurs fustigeant les agents de l’état privilégiés qui n’ont qu’à se tenir tranquilles, car choyés. Il s’emporte, la rue ne gouverne pas, “c’est du populisme et on sait où cela mène“, tout en révélant, jovial, dans la foulée un sondage diligenté à l’hebdomadaire Marianne qui donne N.Sarkozy écrasant tous ses adversaires lors d’une présidentielle : Populisme dit-on !

L’art de la division
Manipulant parfaitement la division, il oppose le secteur privé et les autres, les “authentiques” victimes de la crise du capitalisme. La sarkozie en cette saison fait dans le compassionnel discriminant. Compartimenter, saucissonner, atomiser est la technique habituelle de la droite pour instaurer sa domination. Il oublie (ou feint d’oublier) que la société existe. Les acteurs interagissent au-delà de leurs classes, de leurs statuts. Les professeurs prennent de plein fouet l’appauvrissement de leurs élèves dont les parents sont précarisés. Les cheminots ont des enfants, de la famille, des amis qui peuvent vivre dans l’emploi intérimaire. Les maladies professionnelles ou la précarité dues au stress impacte le secteur de la santé. Mais il est bien plus profitable de fragmenter le corps social pour susciter des dissensions et manipuler les oppositions. Un extrait du guide de survie en temps de crise pour le pouvoir.

Continence ponctuelle
A.Minc joue sa partition en demandant de la continence à ses amis milliardaires, du moins jusqu’à ce que les choses reprennent leur cours normal. L’opinion prise en ciseaux devrait ainsi se montrer patiente, l’ordre maintenu, la paix conservée. Et sans l’once d’une remise en question des privilèges des nantis. Le mot d’ordre étant le statu quo fiscal quoiqu’il arrive. On ne lâche rien. Le bouclier fiscal bien que symbolique est l’exemple aveuglant sur lequel le pouvoir s’arcboute. À la fin des fins, l’objectif est de reprendre l’orgie au même point d’interruption. Comme H.Guaino, il ne voit aucun autre système que celui du marché en terme d’efficience et d’évolution. Une affirmation péremptoire qui déclencha de frénétiques hochements de tête parmi de cossus blogueurs parisiens “Un mauvais système, mais le moins pire“. Une randonnée dans les favelas d’enfants véreux devrait être au cursus des hommes de pouvoir des pays dits développés*. De plus, il ne distingue aucune limite psychologique ou physique à cette utopie dispendieuse.

“Dans tout écologiste sommeille un pétainiste”
A.Minc est manifestement hermétique à l’écologique. L’ordre immanent passe par une équation simple : la croissance infinie et l’énergie nucléaire, régulées par le protocole de Kyoto. Il a rencontré Y.Arthus-Bertrand qu’il prend pour un écologiste, en tire une maxime percutante, “dans tout écologiste sommeille un pétainiste !“. S’emportant contre la dictature verte, “Je préfère la démocratie des hommes à celle des petits oiseaux et des fleurs“. Un peu court sur toute la ligne. Le concept de décroissance l’horripile notoirement. Cohérent, A.minc ne veut rien partager. En effet, la pénurie chez les plus pauvres est telle que s’ils devaient consommer moins cela leur serait insupportable. Jamais le concept d’une décroissance avec redistribution du sommet vers le bas ne lui vient à l’esprit. Il est inconcevable de lâcher des miettes même lorsque l’équilibre global est en jeu. Mais malheureusement ces sujets ne seront pas approfondis. Penser que le protocole de Kyoto est suffisant, faire une confiance aveugle à Areva. Le faux nez de l’utopisme libéral et conservateur qui se veut pragmatique et gestionnaire.

La bonne parole sarkozyste
Stratège de la politique intérieure, il n’a pas de mots assez forts pour débiner F.Bayrou qu’il qualifie de “pétainiste soft”, et pour lui “Ségolène à côté […] est un stakhanoviste“. Il désigne aussi C.Estrosi et F.Lefevbre comme des poupées de son de la scène médiatique. Finalement pour A.Minc “la politique c’est avoir M.Hirsch et F.Lefevbre dans le gouvernement“. Une question de casting somme toute. L’empreinte Sarkozyste surement.
Les blogueurs peu prolixes sur N.Sarkozy n’ont pas permis à l’éminence grise de porter la bonne parole. Il le fera lors d’une ultime relance. Prétendant que N.Sarkozy est un OVNI détesté des bourgeois. Un trublion incontrôlable, un bon gars proche du peuple, qui en a les manières. Les bourgeois le détestent pour sa versatilité. Ils préfèrent l’austère triste F.Fillon. C’est (évidemment) un conte de fées pour blogueurs neurasthéniques et journalistes installés. A.Minc veut faire oublier les avantages fiscaux, la loi TEPA, la politique sécuritaire, la démagogie législative (un fait divers, une loi). Mais surtout il oublie que les bourgeois votent avec leur calculette. La rusticité culturelle, comportementale et linguistique du Président est plus probablement due à la paresse décadente d’une vie opulente.
De plus, affubler certains de ses opposants de “pétainisme” est sidérant dans la bouche d’un zélateur de celui qui : siphonne les voies du FN, pratique la politique de la gamelle, remplit les charters et organise les quotas d’immigrés de couleur, fait pression sur les médias, muselle internet, annonce une loi par fait divers, insulte ses concitoyens, etc…

A.Minc est indéniablement sympathique et dispose d’une bonne dose d’humour. Il consacre une heure de son capital temps à deviser avec des citoyens/internautes insignifiants (médiatiquement, il vaut mieux préciser avant de déclencher des ires égotiques). L’homme est ouvert et curieux. Il ne croit pas en un changement de paradigme avec blogs, “signifiants, mais pas significatifs“. A.Minc, c’est l’intelligence, la connaissance, l’esprit brillant et synthétique mis à disposition d’Ubu, le sarkozisme. Pour un libéral qui veut le “bien” de la cité, c’est un choix peu efficient.
Narcissique, individualiste et servile, le blogueur se révèle un interlocuteur facile. Les politiques saisissent rapidement le rapport de force. Ils comprennent que la déstabilisation n’est pas à l’ordre du jour. Le discours alors ronronne. Le blogueur se fane en acquiescements. Le prince n’a finalement pas tort de n’y voir aucune menace.

*Démagogie. Pour persister et juger de l’efficiente répartition des richesse du capitalisme, la vibrante description des favelas de J.Ziegler dans ‘l’empire de la honte” p.206

Vogelsong - Paris - 31 mars 2009