Québec : La trace du Musher

Publié le 30 mars 2009 par Kanawata

Dans le silence de la forêt québécoise, tout semble figé, pas un bruit, seul l’aboiement plaintif des chiens de traîneaux et le cri du musher hurlant ses ordres viennent troubler la quiétude de ces grands espaces. Nous sommes au Québec dans la région de la Haute-Mauricie à 3 heures au nord-est de Montréal. Ici la nature a gardé ses droits. C’est une des dernières régions touristique du Québec encore sauvage, mais pour combien de temps. Devant le boom extraordinaire du tourisme d’aventure, cette partie de la belle province va, dans quelques années se développer et ouvrir ses chemins secrets que seuls les québécois connaissent.
Nous sommes en compagnie de Gilles Proteau, ce québécois aux allures de trappeur, natif de La Tuque ville à majorité amérindienne, il est le créateur du réseau de pistes pour le traîneau à chien dans la réserve Saint-Maurice. Une réserve qu’il connaît sur le bout des doigts. Après des études universitaires, il passe sa carrière professionnelle dans les parcs et réserves fauniques. Et la réserve Saint-Maurice il la connait : il en a été le directeur pendant 18 ans. En 1999, il décide de quitter son travail pour mettre ses nombreux talents au profit de Matawin Aventures qui aujourd’hui compte 70 chiens qui font le bonheur et la joie des européens, mais aussi des gens du crû. Sa compagne Marcelle est née en Suisse dans le Jura, terre de prédilection pour le traîneau à chien. C’est la passion de ces chiens et des grands espaces qui lui ont fait choisir le Québec comme terre d’adoption. Marcelle n’est pas une débutante, en 1991 elle parcours la Laponie, participe à des raids en Alaska. Elle est devenue un véritable coureur des bois ne ménageant ni sa peine ni sa passion. L’alchimie de l’amour a fait le reste et aujourd’hui de nombreux circuits sont proposés allant de la demie-heure à 6 jours en passant par les randonnées nocturnes sous les étoiles et la froideur.

  La Blackfoot de Matawin Aventure
En ce matin de février, le froid est vif mais le ciel est bleu, limpide, pas un nuage. Déjà dans le chenil les chiens hurlent, tournent en rond, ils ont compris à l’approche de Marcelle et de Gilles que le grand moment est arrivé.
Après une caresse amicale, ils sont attachés de part et d’autre d’une longue traîne à la manière indienne. Seuls les Inuit les attachent en éventail. Les " mushers " nouveaux sont arrivés, ils viennent de France de Belgique de Suisse, ils n’ont jamais conduit un attelage mais les leçons données par Marcelle et Gilles sont religieusement écoutées, car tout à l’heure sur la piste, ils devront se débrouiller seuls avec leur attelage. Ils doivent apprendre, les ordres pour tourner à gauche, à droite, s’arrêter. Les chiens sont impatients, Jackson et Ice deux superbes huskies aux yeux bleu jouent les malheureux pour faire fléchir les maîtres et partir. Mais rien n’y fait, ils doivent attendre que tout le monde soit prêt. Un dernier conseil et les ordres des mushers résonnent dans la forêt….
Dans les aboiements de joie, les chiens s’élancent pour un circuit de 6 jours dans la réserve Saint-Maurice. Au début la piste est large, la neige abondante scintille au soleil, chaque attelage fait la course au grand dam des mushers débutants qui ne maîtrisent encore pas toutes les techniques. C’est aussi un test pour les chiens qui du premier coup d’œil savent à qui ils ont affaire ! Lors des premiers kilomètres, il faut être ferme et les rappeler à l’ordre, ensuite ils se calment et obéissent aux ordres. Nous traversons un dernier lac où quelques traces de loup encore fraîches ne rassurent pas les participants. Puis nous entrons dans la forêt. Là, mener un attelage devient plus difficile la piste n’est pas très large et les arbres nombreux……mais les chiens connaissent leur travail et la piste qu’ils ont mainte et mainte fois abordée.
De temps en temps Gilles jette un coup d’œil en arrière histoire de rassurer tout le monde. Nous passons à travers de magnifiques paysages, nous avançons au rythme des chiens, traversant ou longeant lacs, rivières et collines. Après deux heures de course, une cabane apparaît au bord d’un lac, c’est notre refuge pour la matinée.
C’est une véritable cabane de trappeur avec son bois rond et son poêle à bois. L’intérieur est modeste mais oh combien chaleureux avec ses raquettes sur les murs. Bientôt une boisson chaude réchauffera nos membres engourdis tandis que le feu qui ronfle dans la cheminée laisse échapper une bonne odeur de lard grillé que nous croquerons tout à l’heure. Une simple lampe à huile nous sert d’éclairage tandis que sur les murs, des panaches d’orignaux nous rappellent que cet animal est aussi présent dans la forêt. Mais pour l’instant il faut s’occuper des chiens, les attacher, les caresser, vérifier s’ils n’ont pas été blessés aux pattes, l’attelage doit être passé en revue afin de ne pas avoir de surprises tout à l’heure lors de l’étape suivante.

  Un camp dénommé
Après un repas copieux nous repartons. Les chiens ne demandent qu’à courir dans la neige ! Pour eux, c’est un besoin que bon nombre d’entres nous oublient en gardant ces animaux dans leur appartement. C’est une race qui a besoin de grands espaces, la forêt et la neige sont leur univers.
Vers la fin de l’après-midi le froid se fait plus vif, le soleil commence à décliner et déjà les premières étoiles scintillent dans le ciel devenu laiteux. Il est temps d’arriver à notre halte d’un soir.
Après quelques kilomètres dans la forêt d’épinettes et de bouleaux nous sommes en vu du camp " Cayenne ". Ce n’est pourtant pas le bagne mais une bâtisse de bois rond défraîchi par le froid et le gel qui apparaît au bout de la piste, sa cheminée fume et les chiens tirent très fort sentant l’heure du repos arrivée. Mais pour nous, il faudra attendre un peu ; il faut d’abord s’occuper des chiens, participer à la préparation des repas. Et quelle joie que de les entendre hurler pour nous remercier. Ils se pelotonneront ensuite dans la neige pour passer la nuit à la belle étoile. Quant à nous, une bonne tasse de thé ou de chocolat au coin du feu fera pour le moment notre affaire en attendant le repas du soir composé d’une succulente fondue à l’orignal arrosée à la bière du pays. Ce sera ensuite le récit de la journée et les histoires de Marcelle et Gilles qui ne tarissent pas sur leur vie en forêt avec d’adorables compagnons. Mais il se fait tard, chacun regagne son lit douillet bercé de temps à autre par le hurlement d’un chien qui répond à ses frères, les loups, dont la meute est en quête de nourriture. L’esprit de Jack London n’est pas loin.

  L’aventure est au bout de la piste
Le lendemain, il neige et il est difficile d’apercevoir les chiens qu’une bonne couche de neige recouvre. Ils sont là guettant le moindre signe de vie dans notre chalet.
Une fois habillés, un petit déjeuner copieux nous attend, lard grillé dont l’odeur taquine nos narines, toasts rôtis au feu de bois, œufs au plat, crêpes au sirop d’érable accompagnées d’un bon chocolat chaud d’un café ou d’un thé. Nous rejoignons ensuite nos compagnons à quatre pattes, qui se laissent harnacher avec gentillesse réclamant sans cesse des caresses.
Une petite neige commence à tomber, qui se fera de plus en plus drue au cours de la journée. Et toujours la piste dans la forêt, les chiens se frayent un passage à travers les arbres hurlant de temps en temps. Dans un battement d’ailes une gelinotte à la recherche de nourriture s’envole sur un arbre, elle attendra notre passage pour reprendre sa quête de nourriture. A midi nous faisons halte dans la forêt, le campement est dressé par Gilles et Marcelle mais chacun met un point d’honneur à donner un coup de main, il faut couper du bois, chercher de l’eau, préparer la poêle ou cuiront les saucisses et autres steaks et bien sûr veiller au confort des chiens qui jouent les incompris pour bénéficier d’une caresse supplémentaire. Puis ce sera le départ vers un autre camp toujours en pleine forêt, dans la réserve faunique Saint-Maurice. Au détour d’une piste nous apercevons un carcajou s’enfuyant avec une proie " volée " sur une ligne de trappe. Le trappeur aura une mauvaise surprise lors de la relève de sa ligne. Cet animal est le plus gros prédateur de la forêt, lorsqu’il découvre une ligne de trappe, il dévore tous les animaux pris au piège. Inutile de déplacer ses lignes, le trappeur sait que lorsque qu’un tel animal est présent, les lignes de trappes situées dans un rayon de 10 km sont systématiquement visitées !

  Loin de la civilisation
Tout au long de ce raid nous progressons dans la forêt avec le même rituel. Mais quelle enchantement, loin de la civilisation nous ne savons plus ce qui se passe sur la planète terre... Pas de radio, encore moins de télévision et de journaux, nous vivons pour quelques jours la vie des coureurs des bois qui eux ont pratiqué cette vie durant de longues années avec pour seuls compagnons leurs chiens et la forêt dont ici on ne voit pas le bout. C’est un peu un retour aux sources et une belle leçon d’humilité devant cette nature qui ne demande qu’à être observée. Au cours de ce raid nous serons initiés à la raquette, seul moyen de déplacement dans la neige profonde.
Notre dernière journée sera consacrée à la pratique de la pêche blanche. Un simple trou dans un lac gelé et nous remontons quelques truites de dorés (sandres). Nous rencontrerons également un trappeur qui nous contera de belles histoires de trappe le soir au coin du feu. Mais toutes les bonnes choses ont une fin. Demain la civilisation nous attend. Il faudra reprendre le rythme de notre vie, mais aussi quitter ce merveilleux pays cher à Félix Leclerc qui disait " Mon pays ce n’est pas un pays c’est l’hiver ".

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