Les sept vies de Bob Dylan...

Publié le 07 septembre 2007 par Chantal Doumont

On a souvent comparé Robert Zimmerman à l'homme aux semelles de vent. Le slogan cher au poète Arthur Rimbaud – « je est un autre »- a beau ne pas appartenir à Bob Dylan. Il lui va comme un gant. 

Partant de ce constat, Todd Haynes, réalisateur par le passé du splendide Loin du paradis et de l'hymne musical au glam rock, Velvet goldmine, construit avec I'm not there un portrait du chanteur américain en considérant que Dylan est, lui aussi, un autre. Mieux : une foule d'autres. Après tout, sa vie publique ne ressemble-t-elle pas au puzzle déglingué d'un homme éparpillé en nombreux morceaux ? 

Le puzzle du film, en l'occurrence, juxtapose, mélange, rassemble tout autant qu'il disperse sept vies, pas tout à fait imaginaires, du chanteur. Parmi elles, celle d'un gamin noir qui se fait appeler Woody Guthrie, l'idole de jeunesse de Dylan. Celle du porte-parole folk de la protest-song, Jack (Christian Bale), qui incarne au début des années 60 aux côtés d'Alice (Julianne Moore, en quasi-sosie de Joan Baez) le mouvement des droits civiques. 

Mais aussi celle d'Arthur (tiens, tiens), résumé à lui tout seul de James Dean, Marlon Brando et Jack Kerouac, qui pose en poète rebelle et partisan de la liberté libre chère à l'écrivain ardennais quitte à se fâcher avec la tribu pacifiste de ses glorieux débuts. Ou celle de Robbie (Heath Ledger, le cow-boy taiseux de Brokeback mountain) et de sa muse de femme, Claire (Charlotte Gainsbourg), avec laquelle Dylan se planqua au milieu des années 60. 

Celle encore de Jude (Cate Blanchett), comme Judas, accusée par la génération folk de prostitution et de crime de lèse-majesté pour avoir participé au flingage de leur culte pré-baba et succombé aux sirènes démoniaques de la musique électrique, jusqu'au célèbre accident de moto de 1966, qui le laissa pour demi-mort. 

Celle enfin du pasteur John (un autre costume pour Christian Bale), converti comme le Dylan de la fin des années 70 et de l'album Slow train coming au gospel et à une foi inébranlable en Jésus Christ. 

Celle, pour terminer, de Billy (Richard Gere), comme Billy the kid, cow-boy retiré du monde et s'adonnant au blues, tel le Dylan écorché vif de Blood on the tracks, un album exutoire de tous ses déboires amoureux. Ou, plus tard, de Time out of mind, sur lequel il confesse avoir été malade d'amour en retournant aux bonnes vieilles racines de la musique traditionnelle américaine, au rythme du bon vieux « 12-bar blues ». C'est l'image mythique du troubadour avec sa guitare sèche en bandoulière, qui nous raconte une histoire qui pourrait être la sienne. 

Femme, enfant, noir, poète, martyr, rocker, bigot, escroc, génie, autiste, provocateur : Bob Dylan collectionne les expériences comme les vies. Et n'est jamais là où on l'attend, ni où on le cherche. Au journaliste qui tenta un jour de lui tirer les vers du nez, et qui lui inspira le célèbre « Mr. Jones », le Dylan-Blanchett de Todd Haynes répond, hors de lui : «J'en sais beaucoup plus sur vous que vous n'en saurez jamais sur moi. » 

C'est la phrase clé. Pas seulement pour sa portée symbolique («Something is happening and you don't know what it is. Do you, mister Jones ? ») mais parce que c'est bien là que se planque le vrai Dylan : dans une forme de fuite maladive, non seulement vis-à-vis de ses publics et fans-clubs successifs, mais surtout vis-à-vis de lui-même. Ou comment faire coïncider l'arrogance suprême avec l'intuition de sa propre imposture.
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