Gazprom menace l'Europe de se tourner vers d'autres marchés

Publié le 04 avril 2009 par Theatrum Belli @TheatrumBelli

Ulcéré par l'accord gazier conclu entre Kiev et l'UE, le géant russe menace de se tourner vers d'autres marchés. Mais cette diversification est déjà engagée. Comme le montre le démarrage de l'usine de liquéfaction de Sakhaline, Gazprom va augmenter sa production de gaz naturel liquéfié à destination des Etats-Unis et de l'Asie.

Face à la nouvelle donne issue de la crise gazière de janvier dernier, Gazprom brandit la menace d'une diversification, tant en termes de produits que de marchés, après que l'UE a décidé de gérer de façon bilatérale la modernisation du réseau de gazoducs en Ukraine. Le moins que l'on puise dire en effet, c'est que la Russie a été offensée par le récent accord gazier entre Kiev et l'UE de modernisation des gazoducs ukrainiens - par lequel transite l'essentiel du gaz russe destiné à l'Europe -  sans que Moscou soit inclus dans le projet.


"Dans un contexte de renforcement des processus de mondialisation du marché du GNL, d'une hausse substantielle des risques sur le transit, lorsque l'on signe des documents hasardeux qui ignorent les intérêts de la Russie, il devient indispensable de revoir la stratégie dans le domaine du GNL, d'analyser l'utilité de se lancer dans la réalisation de nouveaux projets dans ce secteur, a déclaré mercredi Alexei Miller, le directeur général de Gazprom. Et jeudi, le quotidien russe Kommersant, citant une source anonyme du géant russe de l'énergie, décodait le message : "il est évident que M. Miller parle de la déclaration signée le 23 mars à Bruxelles entre l'Ukraine et la Commission européenne sur la modernisation du système de gazoducs ukrainiens". Un accord qui ne prévoit pas que le grand voisin russe ait voix au chapitre.

De fait, pour la Russie pour qui l'énergie une arme au service la stratégie géopolitique, toute tentative d'un client de réduire sa dépendance gazière est vécue comme une provocation. "Si les intérêts de la Russie sont ignorés, alors nous serons forcés de commencer à revoir les principes de nos relations" avec l'UE, avait déjà averti le Premier ministre russe Vladimir Poutine. Or la crise qui a opposé Kiev et Moscou au début de l'année, avec à la clef une rupture des approvisionnements dommageable à l'image de fournisseur fiable de la Russie, a clairement montré que l'Europe reste très dépendante du gaz russe. Une dépendance à laquelle la Commission européenne entend bien mettre fin.

Face à la nouvelle donne issue de l'après-crise de janvier dernier, Moscou brandit la menace d'une diversification, tant en termes de produits que de marchés. "Le monopole promet d'augmenter la production de gaz naturel liquéfié pour les approvisionnements alternatifs à l'Europe, vers les Etats-Unis et la région Asie-Pacifique", poursuit Kommersant, s'appuyant sur une source anonyme au sein du groupe.

Reste que la diversification du géant russe dans le GNL est d'ores et déjà engagée. Une première usine de liquéfaction de gaz naturel a été inaugurée en février dernier sur l'île de Sakhaline.  Située à 160 kilomètres d'Hokkaido, elle permettra à Gazprom de se développer sur le marché du GNL, en fournissant les marchés japonais, coréen et américain. L'usine de liquéfaction fournira 9,6 millions de tonnes de GNL par an en 2010, soit environ 4% de la production mondiale. Le site industriel s'appuiera sur le champ géant de Sakhaline 2, dont les réserves extractibles excèdent les 600 milliards de mètres cubes.

Ce niveau est-il suffisant pour que les menaces qui pèsent sur l'Europe se concrétisent ? Pas dans l'immédiat. Au-delà de l'usine de Sakhaline, Gazprom peut compter sur les réserves des gisement de Chtokman (mer de Barents) et de Iamal (Grand nord russe). Mais, selon Kommersant "Gazprom ne pourra pas mettre sa menace à exécution rapidement", car les nouveaux gisements ne pourront être "réalisés, au plus tôt, que dans quatre-cinq ans.".

Au-delà des menaces agitées aujourd'hui, et comme le souligne Liubou Yavid-Revron dans son livre "Les relations énergétiques entre l'UE et la Russie : dépendance ou interdépendance", la stratégie de Moscou dans le domaine de l'énergie ne consiste pas à jouer l'Europe contre la diversification mais bien, au contraire, à mener de front ces deux options : sécuriser les principales voies d'export de gaz vers l'Europe en prenant le contrôle des réseaux de gazoducs des pays de la CEI (Ukraine et Biélorussie) tout en trouvant de nouveaux débouchés à l'exportation vers l'Asie et les Etats-Unis.

Source du texte : LES ECHOS