La reprise peut-elle être au coin de la rue ?

Publié le 06 avril 2009 par Pierre Forthomme

Au cours de l’année 1930, Herbert Hoover, Président des Etats-Unis, déclarait partout avec optimisme que « la reprise était au coin de la rue ». Chacun sait aujourd’hui qu’il n’en fut rien. Chacun sait aussi que la dynamique de sortie de crise ne fut amorcée que plusieurs années plus tard, lorsque l’administration de F-D Roosevelt eut le courage d’abandonner l’orthodoxie économique en vigueur en lançant un programme d’orientation « keynésienne », à savoir un programme fondé sur une représentation des mécanismes économiques résolument iconoclaste pour l’époque.

A l’heure où la comparaison entre la grande dépression de l’entre deux guerres et la crise actuelle est évidement très tentante, lorsque j’entends Jean-Claude Trichet nous faire état de signaux positifs qui lui font penser que l’économie repartira en 2010, grâce notamment aux mesures que les autorités de régulation ont mis en place, je suis amené à me demander, non en tant qu’expert des questions de régulation macro-économiques mais plus simplement en tant que citoyen qui cherche à comprendre le monde qui l’entoure, si nous ne sommes pas entrain, paradoxalement, de reproduire exactement les mêmes erreurs que celles qui ont conduit à l’aggravation de la crise dans les années 30.

La reprise est elle au coin de la rue ? Il me semble que nul ne le sait aujourd’hui et que l’attitude qui consiste à voir des signes de sortie de crise relève avant tout d’un processus de déni c'est-à-dire d’un refus de reconnaitre une réalité qui s’impose. La psychologie de nos gouvernants, toute rationnelle qu’elle soit en apparence, relève au fond de ce que les consultants appellent, en s’appuyant sur les travaux d’Elizabeth Kübler-Ross*, le « saut de tarzan ». Cette attitude consiste à croire, lorsque l’on est confronté à des changements non négociables (la disparition d’un être cher, l’annonce d’une maladie incurable, la perte de son travail...) que l’on va pouvoir traverser ces changements sans avoir besoin de remettre en cause les croyances et valeurs sur lesquelles l’on avait pris appui jusqu’alors.


Le déni a évidement une fonction protectrice dans la mesure où il nous préserve de la confrontation à une réalité que nous ne sommes pas encore prêts à accepter, tout simplement parce que nous n’avons pas les outils pour agir dessus. En ce sens, en croyant voir des signes encourageants – qui laissent dubitatifs la plupart d’entre nous – nos gouvernants n’échappent pas à ce processus universel.

La crise actuelle s’apparente à un processus de deuil, tant que nous ne lâchons pas le passé, nous ne pouvons pas nous tourner vers le futur. Puisque précisément le contexte de 2010 n’est pas celui de 1930, on nous le répète assez souvent, il n’y pas de raison que les recettes qui ont émergé pour résoudre les crises du passé– même employées comme elles le sont depuis l’automne dernier, c’est à dire massivement et au-delà de toute limite que l’on avait pu s’imposer jusque là – permettent de résoudre les problèmes d’aujourd’hui .

On prête à Albert Einstein la formule selon laquelle « le monde que nous avons créé est le résultat de notre niveau de réflexion, mais les problèmes qu'il engendre ne sauraient être résolus à ce même niveau ». En d’autres termes, dépasser le déni c’est accepter de ne pas savoir, c’est accepter pleinement l’inconfort que procure l’incertitude et la perte des points de repère. Pas facile pour un Dirigeant. Mais pas impossible. Quand De Gaulle décide de renoncer à l’Algérie, quand Sadate propose la paix à Israël, ils acceptent de faire le deuil d’une partie de ce qui les à construit et empruntent un chemin impensable dans le contexte de l’époque qu’ils savent douloureux et semé d’embuches mais préférable à la poursuite des tentatives de solution qui ont cherché à mettre en place dont ils ont compris qu’elles ne marcheront pas.

  • Accueillir la mort, Pocket, 2002