1er Festival du film policier de Beaune : Carnet de bord du Festival

Publié le 07 avril 2009 par Boustoune


Beaune 2009, Chapitre 1 : Le lieu du crime

C'était un soir comme les autres dans la banlieue de Paname. La pleine lune éclairait de sa lueur blafarde les trottoirs encore humides de la dernière giboulée de mars. J'étais tranquillement assis à mon bureau, en train de penser à toutes mes critiques en retard, quand soudain je sentis une présence. Une créature de rêve se trouvait devant moi. Elle possédait la grâce d'Elsa Zylberstein, le sourire d'Anne Consigny, le regard sombre d'Amira Casar et le tempérament de feu de Noémie Lvovsky... Une sorte de femme fatale, en somme, le genre de pépée que le manuel du parfait détective cinéphile déconseille formellement d'approcher.
J'allais la congédier d'un de mes bons mots légendaires, mais elle ne m'en laissa pas le temps. «Monsieur Boustoune Spade, je présume? Votre réputation n'est plus à faire, et j'aimerais faire appel à vous pour une enquête délicate. Il s'agit de retrouver plusieurs bons films qui auraient disparu en plein coeur de la Bourgogne, à Beaune...»

Damned. La garce avait su trouver les mots qu'il fallait... Le mot «Bourgogne» eut sur moi l'effet d'une madeleine proustienne, réveillant nombre de souvenirs et d'émotions. Des moments de mon enfance, lors de vacances à Santenay, les ballades dans les vignes ou des excursions dans de fantastiques châteaux comme celui de La Rochepot, les «C'est pas croyab'» de mon grand-père, les bons petits plats de ma grand-mère,... Des moments de ma vie d'adulte aussi, la saveur d'un verre de Vosne-Romanée lors d'une dégustation d'anthologie, la route des vins avec ma bande d'amis, une promenade avec mes nièces sur les mêmes chemins que ceux que j'empruntais enfant... Et Beaune, ville des célèbres Hospices où est conservé une toile célèbre représentant «Le jugement dernier», un tableau qui m'avait à l'époque glacé le sang... Le «Aidez-moi, je vous en supplie...» susurré par la belle inconnue, et accompagné d'un décroisement de jambes à faire pâlir de jalousie Sharon Stone, acheva de me convaincre.
En deux temps, trois mouvements, je réservai mes billets de train et le 1er avril, et me rendis Gare de Lyon, à Paname, pour embarquer sur le Nord-Sud Express de 14h28 à destination de Dijon.
Avant de monter dans mon wagon, comme j'avais un peu de temps à tuer, je décidai de me remplir l'estomac. L'enquête risquait d'être trop prenante par la suite pour me permettre de manger (et c'est dommage, car Beaune est une ville de gastronomie). A la terrasse du café, un drôle de zig attira mon attention. Sa tête ne m'était pas inconnue. “Bon sang mais c'est bien sûr!” m’exclamai-je. Il s'agissait du célèbre Commissaire Chabrol, Claude de son prénom. Et le grand à casquette, à côté de lui, c'était Bertrand Tavernier, un autre cador de la pelloche nationale. Je balayai les lieux du regard et ne vis que des têtes connues : Jean-Paul Rouve, Rachida Brakni, Benoit Cohen... Si la crème de la volaille était dans les parages, ça promettait une belle ambiance sur place !
Évidemment, en tant que détective de seconde zone, je n'héritai que d'une place de seconde classe, mais le voyage se déroula sans encombre, malgré quinze minutes de retard qui faillirent me faire rater ma correspondance pour Beaune.
Arrivé en ville, sous un soleil radieux, je me trouvai un petit hôtel, “Le grand Saint Jean”. Pas un palace, mais pas un hôtel miteux non plus. A dix minutes à pied de la gare, en plein centre ville, c'était la base idéale pour commencer mes investigations.
Un indic me conseilla d'aller fureter du côté du Cap Cinéma, le complexe de la ville, situé lui aussi à dix minutes de là.
Sur place, le déploiement des forces de l'ordre m'avisa que j'étais sur la bonne piste. Mais il allait falloir pouvoir pénétrer dans les lieux... J'essayai de jouer de mon sourire enjôleur pour obtenir d'une charmante jeune hôtesse un laisser-passer. Mais la garce y resta étrangement insensible. Quatre billets de dix eurent raison de son refus et je parvins à décrocher le précieux sésame.
Mais je n'étais pas encore à l'intérieur des lieux. La sécurité filtrait les entrées et seuls les titulaires d'un carton VIP étaient autorisés à rentrer. Ca sentait mauvais, et pas seulement à cause du poisson d'avril que mes collègues m'avaient accroché dans le dos, en représailles de mes blagues vaseuses de l'année...
Avec l'aide de quelques compagnons d'infortune, nous entamâmes un gentil mouvement de protestation. Par crainte d'une véritable émeute, ou par pure gentillesse, les forces de l'ordre firent rentrer quelques-uns d'entre nous, et comme j'étais dans les premiers de la file d'attente, j'eus le privilège de rentrer dans la grande salle du festival, celle où avait lieu la cérémonie d'ouverture du 1er festival du... film policier de Beaune... Tiens, tiens...
Il y avait là plus d'étoiles que dans le ciel dégagé de la nuit beaunoise : François Berléand, François Guérif, Etienne Chatilliez, Sami Bouajila, Samuel Le Bihan, Nicolas Saada, Arié Elmaleh, Claude Lelouch et j'en oublie sûrement...
Après quelques minutes d'attente, une musique rythmée se fit entendre et des projecteurs s'allumèrent et nous éblouirent comme si on s'apprêtait à subir un interrogatoire policier musclé. Coup de suée...
… Pour rien. La présence sur scène de l'excellent David Rault me rassura immédiatement. Ce présentateur cinéphile, également connu comme «l' 'homme qui traduisait intégralement, de mémoire, des discours de dix minutes», était là pour donner le coup d'envoi de la manifestation...
Le maire de la ville, Alain Suguenot ouvrit les débats avec un discours aussi fin que les grands vins de Bourgogne, puis laissa la parole à un Lionel Chouchan qui semblait avoir bien profité des douceurs locales. Le président du festival expliqua comment le défunt festival de Cognac avait atterri à Beaune, alors que «pour la santé de [notre] foie, il aurait dû s'installer à Vichy». C'est en fait grâce à l'intervention de Claude Lelouch que la cité bourguignonne a réussi à toucher le grisbi. Le cinéaste, qui a une maison dans les vignes voisines, envisage même de créer une école de cinéma au sein de la ville. Lui aussi monta sur scène pour dire quelques mots.
Pour résumer l'esprit et l'humour de ces trois jolis textes, Beaune est une ville où «à force de lever le coude, on oublie de baisser les bras»...

Mais le grand moment de cette belle soirée fut la venue sur scène de Robert Duvall, afin que le maire lui remette la médaille de la ville. Peu à peu, le public se leva pour manifester son respect à cet immense acteur hollywoodien, également réalisateur, producteur et scénariste. Emu par cette standing-ovation, Duvall ne put réprimer quelques larmes et y alla aussi de son petit discours où il clama son affection pour Beaune, ville de cinéma et de gastronomie, où il a mangé, je cite, «les meilleures côtes de porc du monde...». Avec de tels invités de prestige, le festival commençait sous les meilleurs auspices, de Beaune, bien sûr...
Quelque chose me disait que j'allais bien vite découvrir ce que j'étais venu chercher : des bons films...
J'espérai même en dénicher un immédiatement, vu que la compétition s'ouvrait avec le nouveau film – américain – de Bertrand Tavernier, Dans la brume électrique, adaptation d'un roman de James Lee Burke mettant en vedette Tommy Lee Jones.
Pourtant, à l'arrivée, le sentiment fut mitigé. Les acteurs sont impeccables, la mise en scène élégante. L'intrigue est assez tortueuse pour ménager quelques rebondissements, et les bayous de Louisiane rendus encore plus fantomatiques par le passage de l'ouragan Katrina, fournissent au film un décor naturel idéal. Mais il manque quelque chose pour que l'on adhère pleinement. Un peu plus de noirceur peut-être, ou une meilleure exploitation de l'aspect fantastique du film...
Attention, c'est loin d'être mauvais, mais, venant du réalisateur du génial Coup de torchon, on pouvait espérer un peu mieux. A sa décharge, il n'est jamais simple d'adapter des oeuvres aussi denses et complexes que certains romans noirs, et notamment ceux de Burke. Et quand on connaît déjà les éléments de l'intrigue, l'ensemble perd forcément un peu en intérêt.
Je modérai donc ma légère déception pour ne retenir que le positif d'un film de qualité, idéal pour ouvrir une compétition qui s'annonçait passionnante, et c'est l'âme pleine de belles émotions que je déambulai dans les rues désertes de la ville endormie, afin d'y regagner ma petite chambre d'hôtel. Je ne tardai pas à tomber dans les bras de Morphée, rechargeant les batteries en prévision de la longue journée d'enquêtes cinématographiques qui m’attendait...

Beaune 2009, Chapitre 2 : L’enquête

Le lendemain matin, après un café noir comme les polars de James Ellroy, je retournai au Cap Cinéma et tombai sur mon pote Laurent, venu en voisin avec ses amis de l'Eldorado dijonais. Ensemble, nous confrontâmes quelques points de vue et décidâmes de la marche à suivre.
Faisant appel à notre Mémoire du tueur, nous décidâmes de commencer nos investigations par la visite du Loft de Erik Van Looy. L'initiative s'avéra excellente. Sur place, nous dénichâmes un thriller habilement construit, usant subtilement des flashbacks pour dévoiler les tenants et les aboutissants d'une intrigue riche en rebondissements, qui tourne autour du thème de l'adultère. Comme le précisa le metteur en scène, citant une petite phrase de son père: «L'adultère, c'est un jeu où l'on est toujours perdant... Mais l'essentiel n'est pas de gagner, mais de participer...» (Ca doit être ça, le fameux «humour belge») Dans ce film, les protagonistes - cinq copains qui partagent en secret la location d'un luxueux appartement, où ils peuvent amener à tour de rôles leurs maîtresses - sont confrontés à quelque chose qu'ils n'avaient pas prévu, la découverte d'une femme assassinée, menottée au lit et baignant dans une mare de sang. Ca calme... Surtout quand le coupable ne peut être que l'un d'entre eux...
Nous fûmes heureux d'apprendre que cet excellent petit polar avait battu tous les records de fréquentation en Belgique (même si le succès public n'est pas forcément un gage de qualité, hein Coco...) et, convaincus d'avoir d'ores et déjà déniché l'une des perles noires du festival, nous le plaçâmes bien au chaud dans notre top liste. Ca faisait déjà un bon film de récupéré...


Nous célébrâmes notre succès à la terrasse d'un petit bistrot. J'en profitai pour boire mon premier verre de vin depuis mon arrivée en Côte d'or. Il était temps, parce qu'un privé privé d'alcool, ça ne le fait pas trop...
L'alcool me donna suffisamment de courage pour aller affronter la mafia. Seul, vu que mon pote devait repartir, afin de satisfaire à des obligations professionnelles. Je me dégotai de nouveaux acolytes parmi les festivaliers. Il y avait là quelques têtes connues, des anciens de Cognac, des habitués de Deauville, des cinéphages venus d'un peu partout, et quelques amateurs locaux, plus Marc, un cinéphile pur et dur, intarissable encyclopédie vivante du cinéma de genre, collectionneur, critique, animateur de radio, exploitant de salle... Un phénomène, le garçon !
Nous partîmes donc faire un tour du côté de Salento, en Italie, et de la section «Sang neuf» à travers le film d'Edoardo Winspeare, Galantuomini. Il s'agit d'un film de gangsters assez classique : Lucia et Ignazio, des amis d'enfance se retrouvent vingt ans après, dans leur village natal, mais leurs intérêts sont maintenant divergents. Elle est responsable d'un groupe de mafiosi qui règne sur le trafic de drogue local et doit faire face à un clan concurrent ; lui est juge et doit faire cesser cette guerre des gangs. Le film oppose la clarté des paysages du sud de l'Italie à la noirceur des situations et adopte une mise en scène assez réaliste. On sent que Gomorra est passé par là... Loi du silence oblige, nous ne pûmes recueillir aucun témoignage favorable (ou défavorable) sur ce film assez anecdotique et vite oublié.
Ensuite, nous nous lançâmes à la poursuite d'un suspect d'origine hongkongaise, The beast stalker. A première vue, l'oeuvre avait toutes les caractéristiques requises pour appartenir au groupe de bons films recherchés : un scénario plein de rebondissements, de l'action spectaculaire, un méchant au look inquiétant. Las, ce n'était qu'une fausse piste. Le film de Dante Lam souffre d'une mise en scène particulièrement médiocre, de mouvements de caméra approximatifs qui filent la migraine, d'astuces narratives ahurissantes qui gâchent tout le potentiel du script original. L’enfer de Dante Lam, en somme… Dommage...
Bref, si la journée avait commencé sur un succès, désormais, l'enquête piétinait sévèrement...  Nous nous décidâmes de nous changer les idées en nous mêlant au gratin mondain pour une soirée de remises de prix.
D'abord, celui du meilleur premier roman policier francophone, parrainé par les éditions du Masque et attribué cette année à «La note noire» de Christophe Bourgois-Costantini.

Puis celui de la «femme fatale de l'année», décerné à la bellissime Vahina Giocante. Damned ! C'était un traquenard ! Quand elle monta sur scène chercher sa récompense, mes yeux ne purent s'empêcher de plonger dans le décolleté, plongeant lui aussi, de la sublime créature. Ils en étaient captifs. Au prix d'un redoutable effort, mon regard réussit à monter de quelques centimètres vers le haut, mais il se retrouva happé par une autre paire, d'yeux cette fois. Envoûtants... Comment allais-je me sortir de ce guêpier ? En pensant à Dave et son «Vahina» ah ah ah ? Brrr, sûrement pas... Déjà qu'on devait se taper le «Bang-Bang» de Sheila, en boucle avant chaque séance. Ca suffisait comme ça !
C'est le doux rire d'Anne Consigny, derrière qui j'étais assis, qui réussit à me distraire et me fit revenir sur terre. Le jury semblait apprécier cette belle soirée. Mais il était aussi là pour travailler un peu...
La femme fatale de Beaune céda donc sa place à La fille du Lac, tout aussi séduisante. Le long-métrage de l'italien Molaioli est un bon film noir, qui distille une ambiance trouble et aborde de façon très subtile plusieurs thèmes, comme les relations père-fille, la confrontation avec une maladie incurable, avec un deuil insurmontable,... Le tout joué par de très bons acteurs, de Toni Servillo à Fabrizio Gifuni, en passant par Valéria Golino. Bonne pioche ! Et un film de plus épinglé à mon palmarès personnel...

Pour clore cette intéressante deuxième journée, je ne pouvais pas manquer les retrouvailles avec mes Tontons flingueurs, toujours aussi drôles.  Evidemment, Ventura n'était pas là, parti distribuer des «bourre-pif» au Paradis, Blier non plus, puisqu'il montre là-haut «qui c'est Raoul» flanqué de Jean Lefevbre, qui peut à loisir se demander si le «vitriol trois étoiles à l'alambic» ne contiendrait pas de la betterave, des fois. Et Francis Blanche est avec eux, interdisant aux anges de toucher au grisbi...  Mais Georges Lautner était bien présent, accompagné du toujours irrésistible Venantino Venantini, première gâchette du film, et acteur de comédie de premier ordre... Le film, à l'instar des grands crus bourguignons, s'est bonifié avec le temps et les dialogues d'Audiard se boivent comme ces divins breuvages...
Un peu ivre de cette belle journée, je ne tardai pas à sombrer dans un grand sommeil...


Beaune 2009, Chapitre 3 : Un justicier dans la ville

Je me réveillai en pleine forme, prêt à attaquer cette nouvelle journée dans les eaux troubles du polar.
Et de l'eau, il y en avait, dans les décors naturels de la première étape du jour, un coin marécageux au sud du Jutland, au coeur du Danemark. On dit qu'il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark, mais en tout cas, ce n'est pas Terribly happy, le film de . Il s'agit d'une brillante variation autour de thèmes classiques du film noir américain, où une femme forcément fatale tente de séduire le nouveau shérif, un type forcément paumé, pour le convaincre de la débarrasser de son mari, un cowboy forcément alcoolique et violent... L'ambiance, qui tire parti des décors désertiques et des variations climatiques, est particulièrement réussie, et le cinéaste peu s'appuyer sur cette base solide pour sortir des sentiers battus et faire évoluer son film vers une intéressante réflexion sur la morale, l'ordre et la justice.
Le film semblait avoir séduit le jury «spécial police», constitué de vrais policiers d'élite. C'est du moins ce que je déduisis des bribes de conversation que je surpris lors de ma pause-déjeuner. J'avais décidé de mettre à profit le temps libre avant la prochaine séance pour m'offrir quelques plaisirs de la chère dans un petit restaurant très sympa à côté de l'hôtel, «La part des anges». Là, je fus installé à la table mitoyenne du groupe de flics et j'eus tout loisir d'écouter leurs délibérations. Mais mon attention se focalisa très vite sur les mets délicieux qui me furent proposés – velouté de châtaignes aux cèpes et trompettes de la mort, ravioles de grenouille aux herbes, plateau de fromages, le tout accompagné d'un verre d'un merveilleux Hautes Côtes de Nuits blanc de 2004 et d'un Chorey-les-Beaune rouge de 2005. (Miam! Rien que d'y penser, j'en salive encore...)

Après ce festin digne de Babette, je retournai dans les salles obscures et eus droit à un véritable régal, cinématographique cette fois, avec le surprenant Bronson, film anglais signé par un cinéaste danois, Nicolas Winding Refn (ils sont forts, ces danois...). J'avais trouvé là une véritable pépite. Le genre de truc dont on n'attendait rien et qui s'avèra une formidable surprise. Le film raconte de manière très originale et inventive la vie de Michael Petterson, plus connu sous le pseudo de «Charlie Bronson», le détenu le plus célèbre – et le plus violent – du Royaume-Uni, et est joué avec un talent fou par Tom Hardy, qui trouve ici le rôle de sa vie.
Décidément, après Hunger, LE film du dernier festival de Cannes, le milieu carcéral inspirait les metteurs en scène...
L'oeuvre m'ayant procuré l'effet d'un uppercut à l'estomac, j'étais un peu sonné au moment d'assister au film suivant, Shoot on sight. Ce film britannique s'inspire d'un fait divers réel, une bavure policière qui causa la mort d'un jeune musulman sur un quai de métro londonien. A travers l'enquête sur ce fait divers, menée par un policier d'origine pakistanaise, et la préparation d'un attentat-suicide par un groupe islamiste, le film aborde les questions de l'intégration, de la tolérance, de la religion et de l'interprétation des textes sacrés. Le tout sur fond de paranoïa post 11 septembre 2001. Le résultat n'est pas mal, mais est peut-être un peu trop écrit, trop facile pour susciter la pleine adhésion du spectateur. Et après le choc Bronson, mon sens critique était particulièrement aiguisé.
Sortant de la salle, je me retrouvai plongé dans une cohue indescriptible. Alors que le festival se déroulait jusqu'alors dans la plus stricte intimité, la foule avait investi les lieux. Les chasseurs d'autographes et les curieux se massaient autour de l'entrée, jouant des coudes pour être au plus près du tapis rouge. Et une file d'attente improvisée par des agents de la sécurité débordés commençait à s'allonger dangereusement, menaçant de me priver de la projection du soir.  Ni une ni deux, je courrai vers ce magma humain et, me faufilant avec la grâce du chat (noir, bien sûr...), je parvins à me faire une petite place. Je pensai un moment que ce mouvement de foule était lié à la présence de James Lee Burke, lauréat du prix du roman noir étranger. Mais non, cette hystérie n'était due qu'à la venue de Jean Dujardin, pour la présentation en avant-première d’ OSS 117 : Rio ne répond plus.

Les agents de la sécurité non plus ne répondaient plus, quand on leur demandait ce qu'ils attendaient pour nous faire rentrer dans la salle. Le stress était palpable. Allions-nous seulement pouvoir assister à la projection ? Il nous fallu nous armer de patience avant d'avoir le droit de fouler le tapis rouge. Le temps que les trop nombreux invités s'installent, que Dujardin ne signe des centaines d'autographes et pose pour le traditionnel photo-call. Indubitablement, ce fut l'attraction de ce premier festival. Niveau animation du moins, parce que le film, lui, est franchement mauvais. J'avais trouvé le premier volet plutôt sympathique, mais ici, l'aimable parodie des films d'espionnage a cédé place à un authentique nanar, plombé par un humour lourdingue.
La loose... Un peu comme celle qui frappe les pieds nickelés de High Life, le film qui était présenté juste après, devant une audience plus restreinte. Ces junkies accrocs à la morphine essaient désespérément de faire un casse, devant composer avec les mésententes de ses membres, les aléas de la nature humaine et une époque qui a changé pendant leur séjour en prison... Le film s'inscrit un peu dans la lignée du Trainspotting de Danny Boyle, le brio narratif en moins.
Une nouvelle journée s'achevait, entre déceptions et surprises, et, à mi-parcours, le bilan était plutôt positif, avec deux ou trois coups de coeur pour un seul film vraiment mauvais…

Beaune 2009, Chapitre 4 : L’œil du mal

Driiiiiiiiiiiiig... Bam Bam... blang blang...
Je dézinguai d'un coup de calibre le réveil qui osait me sortir de mon doux sommeil, peuplé de créatures de rêve particulièrement lascives ayant les traits de la toute mimi Louise Monot (la comparse de Dujardin dans le nanar de la veille). J'eus du mal à émerger, même avec la douche et le café. La fatigue commençait à se faire sentir, après l'assimilation d'une quinzaine de films.

Pourtant, il fallait être en forme pour apprécier Helen, premier long-métrage de Christine Molloy et Joe Lawlor. Ce fut probablement le seul film de la sélection dénué de cadavre, puisqu'il s'agit surtout d'une enquête intérieure, celle d'une adolescente qui cherche son identité, entre un passé inconnu et un avenir à construire. Entre longs plans fixes et lents travellings, le film adopte un ton étrange, lancinant, un peu dans l'esprit d'Elephant de Gus Van Sant et de The Virgin suicides de Sofia Coppola. Personnellement, je fus fasciné par cette oeuvre tranchant avec le reste de la programmation du festival, mais à voir la tête de mes compagnons, je compris qu'elle ne ferait pas l'unanimité, et qu'une sortie en salles s'avérait fort improbable...
J'aurais voulu assister à la projection de courts-métrages, mais, désireux de faire une fois de plus honneur à la gastronomie régionale, je retournai déjeuner dans un petit restau du centre-ville, où le service, hélas, traîna un peu en longueur et me fit rater le début de la projection. Tant pis, je m'évadai vers la deuxième salle, où était projeté Ne me libérez pas, je m’en charge, le documentaire sur Michel Vaujour, le roi de l'évasion à la française, qui a passé une bonne partie de sa vie sous les verrous. Un peu le Bronson national en somme. Sauf que, malgré le charisme du bonhomme, le film, réalisé de manière un peu «plan-plan», ne possède pas la force du film de Nicolas Winding Refn et s'avère même un peu soporifique. J'avoue que les vertus lénifiantes de la bonne bouteille de Santenay qui accompagna mon repas (œufs en meurette et poulet roti à l’époisse… fameux, mais plutôt lourd) n'arrangèrent pas les choses, mais quand même, 1h50 sur Michel Vaujour, sa vie, son oeuvre, ça fait long...
Je ravalai ma déception quand mes indics me dirent que je n'avais pas raté grand chose dans l'autre salle, les courts s'étant avérés assez médiocres.
J'enchaînai donc sans aucun scrupule avec la projection d'un film danois – encore ! - mais moins réussi que les deux précédents. What no one knows est un thriller parano qui lorgne du côté des films de Sidney Pollack, sans en avoir la rigueur. On ne peut pas reprocher au cinéaste d'avoir voulu dénoncer les dérives d'un état ultra-sécuritaire, où les caméras de surveillance enregistrent le moindre de nos faits et gestes, ni d'avoir abordé le thème des armes bactériologiques et les recherches militaires menées sur des virus destructeurs. On peut en revanche déplorer le manque de rythme de sa première partie, et le manque de crédibilité de l'ensemble.


Ce thriller venu du nord m'avait laissé froid, mais l'ambiance n'allait pas tarder à se réchauffer.
De quelques degrés déjà, sous l'effet des coups de sang des festivaliers les moins zen, excédés par une organisation qui commençait à sérieusement fatiguer. Le gorille de l'entrée ne nous salua pas bien. Il nous indiqua que la projection en salle n°1 n'était que sur invitation et qu'on allait probablement nous envoyer en salle n°2. Problème : ce n'était pas le même film qui y était projeté ! Heureusement, nous arrivâmes à trouver une place, juste derrière une belle brochette d'artistes – Georges Lautner, Claude Pinoteau et Venantino Venantini, excusez du peu !
La température monta encore de quelques degrés avec le tonnerre d'applaudissements – et la seconde standing-ovation de la semaine – pour rendre hommage à William Friedkin, l'auteur de chefs d'oeuvres comme Police Fédérale Los Angeles, French Connection ou L'exorciste.
Le climat devint caniculaire, enfin, avec la projection d'un film tout droit venu d'Espagne et tourné au Mexique, Solo quiero caminar.
Grâce à son casting de premier plan, réunissant notamment Victoria Abril, Ariadna Gil, Pilar Lopez de Ayala Elena Anaya et Diego Luna, le nouveau long-métrage d’Agustin Diaz Yanes est assez séduisant. Le ton adopté, doux-amer, donne un certain cachet à ce polar rondement mené, malgré une fin un peu longuette...
Après ce bain de soleil, nous eûmes droit à un bain de sang. Death Bell, thriller horrifique sud-coréen, ne fait pas dans la dentelle, avec ses meurtres sadiques façon Saw et ses incursions dans le film de fantômes asiatique.
De quoi donner quelques cauchemars aux midinettes, mais pas à un dur, un vrai, un tatoué comme moi...

Beaune 2009, Chapitre 5 : Le verdict

L’enquête avançait à grands pas. Mon pote Laurent me retrouva pour ce dernier jour de festival. Il ne nous restait plus que trois suspects à interroger avant la clôture du festival.

Le premier venait d’Autriche et s’appelait The Beaune man… C’est l’histoire d’un buveur de bière qui débarque en Bourgogne et tombe amoureux du vin… euh, pardon, il y a une erreur dans mes fiches… En fait, il s’agit de The Bone man, et c’est un petit polar à la fois très noir et très drôle, avec un ex-flic devenu collecteur de créances pour une société de leasing, qui se retrouve plongé dans une intrigue faite de querelles familiales, de chantages, et de cadavres passés au hachoir à viandes… Le jury Sang Neuf sembla apprécier le film, mais peut-être pas au point de leur faire oublier Bronson, apparemment film-chouchou de nombreux festivaliers, et moi en tête…
Le second, New Town killers était une variante des Chasses du Comte Zaroff, un survival urbain pas mal fichu, mais pas inoubliable non plus. Je relâchai très vite l’individu.
Le dernier suspect de la journée, le Suspect X du japonais Hiroshi Nishitani fut beaucoup plus intéressant à étudier. Il repose sur une intrigue brillante, qui oppose deux esprits cartésiens absolument géniaux. Un professeur de maths aide sa voisine à s’innocenter d’un crime qu’elle a commis, en maquillant les preuves et en créant un alibi en béton. Un de ses anciens camarades de classe, un chercheur qui travaille avec la police scientifique, essaye de prouver son implication dans le meurtre, à comprendre sa logique. Bien interprété et bien mené, le film fut une bonne surprise, une de plus dans un festival décidément de qualité.

L’heure du verdict approchait. Nous eûmes encore quelques sueurs froides avant de savoir si nous allions pouvoir entrer dans le tribunal, déjà bien rempli d’invités du festival, des différents jurys et des différents cinéastes, plus quelques photographes d’agences qui se sont rappelé que la manifestation existait… Une fois de plus, la chance nous sourit et nous pûmes pénétrer dans ce sanctuaire de la justice cinématographique, le Cap Cinéma…
Après les traditionnels réquisitoires du maire et du président du festival, plaidant en la faveur d’une longue collaboration entre le festival et la ville de Beaune, les jurés entrèrent sur scène. Caroline Vié-Toussaint, représentante de la critique, clama son amour pour le Suspect X. Les vrais policiers furent terriblement heureux de primer Terribly happy. Comme prévu, Bronson triompha dans la catégorie « Sang-neuf ». Le jury du court-métrage remis son prix à Le baptême du feu, et au passage, Jean-Paul Rouve demanda au jury de policiers de lui faire sauter une poignée de contraventions. Puis vint le temps des grands gagnants de la soirée : L’espagnol Solo quiero caminar devint titulaire du Prix du Jury, et Bertrand Tavernier, du grand Prix du Jury pour Dans la brume électrique. Le palmarès était plutôt équilibré, malgré l’absence remarquée de Loft, mais des rumeurs de corruption bruissèrent des rangs de l’assemblée. Le fait que Chabrol et Tavernier soient copains comme cochon n’avait-il pas pesé dans la balance ?
Je n’eus pas trop le temps de me pencher sur la question. Je rattrapai le court primé, Le baptême du feu, et ne le trouvai pas terrible. Si c’était celui-ci le meilleur du lot, les autres devaient être carrément mauvais…
Je sortis bien vite pour appeler ma cliente et lui faire part du fruit de mes investigations, mais la garce avait déjà eu toutes les informations qu’elle recherchait et était partie sans me payer. Par dépit, je me rabattis sur une autre femme fatale, la belle Gene Tierney, avec qui je m’offrais un délicieux Péché mortel en guise de film de clôture.
Il ne me restait plus qu’à quitter le charme de Beaune, ses rues pavées (de bonnes intentions) , ses remparts, ses caves qui ne se rebiffent pas, l’accueil chaleureux de la population locale, des commerçants, pour retrouver la grisaille de Paname et mes critiques encore plus en retard. Une perspective bien peu enthousiasmante. Aussi, je me promis de revenir à Beaune l’année suivante, si mes finances le permettaient. En attendant, les souvenirs me restaient gravés au fond du cœur, en rouge et blanc sur fond noir…

The end