Claude Margat . Interview exclusive

Publié le 08 avril 2009 par Flash-News

J’ai eu la chance de rencontrer Claude Margat à la galerie La Hune-Brenner, à Montmartre, lors du lancement de son livre Daoren un rêve habitable.

Attiré par ce que dégage cet homme et ses peintures, il a bien voulu accepter cet entretien pour Flash-News.



 

Bonjour, tout d’abord, pour ceux qui ne vous connaissent que peu ou pas, comment vous définiriez-vous ?

Comme une sorte de fantôme habitable.

Dans « Daoren un rêve habitable » vous semblez vous interroger sur le sens de la vie, pourquoi ?

Parce que comme tout un chacun, je ne comprends pas grand-chose à la vie, mais en revanche les effets de sa présence ne cessent de m’étonner.

Pourquoi ?

C’est ce que je ne comprends précisément pas. L’harmonie et la beauté résistent pour le moment à nos destructions aveugles. Cette étrange persistance, et cette capacité à resurgir de l’invisible, cela je ne sais pourquoi m’émerveille et me rassure. Ce n’est d’ailleurs pas la mort que nous craignons, mais l’arrachement de la vie dont le principe est éternel. Le rêve habitable est une idée de Colette Lambrichs qui n’a pas sa semblable pour exprimer en trois mots, la pensée d’un livre. Pour certaines personnes dont je suis, s’installer dans cette posture de questionneur incertain doit être une façon de vivre. Il me semble que la vie s’exprime par une présence. Je veux dire que vous pouvez vous croire vivant alors qu’en réalité vous nagez peut-être en pleine léthargie. Ce n’est pas une découverte. Les vraies découvertes sont rarissimes.

Je souscris en résumé à ce type de regard qui traverse les peaux du monde comme on traverse les réalités sans les voir quand on regarde la télévision. Le rêve dont il est question dans ce livre est un peu du même type que celui que pratiquaient les rêveurs d’espace des sociétés primitives. C’est un rêve fait pour se relier autrement, pour entamer un vrai dialogue avec les choses qui nous précèdent depuis tout temps, et que nous ne voyons plus pour elles-mêmes.

Je propose dans ce livre une autre espèce d’approche que celle qui consiste à ingurgiter mentalement tout ce que l’on vous propose et n’importe quoi quotidiennement.

Pouvez vous nous parler de ce livre. Ce que vous avez voulu partager avec chacun d’entre nous.

J’ai envie de partager la beauté. Il me semble anormal et inquiétant que l’on ne s’interroge pas sur la qualité de l’espace et du temps. Respirer entre ciel et terre et en être conscient est une chose absolument stupéfiante. C’est une chance inouïe et nous la gaspillons. Je repère immédiatement les personnes conscientes de cela. C’est facile à voir. C’est dans les yeux.

On écrit pour la part aveugle en soi. La beauté résiste aux catastrophes. C’est une médecine. L’honneur exige qu’une bonne médecine soit partagée.



 

Vous parlez chinois, et en avez appris la calligraphie, est-ce un chemin difficile ?

Je le parlote plutôt, car j’ai un mal fou à bien placer les accents toniques, ce qui fait que la plupart du temps, les chinois ne me comprennent même pas. En un sens, cela m’arrange car je joue de cette incapacité risible en l’ écrivant. Et c’est justement cela que j’aime.

Le chinois est une écriture, une pensée du silence.

J’éprouve pour cette langue la même irrésistible attirance que pour la physique moderne ou pour la musique. Cette adéquation aussi est mystérieuse.

Pour ce qui concerne la calligraphie, je ne saurais plus m’en passer plus de deux ou trois jours. Il me faut ce contact avec la pensée qui reprend souffle et forme. Pendant deux ans, lorsque j’étais plus jeune, j’ai pratiqué le Kung fu avec un sérieux jeune maître. Les arts martiaux sont loin de valoir la calligraphie, même s’ils font naître le sens de la posture adéquate. Mais calligraphier de la sorte, ce n’est pas qu’une affaire de geste.

Les idéogrammes sont évidemment porteurs de sens. Chacun d’entre eux est relié à tout un faisceau dont la résonance converge vers un seul point : le Dao, la Voie. Le Dao, l’écriture, la poésie, la peinture(shan shui),la cosmologie surtout.

La cosmologie, c’est la base. Je ne suis venu à la calligraphie que tard. Mais c’est un art si parfait, si généreux qu’il abolit le temps et ses contraintes. Je ne connais pas de meilleure thérapie pour atteindre la paix de l’esprit sans passer par toutes les simagrées du mysticisme syncrétique qui est de mon point de vue le comble du crétinisme. L’approche d’une culture, cela se mérite. Je ne recule jamais devant l’effort lorsqu’une voie me paraît bonne.

La recherche du Dao est la voie qui me convient.

Lorsqu’on écrit (Shufa) ou que l’on peint dans l’esprit du Dao, le Dao s’ouvre et concède ce qui est mérité.

Qu’est ce qui vous a attiré dans la calligraphie ?

La pratique de l’écriture pour l’écriture.

Etes -vous un peintre qui fait des livres, ou un écrivain qui peint ?

Je suis seulement quelqu’un qui ne se refuse rien de ce qui lui paraît bon.



 

Cette fluidité de votre peinture rejoint elle la démarche de votre écriture ?

Je ne pense à rien quand je fais cela. Je veux dire que je pense tellement à cela que mon cerveau ne peut plus penser cela. Alors, pendant quelques instants, cela probablement doit se penser tout seul. Un peu comme un geste réflexe. Lorsque vos pieds glissent sur une plaque de verglas et que vous perdez tout à coup l’équilibre, ce n’est pas un raisonnement logique qui vous permet de retrouver votre assiette, mais le bon geste. Or , ce geste-là n’est pas plus rapide que la pensée, il est seulement la pensée à son maximum d’efficacité physique.

Pour bien comprendre la Chine, je crois qu’il faut être d’une part foncièrement laïque, et être d’autre part naturellement prédisposé à une espèce de connivence avec la positivité foncière du réel. Un seul idéogramme rassemble en Chine l’action de peindre et d’écrire. Je souscris à cette vision parce qu’elle me paraît bonne.

En matière d’expression, je suis un pragmatique. Le pragmatisme n’est pas contraire à l’esprit poétique.

Votre préférence va t’elle à la peinture ou aux encres ?

Je n’ai pas de préférence. Je fais seulement ce qui me semble nécessaire. A la façon de Voltaire, je cultive mon jardin.

Vos peintures représentent souvent des paysages immenses, est-ce une recherche intérieure qui vous fait réaliser ces profondeurs, rejoignant ainsi votre vie dans les espaces des marais charentais ?

Je ne sais toujours pas ce qu’est l’espace, mais je le ressens comme un suspens du temps à la frontière d’une immensité obscure. A mes yeux, un paysage est toujours beaucoup plus qu’un simple paysage. C’est la manifestation de ce que le fond du temps peut mettre en place devant nos yeux. Beaucoup ne voient plus le paysage que sous l’aspect d’une carte postale. On a même quelquefois l’impression que s’ils pouvaient rajouter un peu d’or sur le rouge du crépuscule, ils le feraient volontiers. Avant de mettre de l’immense dans les choses, il faut le faire entrer en soi. Pour que l’immense entre en soi , il faut lui laisser la place et sortir de soi. L’immense n’est pas l’infini. Ou alors, ce serait un infini que se serait humanisé.



 

D’où viennent les racines de votre esthétisme ?

Probablement d’une mémoire bien plus ancienne que la mienne.

Que représentent pour vous vos œuvres picturales ?

Le meilleur, sans doute, de ce que je puis offrir sous forme d’indication.

Votre œuvre semble dégager une unité de ton est-ce voulu, ou aimeriez vous y mettre des cassures ?

L’unité me paraît préférable. Mais je ne me pose plus cette question depuis que j’évolue dans une perspective de pensée non-duelle.

Quel support préférez vous, celui de la page blanche, ou de la toile vierge sur le chevalet ?

Je n’utilise jamais le chevalet. C’est trop loin du ventre. Il existe en chinois une formule « He Tian Di ». Cela signifie : réunis en toi Ciel et Terre. Je ne peins jamais assis non plus. J’ai installé dans la cabane où je m’isole, un long plan de travail horizontal calé à la hauteur de mon propre plexus. C’est pour moi la hauteur qui correspond à la meilleure circulation de l’énergie qui provient du Ciel par la tête et des pieds par la Terre. J’ai commenté cela dans mon livre « Poussière du Guangxi ».

Une fois collé contre mon panneau, je ne vois plus que l’encre et le papier. Les gestes s’enchaînent naturellement, dans l’émotion contenue d’un « revoir » mystérieux. Je n’utilise que le papier chinois. Il est fait pour l’encre. Il en existe de nombreuses variétés. Le Xuan est celle que j’affectionne tout particulièrement, bien que je ne l’utilise que rarement. C’est le papier le plus fragile, le plus féminin qui soit. Il faut avoir expulsé toute violence, tout trouble intérieur pour oser le maculer. Après avoir marouflé mes peintures, je les encolle sur une toile ordinaire par simple raison de commodité, car en Europe, c’est la coutume, et celle-ci est difficile à contourner. Le montage que je préfère est évidemment le montage chinois, délicat, distingué. Mais lorsque vous souhaitez montrer au public des paysages dont la dimension dépasse souvent les six mètres, où trouver des vitrines de pareilles dimensions ?

Quelles influences ou artistes vous ont touché au point de créer avec autant de finesse ?

Votre compliment me flatte. Je comprends que vous puissiez avancer cela si vous n’avez jamais vu un paysage de Gong Xian ou de Guo Xi, et Dong Yuan, l’inventeur du son horizontal en peinture… Je pourrais en citer cent. Leur peinture m’a lavé les yeux.

Qu’aimeriez vous qu’il reste dans 100 ans de votre œuvre dans l’imaginaire de chacun ?

Le goût de l’espace peut-être…

Bientôt on pourra voir vos toiles à Paris, et je crois dans d’autres villes, pouvez-vous nous donner des précisions.

Je vais là où ma présence est désirée. Je ne prospecte pas. Je ne démarche pas. Les choses se produisent. Je crois que les yeux des gens ont besoin de voir autre chose que du malheur , de la violence, ou des contenus de poubelles savamment arrangés. Je suis persuadé qu’un jour où l’autre, des personnes changeront d’attitude, et qu’elles se tourneront de nouveau vers ce que nous oublions en chemin : le sens délicieux de la vie.

Je viens d’apprendre en rentrant chez moi que j’étais invité en mai à exposer mes encres au Palais des Congrès de Royan. Un ami libraire, s’est donné la peine de tout cela pour le seul plaisir, j’en suis sûr, de partager un vrai moment de vie. C’est ainsi que les choses se produisent.

Ma dernière exposition à Melun, je la dois par exemple à Francine Bridier qui est la conservatrice du musée de Melun et qui, une année plus tôt, avait pris la peine de venir visiter ma grande exposition à la médiathèque de La Rochelle. Elle a eu le fameux  « coup de cœur » m’a écrit puis invité. Mon affaire avait mis son esprit en appétit. Résultat, j’ai donné le meilleur de moi-même car l’équipe de l’Espace Saint-Jean est à tout point de vue épatante. Quand il y a quelque chose de juste à défendre, les personnes qui ont du cœur et de l’esprit se mobilisent. C’est formidable pour l’artiste, car il vérifie alors qu’existe bien la communauté humaine dont il rêve.

En juin, j’exposerai de petits travaux à La Hune-Brenner. Encore une histoire d’affinités. Marc Brenner est un homme exquis plus un grand professionnel. Il n’est que gentillesse et sensibilité. J’aime me sentir à mon aise dès qu’il s’agit de partager du temps vivant. Avec lui, pas de problème.

Je ne sais quelle nécessité depuis quelque temps me tire vers l’expression de l’animalité. Ces choses ont avantage à être traitées dans le style dit « librement inspiré ». D’ordinaire, je préfère le Gong Bi, le style méticuleux qui permet de se perdre dans les délices d’un lent surgissement… Il faut aller voir du côté de Chu Ta, le génie du trait.

Il faut aller voir du côté du Ch’an, autrement dit, du vrai Zen qui n’est pas aussi « cool » que les publicités le disent.



 

Si vous aviez une priorité à défendre ou à partager avec ceux qui vont lire cette interview, que leur diriez-vous ?

Je leur conseillerais de ne pas démissionner d’eux-mêmes, de prendre simplement le temps de vivre. Lorsqu’il m’arrive d’accompagner les premiers exercices d’encre et de pinceau de quelque néophyte, je découvre à chaque la déplorable situation de stress qui constitue l’état ordinaire de la plupart des gens. Je vois dans la chair et les gestes, les dégâts que produit le système d’abrutissement dont chacun est aujourd’hui la victime plus ou moins complice.

Pour conclure cet entretien, quel mot vous vient à l’esprit ?

Merci.

Merci, c’est surtout à moi de le vous le dire, pour ces réponses sincères et profondes, et pour avoir accepté avec gentillesse, ce jeu des questions pour les internautes de Flash-News.

Du même auteur

Daoren un rêve habitable éditions de La Différence
L’horizon des cent pas éditions de La Différence

Poussière de guangxi éditions de La Différence

Vision dans le silence éditions Unes

Questions de mots : entretien avec Bernard Noël éditions Libertaires

 

(interview michel p. / copyright flash-news)