Hadopi...raté !

Publié le 09 avril 2009 par H16

C'est un véritable feuilleton à épisodes que nous offre le gouvernement. On est bien loin cependant des machines hollywoodiennes bien huilées où chaque acteur s'emploie à donner la meilleure performance, chaque scénariste peaufine son histoire jusque dans les moindres détails. Ici, c'est français, c'est le gouvernement français, c'est de la qualité française : acteurs approximatifs à la présence optionnelle, production floue et mal cadrée, rebondissements idiots jusqu'au lourd parfum d'improvisation totale et de dénuement intellectuel complet qui semble aller à ravir aux ministres de la Culture successifs ; rien ne manque pour le nanar du siècle.

Avant de me lancer dans un fastidieux rappel des épisodes précédents, je voudrais profiter de quelques lignes pour décerner le Prix Amateurisme, Législation et Papier WC à l'actuelle Ministre de la Culture. Madame Albanel, dont le nom, au fil des rebondissements pléthoriques de ce projet de loi catastrophique, n'est pas sans évoquer de plus en plus les meilleurs papiers triple-épaisseur, a réussi le pari de ridiculiser son ministère, son gouvernement, sa majorité, et maintenant son pays et ses institutions dans une longue apnée législative, mélasse gluante dans laquelle elle s'enfonce encore un peu plus aujourd'hui.

Albanel Epaisseur-Triple
Bon. Pour résumer : depuis maintenant ... pfiuu des années, l'état s'emploie à tenter de juguler la folle liberté d'internet, et plus spécifiquement, de maintenir les positions dominantes d'acteurs poussifs du milieu culturel : ceux-ci, par un lobbyisme poussé, s'emploient par le truchement de leurs affidés gouvernementaux, à faire pleuvoir des limitations, restrictions, régulations, taxations et autres bricolages liberticides contre ... leurs clients.
Après les amusantes contorsions de Donnedieu de Vabre pour faire passer sa DADVSI, qui s'étaient soldées par l'impossibilité technique de faire appliquer complètement la loi, Albanel s'est à son tour lancée dans le marigot avec la même gourmandise et cette même impétuosité qu'on prête aux fanatiques ou aux inconscients.
On a donc vu, lors des débats à l'Assemblée puis au Sénat sur la loi Création et Internet, toute la maîtrise du sujet par la ministre et ses extraordinaires propositions, tant en matière de filtrage que sur le versant répressif. Solidité, cohérence, connaissance des acteurs et du public visé : tout aura été fait pour que, dès le départ, cette loi soit une véritable référence mondiale en matière de foirage législatif.
Mais il fallait un épisode de plus, véritable Cliff-Hanger franchouillard de la médiocrité, pour amener cette triste série médiatico-législative à un niveau jamais égalé d'amateurisme ; on frise l'oxymore ultime d'Amateurisme Professionnel, où chaque intervenant semble s'employer à être à chaque étape encore plus désorganisé, plus j'en-foutre et plus incompétent.
Or donc, alors que le Sénat a finalement adopté le texte proposé par l'Assemblée, cette dernière, lors du vote solennel, ... le rejette. C'est superbe.
Compte-tenu du nombre rarissime de fois où ce genre d'événements se produit, je pense qu'on peut raisonnablement qualifier l'ensemble de Merdage Total et qu'il faudrait, à ce titre, que la fougueuse mais néanmoins incompétente ministre se fasse gentiment mais fermement satelliser l'arrière-train à coup de pied. Gageons là encore que le gouvernement, fidèle à ses principes maintenant éprouvés de la Thésaurisation des Abrutis, n'entendra pas mon vibrant appel à ce catapultage salvateur et l'abandon de cette loi pathétique.
Mais au-delà de cette simple constatation, ce ratage grandiose montre quelques points saillants de la Démocrassie A La Française.
D'une part, on se demande pourquoi aussi peu de députés sont présents. Certes, ils ne peuvent être présents tout le temps, pour toutes les lois. Mais pour une loi d'importance comme HADOPI, on pouvait s'attendre à un petit effort, notamment de la part des députés de la majorité. Leur absence en dit long tant sur le support que cette majorité donne à cette loi, que sur leur capacité à disparaître en vacance dès qu'ils le peuvent. Tout ceci n'est pas sérieux.
D'autre part, le citoyen se perd devant la complexité qui frise à l'absurde des va-et-vient entre les deux chambres législatives : certes, un tel projet de loi, naturellement complexe, ne pouvait être torché en quelques heures de débat. Mais là, on frôle le divin dans la mécanique subtile qui fut mise en place pour s'assurer que ce nom d'une pipe de papier serait voté.
Si l'on ajoute le mépris de plus en plus flagrant des clients des majors électeurs de base qui semblent de plus en plus remontés contre ces incompréhensibles tuyaux administratifs et lois liberticides consternantes, on dresse un tableau assez sombre de ce que peut être l'expression démocratique de nos jours.
En somme, c'est un jeu bien délicat, pratiqué par des gens qui ne sont pas là aux moments clefs, reposant sur une méconnaissance ahurissante des techniques, marchés ou technologies sur lesquels on légifère pourtant hardiment, en faveur d'acteurs de la société civile qui ne sont pas (ou pas tous), ni officiellement, ni officieusement, des citoyens, et qui impliquent par-dessus l'ensemble (déjà bien nauséabond) des finances publiques assez roboratives qu'on s'empressera de dilapider bien vite.
Le constat est effarant. C'est un véritable spectacle de Guignol auquel on assiste, plongeant le spectateur entre la joie de voir à nouveau un projet idiot du gouvernement terminer en Schweppes[1] et la consternation de se rendre compte qu'une fois de plus, avec de tels députés, il se fait représenter par des clowns.
En quelques mots comme en cent : avec de tels ministres, avec un tel gouvernement, avec une telle majorité, ce pays est foutu.

Notes

[1] (c) Besancenot