La crise…

Publié le 11 avril 2009 par Boustoune


Ca fait des mois qu’on nous le rabâche, c’est la crise ! A cause des dérives d’un système libéral dénué de garde-fous, et de l’inconséquence de quelques traders et hommes d’affaires, l’économie est secouée, les cours de la bourse s’effondrent, les banques affichent des pertes record. Des entreprises sont au bord de la faillite et sont obligées de se mettre en chômage technique, faute de commandes, quand elles ne mettent pas en place des plans de licenciement aux conséquences humaines et sociales désastreuses.
Bref, tout le monde est touché, plus ou moins durement, et l’avenir ne s’annonce pas des plus réjouissants…
Ce profond malaise se retrouve aussi sur les écrans de cinéma, avec des films qui, bien que tournés avant le début de la crise, lors de l’annonce des graves difficultés des banques à l’automne dernier, traitent néanmoins de sujets d’actualité brûlants.
Dans Tokyo Sonata, Kyoshi Kurosawa délaisse (provisoirement ?) les histoires de fantômes asiatiques ou de tueurs psychopathes qui ont fait sa réputation pour décrire une horreur sociale beaucoup plus discrète, mais aussi beaucoup plus réaliste.
Il dresse le portrait d’une famille japonaise typique, échantillon représentatif de la population, qui va voir son unité bouleversée quand le père se fait licencier de son travail, remplacé par des employés chinois qui feront le même travail pour un salaire moindre.
Pour ce cadre modèle, qui s’est toujours investi dans son entreprise, le chômage est un déshonneur. Mais il va devoir s’y faire, d’autant qu’il n’est plus tout jeune, que les postes vacants sont rares et qu’il est loin d’être le seul dans ce cas. Les hommes en costume-cravate, jadis épargnés par les soucis économiques, sont désormais nombreux à se retrouver dans les files d’attente des agences pour l’emploi locales et des soupes populaires. L’homme tombe d’ailleurs sur un vieil ami, qui cache lui aussi sa situation à sa famille, en usant de bon nombre de subterfuges pour consolider son mensonge.
 
Pour retrouver un emploi, il faut obligatoirement revoir ses prétentions à la baisse. Les seules fonctions auxquelles peuvent aujourd’hui prétendre ces cadres, autrefois considérés comme les forces vives de la société nippone, sont des emplois ingrats d’agent d’entretien ou de serveur de fast-food. Or, au Japon, le respect que l’on reçoit et l’autorité dont on dispose sont liés à la position sociale. Alors, l’homme préfère taire sa situation à ses proches, afin de sauver les apparences et tenter de maintenir tant bien que mal une autorité qui s’effrite peu à peu. Sa femme, pas dupe mais soumise comme l’impose la tradition japonaise, supporte en silence ses mensonges et ses coups de colère, conséquences d’un malaise de plus en plus palpable. La communication entre les quatre membres de la famille est en train de se rompre. Les deux parents ne parlent plus, ne se soutiennent plus mutuellement. Les enfants cherchent à partir loin de cette atmosphère étouffante. L’aîné envisage même de s’engager auprès de l’armée américaine, l’ennemi d’hier, qui recrute des jeunes nippons volontaires pour combattre en Irak… Un comble ! Le plus jeune, lui, prend des cours de piano en cachette, défiant l’autorité de ses parents… De silences en mensonges, c’est toute la structure familiale qui se désagrège…  Le travail, la famille… A travers les avanies subies par ces deux des fondements du modèle sociétal japonais, Kurosawa dresse un portrait sans concession de son pays, qui a du mal à faire face aux mutations économiques mondiales et au changement des mentalités.
Dans la première partie, le cinéaste adopte une mise en scène très épurée, qui joue sur la précision des cadres et l’utilisation des silences, un peu à la façon du maître du cinéma japonais, Yasujirô Ozu. Il part d’un ton assez léger pour évoluer progressivement vers le drame, instillant au récit une tension permanente. Puis le film bascule dans l’étrange et la comédie noire, avec l’irruption d’un cambrioleur pas très doué. Le montage se fait plus nerveux, plus heurté. Les tribulations des quatre membres de la famille, partis chacun de leur côté, se télescopent dans un certain chaos, symbolique de la société japonaise actuelle.
 
Le film se clôt sur un certain apaisement, une lueur d’optimisme, grâce à la sonate du titre, jouée par le cadet de la famille, qui prouve qu’il a eu raison de braver le courroux parental et s’obstiner à apprendre le piano. Sa désobéissance fait écho à la rébellion de sa mère, lassée d’être cantonnée à un rôle de faire-valoir soumis. C’est peut-être là, dans la remise en cause d’un modèle trop figé, trop archaïque, que se trouve le salut de la société nippone. C’est du moins la réflexion qu’ouvre ce beau film, surprenant et bouleversant.
Wendy & Lucy de la cinéaste américaine Kelly Reichardt, est tout aussi poignant.
Il s’agit de l’histoire toute « simple » de Wendy, une jeune femme qui traverse en voiture les Etats-Unis pour rejoindre l’Alaska, avec pour seule compagnie sa chienne Lucy. Le motif de ce long périple ? La survie, tout simplement. Wendy vient d’une zone économiquement sinistrée (l’Indiana), où les emplois sont trop rares pour espérer avoir une chance de s’en sortir. Sa seule famille n’a plus les moyens de l’héberger, ni de l’aider financièrement. Alors elle part là où il y a encore du travail. Et peu importe s’il s’agit de tâches physiquement éprouvantes, de métiers plutôt destinés à la gent masculine, genre bûcheron. Wendy n’a pas le choix…
Mais avant cela, il lui faut déjà rejoindre l’Alaska, qui n’est pas la porte à côté… Pas si simple quand on a un budget très restreint qui couvre à peine les frais d’essence et la nourriture, et qui n’autorise pas le moindre écart.
    
Aussi, quand sa vieille voiture tombe en panne dans un bled paumé, au cœur de l’Oregon, c’est le début d’une série de galères. Il faut déjà faire intervenir une dépanneuse pour emmener la voiture au garage, pourtant situé juste de l’autre côté de la rue, et ce sont quelques précieux dollars qui s’envolent. Puis il y a le coût des réparations à effectuer, plus chères que la voiture elle-même, mais à priori moins chères qu’une automobile neuve. Plus le prix de la location d’un hôtel le temps que le garagiste diagnostique la panne, trouve éventuellement les pièces à changer et ne finisse les réparations. Autant dire une somme astronomique pour Wendy. Alors, elle décide de dormir dehors en attendant que les choses s’arrangent. Elle se lave dans les toilettes de la station-service voisine et se contente de peu pour manger. En revanche, hors de question de priver sa chienne de nourriture. Alors la jeune femme, pour préserver ses économies, va tenter de voler quelques boîtes de pâtée pour chiens au supermarché du coin… et se faire pincer par un jeune vigile trop zélé. Le butin a beau être dérisoire, Wendy est emmenée au poste de police, mise au trou pendant quelques heures et condamnée à une forte amende qui grève encore davantage son budget.  Mais c’est le cadet de ses soucis, car quand elle revient au supermarché, Lucy a disparu…
La jeune femme va tout faire pour tenter de retrouver sa seule véritable amie…
Plus que le calamiteux Un homme et son chien, le film de Kelly Reichardt est le digne héritier de l’Umberto D. de Vittorio De Sica. La touchante histoire d’affection entre la jeune femme et son animal de compagnie n’est que le prétexte à un portrait saisissant d’une Amérique en plein marasme économique, en pleine décomposition, comme l’attestent les façades fatiguées des maisons et les moteurs des voitures, à bout de souffle. C’est le tableau d’une société où il ne fait plus bon vivre, où règne la misère et le désespoir. Des gens dorment dans la rue, vivent en marge de la communauté, et ceux qui arrivent tant bien que mal à gagner leur vie sont égoïstes et/ou n’ont pas les moyens d’aider ceux qui sont encore plus en difficulté qu’eux.
 
Le portrait, à l’instar des chefs d’œuvres du néoréalisme italien et des œuvres de Rainer Werner Fassbinder – influences avouées de la cinéaste – est évidemment très noir. Seules l’aide apportée par un vieux vigile, ému par la détresse de Lucy, et la détermination intacte de la jeune femme de tenter sa chance vers un improbable eldorado apportent une lueur d’espoir à l’ensemble.
S’appuyant sur la mise en scène épurée de Kelly Reichardt et le jeu d’actrice d’une Michelle Williams bouleversante, tout en intériorité et en dignité, Wendy & Lucy est un film grave et douloureux, parfait symbole d’une époque difficile, à l’issue incertaine.
Pas très gai, tout cela… Alors je terminerai ce lot de critiques « spécial crise » sur une note un peu plus joyeuse, en vous disant un mot sur le nouveau film de Gérard Bitton et Michel Munz, Erreur de la banque en votre faveur. Ici, pas besoin de sortir les antidépresseurs, il s’agit d’une comédie qui tourne autour des magouilles bancaires et autres délits d’initiés, orchestrés par une poignée de banquiers et d’industriels surpuissants, que vont exploiter deux hommes de condition modeste pour financer leurs projets.
 
Quand Julien Foucault apprend que son poste de maître d’hôtel de la prestigieuse banque Berthin-Schwartz est supprimé, il décide de s’associer à son meilleur ami, Etienne, pour ouvrir un petit restaurant gastronomique. Pour ce faire, il sollicite un prêt auprès de l’établissement qui l’employait. Mais, malgré ses dix-sept ans de bons et loyaux services, on lui fait comprendre que son projet de vulgaire gargote n’est pas assez intéressant pour la banque et sa demande est rejetée. Julien décide alors d’exploiter les bribes de conversations qu’il a saisies par accident, donnant des informations confidentielles sur les prochains mouvements boursiers à venir. Le filon s’avère juteux et suite aux indiscrétions d’Etienne, tout le quartier en profite. Jusqu’au jour où ses futurs ex-employeurs découvrent qu’ils sont espionnés, et décident de faire payer à ce sans-grade son impudence, en lui refilant des informations erronées. Julien et Etienne perdent toutes leurs économies et bien plus. Mais ils n’ont pas dit leur dernier mot, et entendent bien se venger de ce mauvais tour.
Voir les petites gens se rebiffer contre ces requins détestables, à l’aide d’une audacieuse combine bancaire et boursière est évidemment un spectacle assez jouissif, d’autant que les cinéastes ont eu le bon goût de s’appuyer d’une part sur des dialogues percutants, et d’autre part sur de très bons comédiens. Le duo Gérard Lanvin / Jean-Pierre Darroussin fonctionne bien et est complété par un casting sans faille, mais parfois insuffisamment exploité, de Barbara Schulz à Laurent Gamelon, en passant par Martin Lamotte et Roger Dumas. Côté « méchants », Philippe Magnan, Roger Van Hool et Eric Naggar sont odieux à souhait, et participent à la réussite de cette comédie sympathique.
    
Attention, le film n’est cependant pas exempt de défauts. La comédie est affaire de rythme, et celui du film est souvent trop mou pour que l’on soit vraiment emporté par l’intrigue. Cette dernière est par ailleurs trop linéaire. Quelques rebondissements n’auraient pas été superflus pour que le script gagne en intensité et pour permettre aux personnages secondaires d’exister un peu plus.
Mais ne boudons pas notre plaisir. En ces temps de disette pour la comédie française, Erreur de la banque en votre faveur est malgré tout une agréable surprise, qui permet – un temps – d’échapper à la morosité ambiante. Et ce n’est déjà pas si mal…
Notes :
Tokyo sonata :
Wendy & Lucy :
Erreur de la banque en votre faveur :
   

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