Congé de Pâques

Par Pierre-Léon Lalonde
Il n'a pas été question de l'incident à mon retour au garage. Ça faisait mon affaire de ne pas être obligé de revenir là-dessus. Le patron s'est même montré affable en me demandant si je voulais garder le taxi toute la fin de semaine. Je me suis dit qu'ajouter quelques heures ici et là ne pourrait pas faire de tort pour compenser le manque à gagner de la semaine précédente. C'était sans compter que les clients eux, ne se feraient pas plus nombreux.
C'est pourtant toujours plus ou moins la même chose quand arrive un long week-end. Les gens en profitent pour sortir de la ville. Pour aller voir la famille ou pour aller se faire voir dans la nature. Si les "locaux" sont remplacés par des touristes, ça ne fait pas nécessairement augmenter la clientèle. Faut les voir ces véhicules d'Ontario et des États avoisinants venir se perdre dans cette ville-chantier. J'ai même dû dépasser un 4X4 du New Jersey quasi immobilisé dans une bretelle d'autoroute. Des empêcheurs de tourner en rond!
À défaut de passagers, j'avais au moins le loisir d'observer la lune et un bon livre m'empêchait de complètement désespérer. Sur la route, les chauffeurs étaient à cran. Ça coursait, ça coupait, ça frôlait les miroirs, ça passait sur les rouges, ça volait les voyages, ça ne volait pas haut. Moi- même, je n'ai pas toujours été au top du zen. Un moment donné deux filles équipées pour veiller tard montent dans mon taxi pour aller à deux coins de rues de là. Un voyage de même pas cinq piasses après plus d'une heure d'attente. Elles ne voulaient pas abîmer leurs talons aiguilles. J'ai été bête comme mes pieds.
J'ai quand même eu droit à quelques beaux spécimens humains. Comme ces deux marins russes que j'ai été reconduire à leur porte-conteneur dans le port. Un des deux avait certainement bu sa bouteille de vodka et dans un anglais approximatif me faisait l'apologie de Youri Gagarine. Un autre qui s'est envoyé en l'air un certain 12 avril 1961. J'ai eu un jeune pakistanais qui m'a expliqué comment le "Céhache" allait gagner la coupe Stanley, une jolie fille sentant le chocolat qui venait de se faire poser un lapin et tout un lot de jeunes légèrement vêtus de blanc pour le fameux bal de la même couleur au palais des congrès.
N'empêche que pour cette fin de semaine de congé Pâques, ça n’a pas été à tout casser. Y' à pas à dire, pour nous, le carême se poursuit. Les effets de la crise se font de plus en plus sentir et je n'ai pas le sentiment que ça va s'améliorer avec le retour des beaux jours.
Va falloir que je songe à emprunter un autre chemin. Je crois...