Après la démocratie

Publié le 14 avril 2009 par Valabregue

La France – comme d’ailleurs d’autres nations en Europe et dans le monde – a un gros problème avec ses élites. Au cours des deux dernière décennies, en gros, celles-ci sont devenues autonomes au point de pouvoir composer une société auto-suffisante et narcissique au sein du reste de la nation. Coupées des réalités et alimentées par leurs propres idéologies, ces élites sont de plus en plus en porte à faux avec les électeurs.

Pour l’historien franco-américain, la France est malade et Sarkozy en est la preuve manifeste. Et pour cause: avec lui, les conventions politiques explosent, les traditions idéologiques disparaissent, les bonnes manières s’évanouissent.

Son analyse s’articule notamment autour d’un parallèle entre ce qu’il présente comme les 5 traits du « moment sarkozy »  et 5 crises de la nation et de la société française :

-  Incohérence de la pensée

-  Médiocrité intellectuelle

-  Agressivité

-  Amour pathologique de l’argent

-  Instabilité affective et familiale

Ces points sont mis en relation avec :

-  le vide religieux

-  stagnation éducative et pessimisme culturel

-  abandon de la démocratie au profit de l’oligarchie

-  le libre échange et l’appauvrissement des classes moyennes

-  évolution des socles anthropologiques

C’est surtout la perte de tout idéalisme (qu’il soit ou non porté par un sens « religieux » élargi) qui fait sens dans le premier chapitre et le lent abandon des fondamentaux par les partis de droite comme de gauche. Une sorte de trahison des clercs, qui transforme le politique en vulgaire combat d’ego de ventres-mous.

La stagnation éducative et le pessimisme culturel met en scène l’émergence sur la scène intellectuelle française de penseurs réactionnaires, qui définissent en long, en large et « de » travers le déclin de la France. Mais ces déclinologues, amants passionnés de la France d’avant, comme tous ceux qui les ont précédés et ceux qui suivront, partagent ce regard biaisé qui ne voit que le côté rose du passé en naphtaline. Et il est quasiment impossible de leur faire admettre que si la France ne parle plus le langage de Molière, (qu’ils seraient sans doute bien en peine de comprendre au demeurant), elle n’en est pas moins très diplômée. Cependant, si les déclinologues ont souvent tort, il semble de plus en plus évident que le diplôme ne soit plus la garantie d’une progression sociale. Le savoir et une excellente formation ne préservant plus du chômage ou de la relégation sociale, d’autant que le nouveau personnel politique semble vouer une haine tenace au savoir et à l’exigence qui l’accompagne, et en même temps il semble tenter comme tous les pouvoirs basés sur le populisme, par un contrôle accru des savoirs de pointe en faveur d’un savoir officiel n’ayant pour but que la formation d’une masse aisément contrôlable.

Todd par le biais de l’histoire, de la sociologie, de la philosophie et de la « divine » économie, démontre comment toutes nos sociétés démocratiques sont confrontées au gigantesque défi d’une population maintenue dans des chaînes économiques, alors même que son niveau intellectuel augmente. Avec beaucoup de pertinence, il explique que cette corrélation n’est nullement due au hasard mais bien à une volonté ou absence de volonté politique qui tire les ficelles de cette tragique rupture de l’ascenseur social. Il revient également assez longuement les différences entre les démocraties occidentales et ce qui, jusqu’à une période récente, ces différences impliquaient au niveau de la relation peuple/état. Mais depuis une trentaine  d’années les repères se floutent et en France, on assiste à une tentative politicienne de créer artificiellement une opposition communautaire et de jouer sur la rhétorique artificielle et fautive du « bien et du mal ». Il suffit de prendre les discours ou petites phrases de l’actuel président pour retrouver cette tentation particulièrement dangereuse pour une démocratie.

Sur un plan économique, Todd rappelle la différence entre globalisation et mondialisation et démontrant clairement les enjeux destructeurs du premier en terme d’emploi et de qualité de vie. La charge contre le libre-échange que les libéraux auraient sans doute dénoncé comme caricaturale, trouve un écho tragique dans le récent et spectaculaire dévissage de l’économie mondiale, rappelant entre autre, que le dérégulation a créé dans nos démocraties d’effrayantes zones de pauvreté, à peine moins tragiques que celles qui défiguraient le cœur des villes industrielles au XIXè siècle.

La conclusion est double, tant le paysage de nos démocraties semble sinistré. Todd estime que le « drame des démocraties ne réside pas tant dans l’opposition de l’élite et de la masse, que dans la lucidité des masses et l’aveuglement des élites ». Une démocratie n’est pas un régime populiste, elle sait donc qu’elle doit s’appuyer sur une élite clairement identifiée pour ses qualités et son implication dans la vie de la démocratie. Mais lorsque cette élite est plus habile à gérer ses intérêts particuliers que le bien être général alors la démocratie oscille dangereusement entre populisme et oligarchie, et de citer les politiques des Blair, Bush et Sarkozy. Le risque de ces crises à répétition est bien sûr la destruction de la relation entre masse et élite et l’instauration de politique éthniciste dans le but de désigner le fort utile bouc émissaire, puis dans la confiscation des droits électoraux pour cause de crise majeure.

Alors après la démocratie, que reste-t-il ? Un formidable message d’espoir et un véritable programme politique. Après la démocratie, il y a une place pour une meilleure démocratie, qui se souvient de ses obligations vis-à-vis des citoyens et d’une réhabilitation de l’ascenseur social et d’un protectionniste social et éthique, garant de nouvelles richesses et garant d’une volonté de progrès et d’excellence pour les nouveaux entrants dans une économie de marché responsable.

Le rapport des Français à la religion est un des points les plus intéressants du regard critique de Todd. Il y consacre d’ailleurs un long chapitre. L’effondrement du catholicisme a entraîné, selon lui, un effondrement par ricochet des idéologies séculaires contre lequel elles s’étaient définies. En quelque sorte, Todd observe une crise de l’athéisme. Celle-ci débouche sur une fixation palpable sur l’islam qui n’est autre que notre “mal-être métaphysique”, notre difficulté chronique à vivre sans Dieu tout en clamant que notre modernité est la seule possible, la seule valable. En ce sens, Todd se rapproche du philosophe allemand Eric Voegelin, malheureusement trop peu connu en France, dont la critique de la modernité portait principalement sur l’immanentisation du réel (et donc l’anéantissement de la transcendance religieuse).

Pour Todd, trois évolutions de la crise actuelle sont plausibles. La première est une ethnicisation de la société française par la désignation d’un bouc émissaire ethnique, religieux ou racial. Quand une société ne parvient pas à affronter ses propres problèmes économiques, c’est l’une des issues qui s’offrent à elle. Taper sur un faible pour se soulager les nerfs est un mécanisme de compensation éprouvée, à l’échelle individuelle comme collective. L’auteur estime que Sarkozy a marqué une avancée notable dans ce domaine (agressivité  verbale envers les jeunes des banlieues, déclarations sur la fierté d’être Français, création d’un Ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement).

La seconde est le risque de la suppression définitive du suffrage universel. Du point de vue des hommes politiques, qui ont de plus en plus de mal à se faire élire pour ensuite ne pas gouverner, il faut que cesse la comédie. Le refus d’obéir au peuple pourrait être officialisé par l’instauration d’un régime politique autoritaire, le suffrage universel semblant désormais produire de l’incertitude plutôt que des choix rationnels (élection présidentiel de 2002,  affrontement entre deux candidats existant par l’image plutôt que par le programme en 2007).

La troisième est le protectionnisme européen comme dernière chance de la démocratie, ce que prône Todd.  D’après lui, l’Europe pourrait décider, si ses nations les plus importantes le voulaient, de devenir un espace de régulation économique se protégeant des importations et des délocalisations vers les pays à bas salaires. Un protectionnisme européen ne poserait aucun problème: l’Europe équilibre ses échanges extérieurs; elle peut donc financer sans difficulté ses importations d’énergie et de matières premières. Emmanuel Todd revient sur la notion de protectionnisme européen et affirme que son but serait moins de repousser les importations des pays situés à l’extérieur de la préférence communautaire que de créer les conditions d’une remontée des salaires.

Commentaire(s)