Aimé Césaire : TOUSSAINT LOUVERTURE, la Révolution française et le problème colonial

Par Gangoueus @lareus
I’m back ! dirait le british. Na zongi ! hurlerait de joie le congolais. Effectivement cela fait belle lurette que je n’avais pas produit un commentaire de lecture. Je reviens avec du costaud. Aimé Césaire. A la veille du premier anniversaire de sa disparation, cela relève du timing quasi-parfait. Si j’étais animiste, je croirais peut-être que l’âme du poète a quelque peu perturbé et fait trainer ma lecture de cet essai historique sur Toussaint Louverture, la Révolution française et le problème colonial.
Tout un programme. Ce livre qui trainait dans ma PAL (Pile de livres A Lire) depuis quelques années est devenu une urgence pour moi avec les événements qui ont bousculé les DOM-TOM, ces derniers mois. Beaucoup ont découvert, qu’au-delà des belles plages, des cocotiers et du soleil, couvait un conflit social, mêlant une question raciale plus profonde et des contentieux historiques non résolus. Il y a suffisamment de choses à partager sur cet essai d’Aimé Césaire pour que je revienne sur l’épopée du LKP et de la grève généralisée que ce collectif a suscitée en Guadeloupe.
On parle beaucoup de la poésie de Césaire et il est vrai que même dans le Discours sur le colonialisme, le cri de l’intellectuel martiniquais prend des formes poétiques. L’analyse que porte Césaire sur la figure historique de Toussaint Louverture et les relations de la Révolution française et la question coloniale, est beaucoup plus froide. Il réalise un travail extrêmement documenté et expose les faits qui ont conduit de la Révolution française à l’indépendance d’Haïti, en explorant entre autre la démarche de Louverture.
La question coloniale concerne, au moment où commence la Révolution française, principalement les Antilles françaises où Saint-Domingue tient une place plus importante pour l’économie du royaume. La traite négrière vit de beaux jours, l’esclavage bat son plein sur la partie française de l’île. Environ 700.000 âmes, dont près de 600.000 esclaves et un nombre équivalent de mulâtres affranchis et de blancs.
Aimé Césaire décortique avec beaucoup de minutie les rapports des différentes strates sociales de Saint-Domingue avec les débats de l’Assemblée constituante, puis de l’Assemblée législative, la Convention nationale, le Directoire…

Quand celle-ci (1) éclata : chez les planteurs, affranchis, esclaves, ce qui fut général, ce fut l’enthousiasme. C’est que tout le monde, toutes les classes entrevirent l’occasion de faire aboutir leur particulière revendication et d’obtenir une liberté selon leur cœur : la liberté politique et la liberté du commerce pour les planteurs, liberté politique et égalité des chances pour les mulâtres, liberté tout court pour les
nègres.

Page 342, éd. Présence Africaine
Dans ses développements, l’auteur antillais prend soin de mettre le choc de ces différentes revendications particulières avec les idéaux nouveaux de la Révolution que l’on retrouvera entre autres dans la déclaration des droits de l’homme. Les faits que Césaire proposent sont tous simplement les échanges historiques que la Révolution a dû se poser sur la question coloniale : Robespierre, Mirabeau, Marat, Brissot, Barnave, l’Abbé Maury, Danton, etc. La question de la représentation des colonies aux assemblées, la citoyenneté des mulâtres, la question de la Traite atlantique, l’attitude vis-à-vis de l’abolition de cette dernière par les anglais, mais également les rapports ambigus entre mulâtres libres et esclaves nègres.
Césaire définit une échelle dans la contestation suivant les strates sociales de Saint-Domingue qui l’exprime : La fronde des Grands blancs, la révolte des mulâtres, la révolution nègre. Toussaint Louverture qui apparait assez tardivement dans la construction est le point culminant de cette étude quand ce dernier reprend, façonne la révolte des esclaves et prenant à la lettre le principe d’égalité et de liberté proclamé par la France, déploie tout son savoir et son énergie pour arracher et préserver cette liberté acquis par les anciens esclaves.
Ce livre est passionnant. D’abord parce qu’on y découvre la fascination de Césaire à l’égard de l’homme d’état Louverture. Fasciné, mais lucide Aimé Césaire, plonge le lecteur au cœur de débats passionnants de cette Révolution française, dont la question coloniale a été une des grandes échardes. Comment en effet concilier le principe et l’idéal absolu de justice qui ont été affirmé pour la nation et l’intérêt mercantile ? Dans cet exposé, on retrouve le fondement de la politique actuelle des affaires étrangères de ce pays, habité par cette tradition humaniste et de cet héritage des principes de la Révolution française et la contradiction qu’impose la gestion des intérêts économiques, capitalistes. Ce conflit d’intérêt explique les débats extrêmement violents et le fait que mulâtres, puis esclaves ont dû prendre de force, ce que le principe énonçait clairement : la liberté et l’égalité. Ce que nous voyons aujourd’hui n’est qu’une répétition de passionnantes polémiques, de terrifiantes répressions de cette époque. Comme le souligne l’Ecclésiaste « Rien de nouveau sous le soleil ».
Aimé Césaire a le talent de laisser parler une époque par ces différentes interventions, il laisse parler l’histoire et glisse une conclusion brève, mais qui coule pour le lecteur qui termine son texte.
Bonne lecture



Aimé Césaire, Toussaint Louverture : La Révolution française et le problème colonial
Edition Présence africaine, 345 pages

Caricature d'Aimé Césaire par Ben Heine