Les petites " chicaneries intérieures " de la Conférence de Durban

Publié le 20 avril 2009 par Drzz

Les échecs diplomatiques laissent toujours des traces. Lorsque la conférence de Durban sur le racisme de 2001 s’est fourvoyée en un déchaînement d’accusations, notamment contre Israël mais pas seulement, elle a semé une mauvaise graine qui, huit ans plus tard, provoque l’inappétence des pays du Nord pour ce genre d’exercice.


Voici deux articles que je soumets à votre jugement . Puis un troisième qui vient sauver l´honneur . Il est de Jean Claude Buhrer, ancien correspondant du «Monde» à l’ONU, qui constate que la manipulation langagière conduit à vider les droits de l’homme de leur sens premier

1) Enjeux et petits jeux
Par Joëlle Kuntz

Vendredi soir pourtant, les ambassadeurs européens auprès du Haut-Commissariat aux droits de l’homme fêtaient leur succès: ils avaient négocié avec fermeté le texte de la déclaration finale de cette deuxième conférence de suivi et leur fermeté avait payé. Ils avaient pu rayer la plupart des mots qui fâchent (sur le sionisme, sur l’islam, sur la Palestine…). L’accord, croyait-on alors, était fait.

Sauf qu’un accord n’est rien sans son contexte. Et les hésitations qui se sont multipliées ce week-end dans les capitales sur l’opportunité de venir à Genève montrent que, pour beaucoup d’Etats occidentaux, cet accord ne vaut pas le moindre sacrifice de politique intérieure.


Pour Barack Obama, à quoi bon risquer l’inimitié de l’électorat pro-israélien par la présence américaine à cette conférence, alors que son absence ne le privera sans doute pas de l’amitié de l’électorat noir? Pour la France, quel bénéfice politique ou d’image à risquer de fâcher la communauté juive ou la communauté musulmane, les deux plus importantes dans un pays européen? Pour l’Italie, aller au-devant de possibles accusations sur l’accueil des réfugiés de la mer, quand il est si indolore de l’éviter? Les Pays-Bas, le Danemark, l’Allemagne, tous ont des raisons de préférer l’absence à la présence
. Dans le calcul «qu’est-ce que je perds à y être et qu’est-ce que je perds à ne pas y être?», le résultat est hélas défavorable à la conférence. La diatribe anti-israélienne du président iranien, qui a déjà commencé hier par voie de télévision, fournit les meilleures excuse s aux récalcitrants.

La conférence s’ouvre ce matin de toute façon. Mais il y manque la force d’un enjeu réel capable de bousculer les petites chicaneries intérieures.

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/c53c7bb2-2d22-11de-b51f-69b87c0d2110/Enjeux_et_petits_jeux
2) Durban II s´ouvre sur fond de défections ( Article de Stéphane Bussard )

Alors qu’un compromis était sur la bonne voie, plusieurs Etats renoncent à venir à Genève. Les diplomates ont tenté d’éliminer les sujets ultrasensibles du projet de déclaration finale. Micheline Calmy-Rey se dit «très en souci» et redoute ouvertement les dérives de Durban I.

Rarement un événement aura suscité autant de polémiques et de débats, parfois virulents.
La Conférence de l’ONU sur le racisme, qui se tient au Palais des Nations à ­Genève de lundi à vendredi est entachée de plusieurs défections. La plus symbolique est celle des Etats-Unis, qui ont attendu samedi pour annoncer leur refus d’y participer. La haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Navanethem Pillay s’est dite «choquée et profondément déçue» par la décision américaine. Washington avait certes claqué la porte de Durban en 2001 en Afrique du Sud, mais il avait récemment envoyé une délégation à Genève pour participer aux travaux préparatoires. Ce boycott contredit a priori le souhait de l’administration de Barack Obama d’adhérer au Conseil des droits de l’homme. Mais attaqué de toutes parts par les républicains et surtout les conservateurs, Barack Obama pourrait avoir choisi de ne pas jouer la carte maximaliste au plan national. De plus, désireuse de dialoguer avec l’Iran, la Maison-Blanche jugeait sans doute peu opportun d’être confrontée d’emblée au président iranien Mahmoud Ahmadinejad, présent à Genève. Navanethem Pillay était pourtant convaincue que les obstacles étaient surmontables. Directrice du bureau genevois de Human ­Rights Watch, Julie de Rivero estime que le projet de déclaration finale de la Conférence d’examen de Durban ne comportait plus de passages justifiant un boycott américain.

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Les Etats européens partent pour leur part en ordre dispersé. Les Pays-Bas et l’Italie ont déjà signifié leur absence du sommet genevois, tout comme les Allemands qui ont attendu dimanche soir pour l’annoncer alors que la France et la Grande-Bretagne participeront à la conférence. Dimanche, les discussions se poursuivaient entre les chancelleries européennes pour tenter d’adopter une position commune. Parmi les absents figurent aussi Israël, l’Australie et le Canada. La venue de Mahmoud Ahmadinejad n’est pas de nature à rassurer les Occidentaux, d’autant que le président iranien a encore déclaré dimanche qu’Israël était «le porte-drapeau du racisme».

Les refus de participer au sommet sur le racisme surprennent d’autant que le projet de déclaration finale a supprimé toute mention d’Israël et la notion de diffamation des religions ou de stéréotypes négatifs des religions, chère aux pays musulmans. Quant aux réparations relatives à l’esclavagisme et au colonialisme, les pays africains y avaient déjà renoncé par souci de compromis. "

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/6271474c-2d27-11de-b51f-69b87c0d2110/Durban_II_souvre_sur_fond_de_défections
3) L’antiracisme dévoyé par la perversion des mots ( article de Jean Claude Buhrer)

«Quand une société se corrompt, c’est le langage qui se gangrène en premier», disait Octavio Paz, prix Nobel mexicain de littérature.

A en juger par les tiraillements récurrents qui ont émaillé ses travaux préparatoires et les incertitudes qui auront subsisté jusqu’à la dernière minute, ce propos pourrait fort bien s’appliquer à la Conférence de suivi contre le racisme, dite Durban 2, qui s’ouvre aujourd’hui au Palais des nations à Genève, sans que personne ne se hasarde à en prédire l’issue en fin de semaine.
C’est que la conférence proprement dite de Durban, entachée par des débordements antisémites et d’inquiétantes dérives verbales, n’a pas fini de laisser des traces et l’ONU est encore loin d’en avoir amorti le choc.


Déjà au cours des travaux préparatoires, le groupe islamique s’était employé à gommer toute référence à cette forme particulière de racisme qu’est l’antisémitisme, lui opposant systématiquement les néologismes «anti-arabisme» et «islamophobie», de création récente, afin de vider le terme de son sens communément admis.
Prétextant que «les Arabes constituent la majorité écrasante des Sémites», ses représentants n’ont pas hésité à avancer une proposition visant à «combattre les pratiques sionistes contre le sémitisme.» Commentaire d’un observateur: «Les tentatives visant à amputer l’antisémitisme de son plein sens ne sont pas uniquement antisémites, elles sont aussi antisémantiques.»
En même temps, plusieurs paragraphes participaient d’une tentative de banalisation de la Shoah. «Par une manipulation du langage, notait un diplomate, on assiste à une entreprise de relativisme historique, visant à dénigrer la réalité du génocide perpétré par les nazis.»

De plus, sans reculer devant l’amalgame, un discours unilatéral s’est acharné à plaquer sur le Proche-Orient les schémas en usage en Afrique du Sud à l’époque de l’apartheid – ce qui est aussi une insulte à ses victimes, et s’est fait au détriment de toute autre cause.
Ainsi détournés de leur sens originel, les mots ne veulent plus rien dire, jusqu’à en perdre toute signification de par leur banalisation. Devant ces dérapages, il aura fallu une ferme intervention du président de la Commission des droits de l’homme du Rwanda pour rappeler la singularité de chacun des mots shoah, apartheid ou génocide rwandais, autant d’armes contre «le révisionnisme, le négationnisme et la minimisation».

Comme si les dérapages de Durban n’avaient servi à rien, les mêmes travers ont refait surface lors de la préparation de la conférence de suivi. D’ailleurs, la haut-commissaire, Navanethem Pillay, a elle-même reconnu que les objectifs fixés à Durban n’ont pas été atteints.
Durban I n’a pas réussi à empêcher les 300 000 morts du Darfour, la poursuite des tueries au Sri Lanka, ni les conflits qui ravagent la République démocratique du Congo et qui tuent «plus de personnes tous les six mois que le tsunami de 2004», selon l’Unicef. Sans parler des multiples victimes du racisme à travers le monde qui peuvent toujours attendre.


Les principales pierres d’achoppement demeurent la mise en accusation d’Israël et la diffamation des religions, chevaux de bataille préférés de l’Organisation de la conférence islamique (OCI). Fer de lance de cette remise en cause des acquis de la laïcité et d’intrusion de la religion à l’ONU, le mot «islamophobie», introduit pour la première fois dans un texte onusien à Durban. Selon ce terme, développé en Iran sous le régime khomeinyste afin de museler ses adversaires et d’étouffer toute critique, est «islamophobe» celui qui conteste la lapidation des femmes adultères ou d’autres châtiments corporels, ainsi que les dispositions prévues par la charia. Sous couvert de lutte contre la diffamation des religions, l’OCI cherche à faire passer de nouvelles normes anti-blasphème – celui-ci étant assimilé à du racisme – remettant en cause l’universalité des droits de l’homme et restreignant la liberté d’expression. Or, les droits de l’homme s’appliquent aux individus, et non aux religions ou croyances.

Faute de pouvoir agir sur la réalité bien réelle du racisme, un comité ad hoc, présidé par l’ambassadeur d’Algérie, a été chargé de rédiger des normes complémentaires sur le racisme. Insistant lourdement sur la diffamation des religions, ce comité a donné une nouvelle définition de l’antisémitisme, «d’abord dirigé contre les Arabes et, par extension, contre tous les musulmans». Dans la foulée, l’OCI a fait adopter une modification du mandat du rapporteur sur la liberté d’expression, désormais chargé de faire la chasse à ceux qui en abusent.


Cette novlangue à la manière d’Orwell a sans doute encore de beaux jours devant elle avec la présence à la conférence du président iranien, sans compter les émissaires de toutes les dictatures coalisés pour imposer leur loi commune. A force de concessions dans le but de ne pas rompre un dialogue impossible, les démocraties n’ont plus qu’à bien se tenir…

 
http://www.letemps.ch/Page/Uuid/ad415262-2d22-11de-b51f-69b87c0d2110/Lantiracisme_dévoyé_par_la_perversion_des_mots