Rodin érotique à la Fondation Pierre Gianadda

Publié le 20 avril 2009 par Francisrichard @francisrichard
Il y a bientôt un siècle un petit garçon, qui se prénommait Robert, rencontrait régulièrement un vieil homme, marchant d'un pas alerte et coiffé d'un feutre, qui se prénommait Auguste, et qui portait une longue barbe blanche. La rencontre rituelle avait lieu quasiment au point de jonction de trois communes : Meudon, Clamart et Issy-les-Moulineaux. Le petit Robert était mon père et le grand Auguste le sculpteur Rodin.

Au seul nom de Rodin le visage de mon père s'épanouissait, son regard s'éblouissait même, car, au contraire de moi, qui suis sans doute moins sensuel qu'il ne l'était, mon père aimait beaucoup la sculpture et les représentations du corps humain dans l'espace. Ainsi connaissait-il personnellement d'autres sculpteurs tels que Paul Belmondo qui, lui, n'était que de huit ans son aîné. A ma grande honte je ne suis jamais allé jusqu'à présent au Musée Rodin de Paris, ou de Meudon (ici ). C'est pourquoi j'ai en quelque sorte accompli un pèlerinage filial en me rendant l'autre jour, à Martigny, dans le Valais, à l'exposition Rodin érotique que la Fondation Pierre Gianadda ( ici ) accueille du 6 mars au 14 juin de cette année.

Hormis les sculptures célèbres de l'artiste telles que Le Penseur ou Le Baiser, jusqu'à ce moment-là j'ignorais tout de Rodin et - nouvelle honte - que Rodin était non seulement un sculpteur de talent mais un dessinateur du même métal, ce qui ne pouvait que m'intéresser au plus haut point. Pour trouver des excuses à mon ignorance je dirai que je ne suis pas un grand amateur de sculptures et que les dessins de Rodin sont certainement une facette de son génie qui est largement méconnue du grand public.

En les voyant je comprends un peu mieux le pourquoi de cette méconnaissance. En effet la plupart des dessins représentent des femmes dans le plus simple appareil. Ce qui n'est pas - j'en conviens - bien original aujourd'hui. Ce qui l'est davantage ce sont les poses qui sont représentées et qui ne sont peut-être pas à mettre sous tous les regards, encore qu'aujourd'hui les enfants en voient d'autres - cette atteinte à leur pudeur n'étant pas pour autant une excuse pour les y emmener. Ces dames dévoilent en effet tout ce dont le Seigneur les a pourvues à la jonction de leurs membres inférieurs, de face, de dos (ci-dessus) comme de profil. Je jetais parfois un coup d'oeil narquois à mes soeurs de l'autre sexe, leurs semblables bien vivantes, venues les contempler.

Les dessins de Rodin représentent des femmes, assez bien en chair dans l'ensemble. Nombre d'entre elles ont les jambes écartées dévoilant leur sexe, une main parfois posée dessus dans une attitude ambiguë : geste pudique ou attouchement ? Il est difficile de dire qu'elles sont belles, mais il émane d'elles une sensualité qui ne peut laisser de bois ni hommes, ni femmes. Certains dessins représentent d'ailleurs des couples saphiques enlacés. Rodin a très peu dessiné de couples hétérosexuels, comme on dit aujourd'hui pour ne pas dire normaux, ce qui serait répréhensible. A voir ces dessins je ne suis pas autrement surpris que Rodin ait illustré Les Fleurs du Mal de mon cher Baudelaire, cher en dépit des propos incisifs sur L'homme et la mer de mon non moins cher Marcel Aymé

Les dessins et les sculptures de Rodin ont en commun que les modèles s'y contorsionnent avec grâce, littéralement : c'est beau la jeunesse corporelle, ignorante du lumbago ! A la différence des sculptures, qui sont étonnamment naturelles, réelles, et curieusement pleines de mouvement, les dessins dans leur ensemble jouent du flou artistique pour suggérer plutôt que dévoiler, pour émouvoir plutôt qu'émoustiller, à l'exception des derniers dessins présentés, qui s'apparentent, avec plus de précision anatomique, à  L'origine du monde de Gustave Courbet, si vous voyez ce que je veux dire.

Le Baiser grand format, qui vous accueille au haut des marches de la Fondation Gianadda, L'Eternelle Idole (ci-contre à gauche), de même que Je suis belle (ci-contre à droite), sont des hymnes au couple homme-femme comme il n'y en a malheureusement pas dans les dessins, à quelques rares exceptions près. Ces sculptures témoignent aussi de la hardiesse des postures que le sculpteur imposait à ses modèles.   

C'est pourtant la sculpture d'une femme,  La Danaïde (ci-dessous), qui aura retenu mes suffrages. Je suis venu plusieurs fois la contempler tant elle me paraissait merveilleuse. J'ai tourné plusieurs fois autour d'elle comme un papillon autour d'une lanterne. Au point qu'enclin, par affinité, à jeter mon dévolu sur les dessins, elle m'a convaincu que décidément si deux artistes habitaient le même être génial, c'est encore le sculpteur pour une fois qui m'aura réellement séduit. Mon père avait raison !

Francis Richard