Bernad-Henri Lévy: «La présence d’Ahmadinejad est une provocation insensée»

Publié le 21 avril 2009 par Drzz

Aujourd'hui s'ouvre à Genève la très controversée Conférence internationale contre le racisme de Durban II. Coïncidence, le même jour, Bernard-Henri Lévy s'exprimera publiquement sur la place des Nations pour la commémoration du souvenir de la Shoah, aux côtés de Simone Weil et d'Elie Wiesel. Le philosphe répondait hier aux questions du Matin Dimanche.

Pourquoi avoir accepté cette invitation à la commémoration en souvenir de la Shoah, demain (note de la CICAD: ce soir) à Genève ?

Parce que cette commémoration est un devoir. Une tâche essentielle pour la génération des survivants et pour celle – à laquelle j’appartiens – des enfants des survivants. Alors, maintenant, que cette commémoration coïncide avec l’ouverture de Durban II semble gêner certains. Pour moi, c’est une péripétie. La ville de Genève n’allait quand même pas changer une date inscrite, depuis plus de soixante ans, dans le marbre de tous les calendriers parce que les Nations Unies y réunissent, au même moment, leur conférence!

Cette Conférence internationale contre le racisme s’ouvre, en effet, le même jour dans la même ville. Evoquerez-vous cette rencontre internationale dans votre intervention publique sur la place des Nations ? Allez-vous lancer un appel ?

Lancer un appel, sûrement pas. Cette cérémonie de commémoration sera une cérémonie de recueillement et de deuil. Sûrement pas le genre de lieu où l’on lance des appels ou des campagnes.

Il y a peu, vous avez parlé de Durban II comme d’une «mascarade». Pourquoi ?

Pour deux raisons. D’abord, parce qu’une Conférence internationale contre le racisme préparée par une Commission des droits de l’homme de l’ONU qui se trouve dominée par ces nobles humanistes que sont les représentants de la Libye, de l’Iran, du Pakistan et de Cuba est déjà, a priori, une idée bizarre. Et puis parce que le projet de déclaration qui était sur la table à l’époque où je me suis exprimé ainsi était un projet effectivement ubuesque où l’on prétendait promouvoir la tolérance en interdisant la critique des religions. Alors, le projet a changé depuis vendredi soir, in extremis, sous la pression des démocraties. Tant mieux. Et voyons comment les choses évoluent.

Etes-vous toutefois d’avis, comme Rama Yade, qu’il faut participer à Durban II pour «se battre» et défendre la notion même des droits de l’homme ? Ou, au contraire, et comme l’ont annoncé déjà plusieurs pays, pensez-vous que la meilleure attitude soit le boycott ?

Le fait est que je me suis prononcé pour le boycott. J’ai même dû être un des premiers à le faire à la suite, d’ailleurs, d’une rencontre avec Rama Yade et les diplomates français chargés du dossier. Peut-être ai-je eu tort. Et peut-être est-ce les diplomates qui ont eu raison de se battre jusqu’au bout pour imposer leurs «lignes rouges». On verra. Je ne demanderais pas mieux, croyez-le bien – car cela voudra dire que la démocratie a marqué un point. Mais, même dans ce cas, je ne regretterai pas la position que j’ai prise. Car c’est bel et bien la menace, donc le risque, de boycott qui aura fait plier – s’ils plient vraiment – ceux qui voulaient faire de Durban II la répétition de Durban I.

La Suisse, pays neutre et hôte de la conférence, devrait-elle réagir officiellement, et particulièrement en ce qui concerne la venue de Mahmud Ahmadinejad ?

Oui, bien sûr. Pas seulement la Suisse, l’ensemble des participants. Car la présence même de cet homme dans une enceinte supposée évoquer la question des droits de l’homme est une provocation insensée. Quelqu’un aura-t-il l’audace – fort peu diplomatique, j’en conviens – de l’interroger sur la façon dont on traite, dans son pays, les homosexuels ? Sur la répression méthodique des minorités, notamment religieuses ? Sur le fait que les droits des femmes – qui, jusqu’à plus ample informé, font encore partie des droits de l’homme – y sont systématiquement piétinés ?

Quel pourrait être, selon vous, le meilleur moyen, pour l’ONU, de combattre le racisme ?

Oublier Durban I. Oublier ce texte honteux sur lequel Durban I s’était conclu et qui, prétendant pourchasser le racisme, le crime et les fauteurs de génocide, faisait l’impasse sur toutes les situations qu’il aurait dû stigmatiser. Je vous rappelle, d’ailleurs, que la référence à ce texte de Durban I continue de figurer dans le projet de déclaration rendu public vendredi soir. Ou, pour le dire autrement, j’attire votre attention sur le fait que la pression des diplomates européens et américains n’a pas pu empêcher que Durban II continue d’être une conférence de «suivi» des résolutions de Durban I. Raison pour laquelle la bataille est loin, à l’heure où je vous parle, d’être gagnée.

Quels sont les pays, selon vous, qui ont le plus de progrès à faire en matière de droits de l’homme ? Et comment situez-vous Israël par rapport à cette question ?

Israël a, comme tout pays démocratique, des progrès à faire en matière de démocratie. Mais soyons sérieux! C’est au Pakistan qu’on brûle vives les femmes adultères. En Libye que l’on pratique, comme dans l’affaire des infirmières bulgares, la prise d’otages à l’échelle de l’Etat. En Iran que l’on exécute les homosexuels. A Cuba qu’on les enferme. Manière de vous dire que les pays qui ont le plus de progrès à faire en matière des droits de l’homme sont ceux qui, encore une fois, ont le contrôle de la Commission des droits de l’homme de l’ONU. C’est fou, mais c’est ainsi. On marche sur la tête, mais c’est un fait. En sorte que je me demande si la meilleure chose à faire, quand toute cette clameur se sera tue, ne serait pas de poser sérieusement le problème de la constitution de cette commission. La dissoudre ? En interdire l’accès à des pays notoirement dictatoriaux, criminels ou génocidaires ? Je crois que ce serait une idée raisonnable.

Source: Blaise Willa, Le Matin Dimanche - dimanche 19 avril 2009



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