Daniel Maximin et Aimé Césaire : une pratique douteuse

Par Pmalgachie @pmalgachie
Il y a moins d'une semaine, je vous parlais avec enthousiasme de Cent poèmes d'Aimé Césaire, un choix de Daniel Maximin.
L'enthousiasme n'est pas retombé, du moins à propos des poèmes.
Mais il y a aussi, en guise de préface, un texte de Daniel Maximin, Par lui-même: Aimé Césaire. Un acrostiche qui reprend les lettres du prénom et du nom du poète pour définir son monde autour de quelques thèmes familiers.
J'avais lu, le 15 décembre dernier, l'article de Lucie Cauwe dans Le Soir, une interview sous la même forme, proposée par la journaliste, de l'écrivain guadeloupéen à propos de son aîné martiniquais.
Je ne m'étais pourtant pas aperçu de la troublante ressemblance entre le texte paru dans le quotidien et celui qui sert de préface aux cent poèmes.
Alors que...
Outre la forme, le contenu même des différents paragraphes donne à penser... mais j'y reviendrai après vous avoir donné un exemple (qui n'est pas nécessairement le plus représentatif). Voici le premier paragraphe, dans Le Soir:
A comme Armes miraculeuses. Dans une histoire qui commence par l’oppression, la traite et l’esclavage, Césaire fait trouver des armes qui ne soient pas destructrices, qui détruisent l’oppression sans détruire l’opprimé, qui redonnent l’humanité à l’opprimé en l’imposant aussi à l’oppresseur. Ces armes de résistance créatrice utilisent même contre l’oppression les armes de l’oppresseur. Ces armes miraculeuses sont celles de la poésie, du théâtre, du discours. Césaire transforme les langues des maîtres (français, anglais, créole, espagnol) en écriture de résistance: la musique de la poésie libère la langue de l’oppresseur, comme l’improvisation libère la musique prisonnière de la partition. Tout ce qui est imposé peut se transformer en conquête libre par la poésie. Le stylo, comme le violon, devient un outil de libération.
Et le même, dans Cent poèmes:
A comme Armes miraculeuses. Ces "armes miraculeuses" de résistance créatrice (titre de son premier recueil en 1946) sont pour Aimé Césaire celles de la poésie, du théâtre, du discours: "ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir." Dans une histoire qui s'inaugure par la colonisation, la traite et l'esclavage, le poète forge des armes de parole qui deviennent les outils de l'émancipation et de l'identité conquises. Des Ferments contre les Ferrements. Des outils volés aux maîtres qui détruisent l'oppression sans autodestruction de la victime, qui expriment l'humanité de l'opprimé en imposant aussi à l'oppresseur de reconnaître et d'assumer la sienne. Tous les poètes caribéens transforment depuis toujours leurs langues de maîtrise (français, anglais, créole, espagnol) en écritures de résistance: "des mots, mais des mots de sang frais, des mots qui sont des raz-de-marée [...] et des laves et des feux de brousse, et des flambées de chair."
Il y a, comme je vous le disais, des extraits encore plus troublants.
Voilà qui m'amène à quelques réflexions.
  • Sans aucun doute, quand Lucie Cauwe prend des notes puis met en forme ce que Daniel Maximin lui dit, il s'agit bien de la pensée de celui-ci, habité par les textes d'Aimé Césaire. Pas de débat nécessaire sur le sujet.
  • En revanche, si on lit attentivement l'article et la préface, il est évident (oui: évident) que Daniel Maximin est parti du premier pour écrire la seconde. Modifiant ici ou là, retranchant, ajoutant, déplaçant, etc. Mais la structure même de chaque paragraphe est celle de l'article.
  • Donc, l'écrivain a utilisé le travail de la journaliste, sans lui en demander l'autorisation ni même la prévenir. Moyennement sympa, non? Et très limite sur le plan de l'éthique, sans parler du droit...
Bon, comme je l'ai déjà dit, cela n'enlève rien au livre. Mais quand même, il y a comme une gêne...