Les perdants de "Qui veut jouer à Slumdog millionnaire ?"

Publié le 22 avril 2009 par Zench
Ce qui était un film décalé et palpitant a viré au psychodrame. Le piège tendu par le News of the world au père de la petite Rubina Ali, l'heroïne de Slumdog Millionaire, vient nous rappeler qu'en Inde comme ailleurs, la realitée dépasse souvent la fiction. S'il suffisait de quelques gouttes d'eau de rose pour parfumer ce bas monde... Casting. II y a d'abord Rubina Ali, 9 ans, un visage d'ange, héroïne on l'a dit du film aux huit Oscars de Danny Boyle. II raconte la vie d'un gosse des bidonvilles de Mumbai (Bombay), vainqueur enrichi de "Qui veut gagner des millions ?" Rafiq Qureshi ensuite, son pere biologique, qui cherchait "à garantir l'avenir de sa fille", information arrivée par un vent favorable a News of the World. Un journaliste du tabloïd britannique enfin, déguisé en cheik de Dubai, et qui « ému par tant de pauvreté» s'en vint offrir une forte somme (310.000 euros) pour « adopter» la petite. Et le père d'accepter... Tout ceci n'est pas un mauvais film. La rencontre a bien eu lieu la semaine dernière, à Mumbai. News of the worlds diffuse une vidéo de la rencontre. Confondant. Vous me direz : c'est quoi ce monde ou l'on vend son gosse pour le prix d'une quatre-facades en Brabant wallon ? On appelle ça le tiers monde et ce genre de transaction motivé ou non par la survie n'est pas rare, l'usage local défiant à l'occasion la loi... Dès avant la rencontre avec le faux cheik (mais vrai journaliste), le papa de Rubina Ali s'etait plaint de ne pas avoir bénéficié financièrement de la gloire de sa fille. II devait être très pressé, Rafiq Qureshi, car les producteurs de Slumdog Millionaire se sont bien engagés a verser 744.000 dollars en faveur des enfants des bidonvilles de Mumbay. Jai Ho Trust a été crée pour subvenir aux besoms des deux enfants du film, Azharuddin Mohammed Ismail et bien sûr Rubina Ali. Cupidité crasse ? Malgré ses démentis, tout laisse penser que le père de la gamine a voulu profiter du battage médiatique fait autour de Slumdog pour réaliser la bonne affaire. « Si vous vous mettez d'accord avec Rajan (le beau-père) sur une somme, je l'accepterai ", a-t-il soufflé au journaliste qui le piègeait, sans se préoccuper davantage de savoir à qui, exactement, il allait confier sa progéniture. Les révélations du News of the World ont plongé le bidonville où Rubina vit toujours dans l'effervescence. Divorcée de Rafiq Qureshi, la maman de la petite en réclame désormais la garde. Les familles s'en sont mêlées et la presse locale exhibe des photos qui attestent d'un sacré crêpage de chignons. Commentaire du Mumbai Mirror: « Rubina s'effondre alors que la prise de bec continue.» Au moment de tirer le rideau sur cette tragicomédie digne d'Ettore Scola, les perdants sont nombreux. Une petite fille devra se relever de cette histoire sordide. Un père indigne restera discredité. Danny Boyle aura tout le loisir de méditer sur les dommages collateraux du succès. Et il y a l'«Inde qui brille» bien sur, celle des Tata et des Mittal, l'Inde émergente qui travaille depuis des années à se donner une image autrement reluisante que celle d'un «pouilleux millionnaire», puisque tel est le titre francais de Slumdog. Un seul gagnant: le tabloïd News of the world qui, en empruntant à ce bon vieux Walraff ses ruses journalistiques, a realisé un scoop planétaire, fendant l'air du temps d'un grand coup de rapière facon chevalier blanc. Et vlan!

Source: Le Soir. 21.04.2009

 

Repères


- Je n’aime pas Slumdog. Arundhati Roy.
Architecte de formation et romancière acclamée pour son Dieu des petits riens en 1997, Arundhati Roy est désormais essayiste et militante. Elle œuvre pour les droits des plus défavorisés et écrit régulièrement dans la presse.
Courrier International. Mars 2009.
- Arundhati Roy : "I Don't Like Slumdog Millionaire"
The night before the Oscars, in India, we were re-enacting the last few scenes of Slumdog Millionaire. The ones in which vast crowds of people – poor people – who have nothing to do with the game show, gather in the thousands in their slums and shanty towns to see if Jamal Malik will win. Oh, and he did. He did. So now everyone, including the Congress Party, is taking credit for the Oscars that the film won!
Do follow net.
- Un million de « Slumdogs » bientôt expulsés de Dharavi. Après les contes de fées, la dure réalité ...
A Bombay, le bidonville où Danny Boyle a tourné son film doit être rasé et reconstruit. Un projet qui ne réjouit pas ses habitants.  « L'opportunité du millénaire ». Dans tous les grands journaux, des publicités la vantaient. Le gouvernement a décidé de vendre Dharavi, terrain de 215 hectares occupé par un million de personnes, à cinq promoteurs étrangers chargés de reconstruire entièrement la zone : nouveaux immeubles, écoles, hôpitaux, égouts, assainissement des eaux... Dans moins de sept ans, Selwyn et toute sa famille se verront offrir un appartement de 25 mètres carrés, avec électricité et eau courante. Ils ne vivront plus au milieu des mouches, des rats et des scorpions. L'opportunité du millénaire. Promesse d'un avenir meilleur. Et pourtant, rares sont les habitants de Dharavi à souhaiter ce plan. En réalisant ce plan, c'est toute l'économie du bidonville qui sera anéantie. Selon la Société de promotion des enquêtes territoriales (SPARC), Dharavi génère un chiffre d'affaires annuel de plus 340 millions d'euros. Les gens vivent sur leur lieu de travail, la famille de Selwyn en est un bon exemple. L'oscar à Hollywood ne retiendra pas les bulldozers Quatre Golden Globes, oscar du meilleur film parmi huit récompenses, ‘Slumdog Millionnaire’ sort Dharavi de l'ombre. Accoudé à la table d'un café chic de Bombay, Irrfan Khan, l'un des acteurs majeur du film, me fixe en soupirant. Il ne pense pas que le film puisse changer le cours des événements. Il a visité ces ruelles, décors d'enfance de Latika et Jamal. Il ne sait pas si, dans trois ou quatre ans, elles ne seront plus que des images d'archives. Il a goûté à cette joie qui vous prend au tripes quand vous parcourez ces rues, quand vous rencontrez ces habitants qui ont une envie extraordinaire d'avancer malgré leur dénuement.
Source: Rue89. 31 mars 2009.