Le Moyen-Orient est à la mode

Publié le 24 avril 2009 par Marc Lenot

Quoi qu’on pense de son sens commercial, Saatchi est un excellent baromètre des valeurs montantes dans le monde de l’art. Découvreur des Young British Artists, il a plus récemment mis l’accent sur les nouveaux artistes chinois et, aujourd’hui, son flair l’amène du côté du Moyen-Orient. Comme c’est une région du monde que je commence à bien connaître (et pas seulement en matière artistique), j’avais hâte de confronter ses découvertes aux miennes. Et c’est en effet une exposition pleine de découvertes (jusqu’au 9 mai).

On pardonnera la présence de Kader Attia, qui n’est pas moyen-oriental (aucun artiste maghrébin ici, d’ailleurs), et n’a de maghrébin que l’origine, vu la force de la pièce qu’il présente ici, alignement de femmes en prière faites de feuilles d’aluminium ménager, fragile et plissé, avec un trou noir à la place du visage (Ghost). On ne saurait mieux stéréotyper la condition de la femme musulmane, soumise à la religion, confinée aux taches domestiques et ayant perdu toute identité.

On regrettera un peu la forte présence de peintures assez moyennes : est-ce l’atavisme de Mr. Saatchi envers les toiles, ou est-ce ma propre tendance à rarement trouver les peintres actuels au niveau des auteurs d’installations, sculpteurs, photographes et vidéastes ?

Découvertes car, à part Attia, je ne connaissais que deux des artistes présentés ici. D’abord, dès l’entrée, le Libanais Marwan Rechmaoui, dont le plan de Beyrouth en caoutchouc avait fait sensation à Nîmes cet été. Il montre aussi ici Spectre (Immeuble Yacoubian, Beyrouth) : rien à voir avec le roman éponyme, mais une réplique en parpaings de son ancien immeuble, déserté, évacué, avec la trace d’une présence évanouie, des habitants partis, des commerces fermés. Un petit éclat dans le ciment pourrait être un trou d’obus. Les guerres du Liban ont généré chez beaucoup d’artistes libanais un art du souvenir, de l’empreinte, de la mémoire, à nul autre pareil (ainsi Walid Raad et le couple Hadjithomas / Joreige).

Je connaissais aussi l’Iranienne Shadi Ghadirian et ses portraits féminins faits de tchadors colorés et d’ustensiles domestiques. Elle montrait aussi ici des photographies inspirées des tableaux de la dynastie Qajar (1794-1925), période libérale où les femmes iraniennes se dévoilaient et se laissaient portraiturer. Le style de ses compositions rappelle celui de cette époque, mais elle y rajoute un élément incongru moderne, aspirateur, téléphone ou radio qui fait ressortir l’intemporalité de ces poses féminines, la modernité de ces femmes trop souvent dépeintes comme enfermées et soumises. Cette emphase sur la situation féminine dans la région est aussi, bien sûr, un thème fort de cette exposition. On le retrouve aussi dans les photographies de visages voilés, cachés, flous de l’Irakien Halim al Karim.

Les sculptures de la jeune Syrienne Diana al Hadid sont des tours effondrées, des architectures impossibles, des légendes détruites. Une de ses constructions, bâtiment éventré, décrépit, est pleine d’évocations musicales. L’autre, The Tower of Infinite Problems, est un monument à la destruction dont les deux parties peuvent se réunir sous l’effet d’une illusion optique.

Quant au Palestinien Wafa Hourani, il a construit une maquette imaginaire du devenir du check-point de Qalandia, entre Ramallah et Jérusalem (Qalandia 2067), après cent ans d’occupation et de fausses négociations : le mur est devenu un miroir, les antennes sur les toits, seule échappée hors de la ville-prison, ont la forme de personnages de fantaisie, les immeubles sont en ruines, les fenêtres sont obscurcies par des petits bouts de pellicule noire : un mauvais film. Cette grande installation sur cinq socles sculpturaux est, au delà de son contexte politique, une représentation apocalyptique du monde.

A côté, hors de l’exposition, dans la ‘Project Room’, le fils du peintre minimaliste Robert Nyman règle son complexe d’Oedipe avec cette immense sculpture en papier mâché d’un jeune homme vautré sur son lit entre mégots et canettes de bière : dépressif au possible ! (Will Ryman, The Bed).

Photos 1, 2, 4 et 6 de l’auteur. Kader Attia étant représenté par l’ADAGP, la photo de son installation sera retirée du blog à la fin de l’exposition.