J'adore "Adoration"…

Publié le 26 avril 2009 par Boustoune


Après La vérité nue, thriller bancal et assez impersonnel, Atom Egoyan revient avec une œuvre autrement plus ambitieuse et renoue au passage avec le style qui a fait sa réputation.
Douxième long-métrage du cinéaste, Adoration est une œuvre complexe, à la narration déstructurée, jouant sur la confrontation entre fiction et réalité, et d’une impressionnante richesse thématique.
Le film parle en effet, en vrac, de quête identitaire, de liens familiaux, de rapport au passé, du rapport aux autres, de religion, de tolérance, de politique, de mémoire, d’amour et de haine. Rien que ça !… Et avec une fluidité dont certains metteurs en scène feraient bien de s’inspirer…
 
Le scénario s’articule autour de Simon, un lycéen de dix-sept ans, élevé par son oncle depuis la mort tragique de ses parents. Il a souffert de cette absence cruelle, et en a nourri un mélange de sentiments contradictoires, entre une sorte de rancœur désespérée et une forme d’adoration, comme on peut adorer une icône… 
Un jour, pour un exercice scolaire, il réinvente l’histoire de ses parents en s’inspirant d’un fait divers réel. Il fait de son père un terroriste et de sa mère une victime. Elle aurait été manipulée par ce dernier, transportant à son insu la bombe destinée à faire exploser un avion.
Rien de bien méchant dans cette biographie imaginaire, jusqu’au jour où le garçon décide de la raconter sur internet, via les sites de discussions (« live chat »). L’internet et les modes de communication modernes sont des outils appréciables qui permettent de se documenter, et de partager des données avec des personnes du monde entier, des amis virtuels, mais c’est aussi un lieu où il est facile de s’abriter derrière l’anonymat ou une fausse identité, de trafiquer la réalité, et de propager rapidement mensonges et canulars. Le récit imaginaire de Simon va susciter bien des réactions, certains internautes lui témoignant leur soutien, d’autres manifestant leur hostilité. Le mensonge va prendre une ampleur inattendue…
… et un tour surprenant, quand, petit à petit, les différents personnages – le grand-père de Simon, son oncle, sa prof de français qui l’a aidée à monter son histoire - dévoilent leur jeu et éclairent encore différemment le passé de Simon et l’histoire de ses parents.
 
Il en ressort un récit troublant et manipulateur, densifié par une mise en scène totalement maîtrisée, fragmentée entre flashbacks et présent, entre réalité et virtuel. Ce qui donne autant de pièces d’un puzzle métaphysique, à la fois intime et universel que le réalisateur nous invite à reconstituer.
Evidemment, ce type de construction nécessite un effort de la part du spectateur, et l’oblige à s’impliquer, mais le jeu peut s’avérer excitant, d’autant que le film offre différents niveaux de lecture.
Adoration est à la fois un film sur la communication/l’incommunicabilité entre les êtres, au sein du cercle familial comme à grande échelle, une variation sur les notions relatives de vérité et de mensonge, une réflexion sur l’intolérance et l’extrémisme, sur leur cause et leur conséquences, ou encore une interrogation sur la responsabilité d’un artiste face au monde qu’il décrit. Des thèmes passionnants, si subtilement imbriqués les uns aux autres que plusieurs visions sont nécessaires pour les appréhender pleinement.

Cela dit, le film est plus limpide que ne le laisse à penser ma critique. On peut tout à fait s’abandonner au récit principal sans chercher à en analyser tous les entrelacs thématiques, et se laisser porter par la beauté froide des images de Paul Sarossy et la musique lancinante de Mychael Danna.
Sans oublier le jeu des acteurs, tous parfaitement exploités. Le jeune Devon Bostick laisse entrevoir un talent prometteur et rivalise sans peine avec Scott Speedman, qui incarne pourtant brillamment son oncle à l’écran. Mais c’est une fois de plus Arsinée Khanjian qui crève l’écran, magnifiée par le regard de son époux, Atom Egoyan. Il faudra un jour que l’on récompense comme il se doit cette actrice remarquable et pourtant si discrète. (D’ailleurs, à quand la sortie du très bon Sabah de Rubba Nada, où elle est aussi excellente ?...).

S’il ne possède pas la sensualité et la gravité de ses œuvres les plus abouties, Exotica ou De beaux lendemains, Adoration n’en est pas moins un film d’une intelligence et d’une subtilité rares. Alors peu importe l’accueil glacial que lui ont réservé certains critiques « professionnels » - ceux-là mêmes qui encensent OSS117 et autres oeuvrettes médiocres… - moi, j’adore Adoration, et j’invite chaleureusement mon lectorat à voir ce beau film, et à se forger lui-même une opinion…
Note :