"Hôtel", de Liliane Giraudon, Jean-Jacques Viton et Bernard Plossu (lecture de Florence Trocmé)

Par Florence Trocmé

Livre singulier que celui que proposent  aux éditions Argol, Liliane Giraudon, Jean-Jacques Viton et Bernard Plossu (photos), Hôtel : un diptyque, un dispositif, une étrange machine à rêver, à penser.
De quoi s’agit-il : deux auteurs + un, deux villes,  Gênes et Palerme, deux hôtels, le Ponte et le Reale et un sous-titre Fictions et photographie.
Chacun des deux auteurs, en quelques pages (toujours en regard d’une photo de chambre, de couloir, de hall, d’ascenseur), propose une sorte de parcours dans des lieux étrangement figés (« cette  chambre est vide, étouffée de vide »), où le temps semble complètement arrêté, ce qui constitue une sorte de redondance par rapport à la photo, temps doublement arrêté par l’écriture et par les photos de Bernard Plossu. Redondance aussi à l’intérieur du travail du photographe puisque si par nature, la photographie arrête le temps, ces photos-là, par le cadrage, la lumière, donnent à voir littéralement du temps figé, du temps englouti, dans une optique qui serait celle d’une catastrophe qui n’aurait rien dégradé mais tout arrêté, une sorte de Pompéi sans destructions.
Face Viton et Palerme, une quête sur les traces de Raymond Roussel et du lieu de son suicide ou de sa mort à la suite d’un excès de barbituriques en 1933. Avec tout un système d’échos et de résonances, d’identifications, d’autant plus fort que les images de Bernard Plossu semblent s’y prêter complètement.
Versant Giraudon et Gênes, de nouveau un hôtel, une sorte d’autofiction, construite sur un jeu avec le temps un peu énigmatique et placé sous le signe du basilic (« comme des comptines, les chambres de passage sont des instruments du destin ») ;  des accents fugitivement proustiens à partir de réminiscences de ce qui semble avoir été la vie d’un groupe de jeunes gens, autrefois, dans cette pension, maison, albergo Reale : « c’est toute la ville comme l’existence que nous y menions que je retrouve, stockée en transparence, dans le cliché de cette chambre ». Le « stockée en transparence » semble ici révélateur de la réflexion sur le temps qui anime le livre, autour des glissements des époques, réflexion portée et suscitée par le vide des photos, puissant appel à se souvenir ou à inventer.
Tout le livre fonctionne comme une interrogation à multiples étages, sur le temps, sur la photo, sur le suspens, sur l’imaginaire, sur la réminiscence, sur la reconstruction d’un passé, sur la fiction, sur la vérité, sur le rêve, sur la trace ou la non-trace ; car ces lieux où mourut Roussel, où vécurent ceux dont parle Liliane Giraudon ne portent aucune trace et seule l’écriture peut leur donner, le temps d’un livre et par l’entremise d’un lecteur actif, un semblant de vie, d’existence. .

On peut proposer pour ce livre singulier un rapprochement avec l’univers de la cinéaste Chantal Akerman, en son film Hôtel Monterey : même suspens du temps à la fois arrêté et éternel, même imprécision floue des personnages qui ne sont que des figurants pour ne pas dire des revenants, mêmes cadrages tant des textes que des photos et jusque dans le rôle de l’ascenseur pour le côté Giraudon : « c’était un rêve, un simple rêve. Ce couloir n’avait aucune existence réelle, celui qui l’empruntait se trouvait profondément endormi ».

Liliane Giraudon, Jean-Jacques Viton
et Bernard Plossu
Hôtel
Argol Editions, 2009
20 €

Contribution de Florence Trocmé