Gang des barbares : "Ilan Halimi était délibérément ciblé parce qu'il était juif"

Publié le 30 avril 2009 par Drzz

lingam : L'antisémitisme du gang des barbares est-il avéré ?

Patch : Pouvez-vous revenir sur la dimension antisémite de cette affaire ?

Alexandre Lévy : La circonstance aggravante d'antisémitisme a été retenue dans ce dossier, le 20 février 2006, par les deux juges chargés de l'affaire. A l'époque, les magistrats ont motivé leur décision sur la base des dépositions de certains membres du gang qui expliquaient qu'Ilan avait fait l'objet de mauvais traitements d'un des geôliers qui "n'aimait pas les feujs". Dans plusieurs autres dépositions transparaissent les motivations antisémites de ce gang dont le chef était persuadé que les juifs ont de l'argent, et, s'ils n'en avaient pas, qu'ils font partie d'une communauté suffisamment solidaire pour que d'autres juifs paient pour pouvoir récupérer l'un des leurs.

Cette question de l'antisémitisme est lancinante et douloureuse, surtout pour la mère d'Ilan Halimi, Ruth. Selon elle, elle est également centrale dans le destin tragique de son fils, et dans son livre elle accuse notamment les policiers de ne pas avoir tenu suffisamment compte du fait qu'Ilan était juif.


Yaël F.: On a beaucoup dit que la police avait sous-estimé le gang des barbares et sa violence haineuse. Est-ce vrai ?


Alexandre Lévy:
Cette question fait partie de la longue liste des reproches que la mère d'Ilan adresse à la police. Après enquête, je peux affirmer qu'à aucun moment les policiers de la brigade criminelle n'ont sous-estimé le danger auquel était exposé l'otage. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'ils n'ont communiqué qu'à minima sur cette affaire, faisant le pari que moins il y avait de bruit autour de cette séquestration, plus on avait de chances de retrouver Ilan vivant. C'est pour cela que les médias ont été tenus à l'écart et que les portraits-robots, notamment d'une des filles-appâts, n'ont pas été diffusés, alors que la police les avait dès la première semaine de l'enquête. Ensuite, les policiers se sont rapidement rendu compte qu'ils avaient affaire à un gang très sophistiqué pour ce qui concerne les moyens de communication, mais "minable" pour ce qui est de récupérer la rançon.


lingam: De quel milieu sont issus les membres du groupe ? Comment était organisé le gang ? Fofana était-il leur leader ? De quelle manière s'exerçait sa domination ?


Alexandre Lévy:
Au départ, le gang des barbares est une petite bande de banlieue, basée à Bagneux. Ses membres habitent deux barres HLM de la commune. Ils sont âgés de 16 à 32 ans et vivent de petits boulots, de trafics et de larcins. Les jeunes qui composent ce groupe sont de toutes origines. Les policiers diront un "melting pot" du crime. Ils sont tous français.

Sous l'autorité de Youssouf Fofana, qui reconnaît être le chef de la "bande de quartier", ce groupe protéiforme a tenté plusieurs opérations de nature criminelle, l'extorsion de fonds, et ensuite le kidnapping. Le "caïd" met également en place un système très efficace de cloisonnement des tâches et des équipes chargées de les effectuer. Il apparaît comme le seul ayant une vue d'ensemble de l'entreprise criminelle en cours.

Au fil des différentes tentatives de kidnapping, la bande s'"améliore" constamment. Elle apprend très vite de ses erreurs et adapte constamment son dispositif en le perfectionnant jusqu'à l'affaire Ilan, qui est sa première tentative de rapt concluante.


wilfried : Fofana est-il quelqu'un de violent ?


Alexandre Lévy :
Plusieurs complices de Fofana ont fait état de violences exercées par celui qu'ils appellent le "boss" à l'égard de l'otage. Il est également accusé par un autre membre du gang d'avoir porté les coups de couteau et aspergé d'essence Ilan dans la nuit de sa mort. Plus généralement, l'ultraviolence de ce gang, leur absence de morale et de repères existentiels ont beaucoup choqué l'opinion publique au moment de l'affaire.


Patch : Dans son livre, la mère d'Ilan Halimi accuse les voisins d'avoir été au courant et de n'avoir rien fait. Qu'en est-il ?


Alexandre Lévy:
Je me suis rendu à plusieurs reprises à Bagneux dans la cité de la Pierre-Plate, pour essayer de voir de mes propres yeux cet endroit qui a servi de geôle à Ilan. Depuis, cet ensemble de cités a été repeint, rafraîchi, comme pour oublier le drame qui s'y est joué. A Bagneux, j'ai rencontré des gens simples et modestes, des retraités, des familles d'origine africaine comme de toutes autres origines, pour qui cette affaire reste un traumatisme. Je ne peux pas affirmer que "toute la cité savait et s'est tue", comme cela a pu être dit.

En revanche, il y a un grand nombre de gens mis en cause dans l'affaire d'Ilan (vingt-sept en tout), à qui il faut ajouter les amis, les petits-amis et petites-amies et parfois les parents. On arrive à une quarantaine de personnes qui, elles, savaient pertinemment qu'un jeune homme était détenu, nourri à l'aide d'une paille, ficelé, baillonné, voire frappé. Et toutes ces personnes se sont tues.

Les policiers continuent de s'arracher les cheveux à l'évocation de cette réalité. Pour eux, un simple coup de fil anonyme aurait mis en quelques heures fin au calvaire d'Ilan Halimi.


lingam: A la veille de l'ouverture du procès, quelle est la ligne de défense des accusés ?


Alexandre Lévy :
Il est important de savoir, que même dans une affaire de criminalité organisée, il n'y a pas de responsabilité collective, mais individuelle. Chacun des membres du gang devra répondre de ses propres actes, qui vont de la non-dénonciation de crime jusqu'à l'assassinat.

Concernant le principal accusé du procès, Youssouf Fofana, c'est un peu la grande inconnue. Pendant les trois années d'instruction du dossier, Fofana a "usé" les services d'une quarantaine d'avocats. Un temps, il a envisagé de se défendre seul. Aujourd'hui, il semble avoir changé d'avis. Lors des auditions, il a endossé les habits de l'antisioniste et du défenseur des Palestiniens, des musulmans et du "peuple noir". Il a violemment insulté les magistrats instructeurs, verbalement ou par courrier, ce qui lui a valu une condamnation pour outrages en 2007.

Maintenant, dans les faits, il sera certainement sommé de donner des explications sur ce qui s'est passé pendant ces trois semaines, et surtout dans la nuit du 12 au 13 février, lorsqu'Ilan est mort de façon atroce. Dans des déclarations antérieures, il a tout mis sur le dos de son complice, Craps, un jeune homme qui aurait joué le rôle de gros bras dans l'enlèvement d'Ilan. Craps, qui s'est livré de lui-même à la police, nie avoir donné la mort à Ilan Halimi.


lingam : Que veulent les parties civiles ?


Alexandre Lévy :
Les parties civiles veulent surtout que justice soit faite et que les débats précédant le verdict puissent être publics. La mère d'Ilan a déjà déposé une requête en ce sens. Elle estime que "le silence a déjà tué une fois son fils" et elle espère qu'un procès public permettra que de tels agissements ne se reproduisent plus. Cette question sera certainement débattue le jour de l'ouverture du procès, le 29 avril.


balneolais : Pourquois la justice a-t-elle choisi de tenir ce procès à huis clos ?


Alexandre Lévy :
La loi sur la délinquance des mineurs prévoit le huis clos. Deux des personnes jugées étant mineures au moment des faits, cette mesure s'applique à l'ensemble des prévenus. En revanche, si les personnes mineures consentent à lever le huis clos - et c'est l'espoir de la mère d'Ilan et de son avocat -, le procès sera public. Et on peut s'attendre à ce que le premier jour du procès la question leur soit posée avec beaucoup d'emphase par la mère d'Ilan.


jose : Ne pensez-vous pas qu'un procès public risquerait encore plus de stigmatiser ceux que les médias et les politiques appellent "les jeunes" de banlieue ?


Alexandre Lévy :
Je ne pense pas que le gang des barbares représente ces "jeunes". Moi-même, j'habite en banlieue, mes enfants y sont nés, y vont à l'école, et honnêtement, je ne crois pas qu'il puisse y avoir une seule et unique banlieue et que celle-ci soit la même que celle de la bande de Bagneux.

Je pense en revanche qu'un procès public permettra de mieux faire la différence, justement, entre ces agissements extrêmes et une vie somme toute assez paisible. Lorsque je me suis promené à Bagneux, devant les immeubles de la Pierre-Plate, ou de l'allée Prunier-Hardi, j'ai été frappé par le côté village, voire coquet, de l'endroit.


Girafe : Y a-t-il des doutes sur l'issue du procès ?


Maroussia : Quelles sont les peines encourues ?


Alexandre Lévy :
On ne peut jamais prévoir un verdict. Une chose est sûre : la majorité des personnes jugées sont accusées de faits extrêmement graves pour lesquels la législation prévoit de lourdes peines. Cela peut aller de six ou sept ans jusqu'à la perpétuité.


joben75 : Ne craignez-vous pas que cette affaire "donne des idées" à d'autres personnes ?


Alexandre Lévy :
Je veux insister sur un point : le gang des barbares a lamentablement échoué dans le sens où il n'a récupéré aucune rançon tout en se rendant coupable du crime le plus odieux. Même si certains - et cela a déjà été le cas depuis trois ans - ont visiblement été inspirés par le côté "Orange mécanique" du gang, il faut rappeler que de telles pratiques n'ont aucune chance d'aboutir.

Ça a été d'ailleurs une des questions pour lesquelles la police a été critiquée : pourquoi ne pas avoir versé ne serait-ce qu'une petite somme aux ravisseurs ? Dans les affaires de prise d'otage, c'est une règle d'airain : on ne paie jamais de rançon, et si on le fait, c'est uniquement dans le but de monter un piège pour récupérer à la fois l'otage et appréhender les ravisseurs. Les policiers n'ont pas dérogé à cette règle dans cette affaire.


blabla : Pensez-vous que ce crime aurait eu une telle répercussion s'il ne comportait pas précisément une dimension antisémite ?


Alexandre Lévy :
Rarement une affaire criminelle aura tant bouleversé l'opinion publique française. Et pas uniquement à cause du fait qu'Ilan était visiblement et délibérément ciblé parce qu'il était juif. Cette affaire est dramatique pour la simple raison que dans une société avancée, civilisée et démocratique, nous avons été témoins de pratiques "barbares". Ce n'est pas pour rien que le gang a pris ce nom. Cette violence et ces pratiques crapuleuses se sont exercées entre fils et filles de la République qui ont pratiquement le même âge. L'amoralité dont ont fait preuve ces jeunes, somme toute assez banals, continuera de nous tourmenter tous.

Sur l'aspect antisémite, il faut essayer de comprendre les motivations de la mère d'Ilan, même si on ne partage pas jusqu'au bout ses convictions. Tous les symboles entourant la mise à mort de son fils n'ont pas manqué de lui rappeler, et c'est normal, les pires moments de l'histoire de France et d'Europe : Ilan a été tondu, poignardé, brûlé, et abandonné le long d'une voie ferrée. Tout est là.


LEMONDE.FR | 28.04.09 | 14h41  •  Mis à jour le 28.04.09 | 16h21  http://www.lemonde. fr/societe/ article/2009/ 04/28/gang- des-barbares- ilan-halimi- etait-delibereme nt-cible- parce-qu- il-etait- juif_1186579_ 3224.html