La torture invisible

Publié le 30 avril 2009 par Jpa

L’administration américaine, millésime 2009, est revenue sur la torture autorisée quelques années plus tôt par ses plus hauts responsables. Et ce quels que soient les faits reprochés au présumé criminel ou terroriste. Dès sa prise de fonction, le président Obama a signé le décret suivant :

“Les prisonniers seront, en toute circonstances, traités avec humanité et ne doivent pas être soumis à la violence (y compris le meurtre sous toutes ces formes, les mutilations, les traitements cruels et la torture), no être l’objet d’atteintes à la dignité de la personne.”

Si l’on a beaucoup parlé du waterboarding, les longues périodes d’isolement n’ont que rarement été évoquées. Le site Wired.com a interviewé Craig Haney, psychologue de l’université de Californie sur les raisons et les conséquences de ces mises à l’isolement.

“L’isolement a toujours fait partie des techniques de torture. Quand les gens perdent la conscience d’eux-mêmes, ils sont plus malléables et sont aisément manipulés. En un sens, l’isolement est un préalable qui permet de rendre plus efficaces les autres techniques de torture.”

Ces techniques ont été utilisées sur un grand nombre des détenus de Guantanamo, mais pas uniquement. Selon Wired, 25 000 Américains sont à l’isolement de longue durée. Avec de graves conséquences sur leur santé mentale.

“C’est une expérience très douloureuse. (…) Les personnes qui ont été isolées connaissent des moments psychologiquement difficiles où elles se sentent totalement seules. (…) Une longue période d’isolement nuit à la conscience de soi. (…) Les humains sont des organismes socialement connectés. Ce n’est que quand on est privé de cette connexion que l’on s’aperçoit à quel point on dépend du contact et du regard des autres.”

L’interview complète de Carig Haney est à sur le site de Wired.

Pour en savoir plus, lire Psychiatric Effects of Solitary Confinement de Stuart Grassian ou, dans un autre genre, Le joueur d’échecs de Stefan Zweig dont l’extrait suivant est tiré. Le narrateur raconte ces premiers jours à l’isolement seul avec ses pensées.  (page 29)

“La pression qu’on voulait exercer sur nous pour nous arracher les renseignements recherchés était d’une espèce plus subtile que celle des coups de bâton et des tortures corporelles : c’était l’isolement le plus raffiné qui se puisse imaginer. On ne nous faisait rien – on nous laissait seulement en
face du néant, car il est notoire qu’aucune chose au monde n’oppresse davantage l’âme humaine. En créant autour de chacun de nous un vide complet, en nous confinant dans une chambre hermétiquement fermée au monde extérieur, on usait d’un moyen de pression qui devait nous desserrer les lèvres, de l’intérieur, plus sûrement que les coups et le froid. Au premier abord, la chambre qu’on m’assigna n’avait rien d’inconfortable.  Elle possédait une porte, un lit, une chaise, une cuvette, une fenêtre grillagée. Mais la porte demeurait verrouillée nuit et jour,
il m’était interdit d’avoir un livre, un journal, du papier ou un crayon. Et la fenêtre s’ouvrait sur un mur coupe-feu. Autour de moi, c’était le néant, j’y étais tout entier plongé. On m’avait pris ma montre, afin que je ne mesure plus le temps, mon crayon, afin que je ne puisse plus écrire, mon couteau, afin que je ne m’ouvre pas les veines : on me refusa même la légère griserie d’une cigarette. Je ne voyais jamais aucune figure humaine, sauf celle du gardien, qui avait ordre de ne pas m’adresser la parole et de ne répondre à aucune question. Je n’entendais jamais une voix humaine. Jour et nuit, les yeux, les oreilles, tous les sens ne trouvaient pas le moindre aliment, on restait seul, désespérément seul en face de soi-même, avec son corps et quatre ou cinq bjets muets : la table, le lit, la fenêtre, la cuvette. On vivait comme le plongeur sous sa cloche de verre, dans ce noir océan
de silence, mais un plongeur qui pressent déjà que la corde qui le reliait au monde s’est rompue et qu’on ne le remontera jamais de ces profondeurs muettes. On n’avait rien à faire, rien à entendre, rien à voir, autour de soi régnait le néant vertigineux, un vide sans dimensions dans l’espace et dans le temps. On allait et venait dans sa chambre, avec des pensées qui vous trottaient et vous venaient dans la tête, sans trêve, suivant le même mouvement.