Femme sans tête, film sans âme…

Publié le 03 mai 2009 par Boustoune


Des enfants pauvres jouent imprudemment avec un chien errant, au bord d'une route de campagne en Argentine. Celle-là même qu’emprunte Veronica, une bourgeoise sans histoire, au volant de sa voiture. Son téléphone portable sonne. Un moment d’inattention, et elle percute quelque chose. Un peu secouée, elle s’arrête quelques mètres plus loin, hésite en silence puis redémarre. Derrière elle, on distingue une masse étalée sur la route, trop lointaine pour que l’on puisse voir de quoi il s’agit.
Les jours suivant, Veronica, complètement déstabilisée par cet incident, se comporte de manière étrange, au point d'ignorer les choses et les êtres qui l'entourent. Elle est physiquement présente, mais psychologiquement absente, une femme sans tête…
Mais personne ne semble vraiment s’en être rendu compte. Ni ses enfants, ni son mari, ni aucune autre personne de son entourage.
Quelques jours plus tard, dans un accès de lucidité, elle avoue à son mari qu’elle pense avoir renversé quelqu'un sur la route. Ils retournent sur les lieux de l’accident, mais ne trouvent que le cadavre d’un chien. Le problème devrait être résolu, et Veronica devrait être soulagée. Mais il y a toujours ce jeune garçon qui est porté disparu, et que la police va retrouver non loin du lieu de l’accident... Est-ce lui que Veronica a renversé ? On ne le saura pas. Et de toute façon, y-a-t-il bien eu un accident ? Car les traces de la collision semblent disparaître les unes après les autres.
Etait-ce un simple cauchemar ? Une hallucination d’une femme en train de perdre pied ? Ou bien l’accident a effectivement eu lieu, et la famille de Veronica a étouffé les preuves – pourquoi risquer d’envoyer l’une des leurs en prison pour la mort d’un gamin miséreux ?
 
Troisième film de la cinéaste argentine Lucrecia Martel, La femme sans tête est suffisamment ouvert pour permettre à chaque spectateur de se forger sa propre opinion. Il est cependant évident qu’à travers ce portrait de femme paumée, la réalisatrice aborde des thèmes autrement plus profonds.
Comme dans ses deux précédents long-métrages, La Ciénaga et La niña santa, elle dresse le portrait d’une bourgeoisie argentine repliée sur elle-même, complètement coupée des réalités. Une caste en pleine déliquescence, mais essayant vaille que vaille de défendre ses privilèges. Quitte à faire quelques entorses à la morale, que l’on oubliera bien vite ensuite. L’important, pour ces nantis, c’est de maintenir l’apparence lisse d’un bonheur artificiel, de rester à l’écart des problèmes du monde, et plus encore de la misère qui règne au pied de leurs luxueuses villas.
L’accident, qu’il soit réel ou fantasmé, amorce le réveil de la conscience trop longtemps endormie de Veronica, ce qui fait naître en elle un profond malaise. Le film montre la lutte entre cette conscience, qui essaie de recoller à une réalité, et le processus, via la présence bienveillante et rassurante de son entourage, qui cherche au contraire à l’occulter.
Pour la cinéaste, cette façon de refuser de voir la vérité, par pur confort, est symptomatique de l’attitude d’une partie de la population argentine durant les années de dictature. Et, aujourd’hui encore, il y a comme une amnésie autour de cette période sombre, une façon de mettre de côté un certain sentiment de culpabilité.
 
Vu sous cet angle, La femme sans tête a tout d’un grand film. D’autant que son actrice principale, Maria Onetto, est particulièrement convaincante dans le rôle de cette femme en plein désarroi, fantôme errant dans un monde de faux-semblants, et que Lucrecia Martel sait créer le malaise par de savants mouvements de caméra.
Mais, étrangement, cela ne fonctionne pas vraiment. La cinéaste voulait probablement forcer l’empathie du spectateur pour le personnage principal en brouillant ses repères et en le mettant dans une situation inconfortable. Le dispositif est efficace durant la première demi-heure, assez intense, puis le soufflé retombe un peu. A trop jouer la carte du sensoriel et de l’abstraction, Lucrecia Martel s’égare elle-même dans les méandres de son script, et finit par lasser le public.
De La femme sans tête à « la femme sans queue ni tête », il n’y a qu’un pas, que franchit malheureusement ce film, trop lent et trop abscond pour convaincre pleinement.
Après l’accueil très mitigé réservé à La niña santa, c’est le deuxième bide consécutif pour la cinéaste au festival de Cannes. Dommage, car Martel est assurément une cinéaste intéressante, qui, en l’espace de trois longs-métrages, a su imposer un style très personnel, et un univers intéressant. Il lui reste maintenant à retrouver le subtil équilibre de La Ciénaga qui avait su toucher à la fois public et critique, et permis de révéler son talent singulier.
Cela dit, certains trouveront peut-être leur compte à la vision du film, qui concentre plus de talent que dans l’immense majorité des sorties de l’année. La femme sans tête n’est pas vraiment un mauvais film, mais n’est hélas, que l’ombre du chef d’oeuvre « antonionien » qu’il aurait pu être. Un film sans âme…
Note :

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