“VERSIONS ORIGINALES NON CENSUREES” n°3

Par Censure

Prochaines séances du film “LES COUSINS” de Claude Chabrol :

En matinée au MK2 Quai de Loire, le dimanche 3, le samedi 9, le samedi 16, le dimanche 24 et le samedi 30 mai.

Dans ce film qui constitue une variation de la trame narrative duBEAU SERGE, Charles (Jean-Claude Brialy) s’inscrit en Droit dans une université parisienne. Il s’installe dans l’appartement de Paul (Gérard Blain), son brillant cousin. Les deux cousins sont très différents et lorsque Florence préfère Paul à Charles, ce dernier apprend qu’il est recalé. Il pense au suicide, puis à abattre Paul, mais c’est ce dernier qui descend Charles en jouant avec un revolver.

Etant donné le thème de ce film de Claude Chabrolet en vertu de la jurisprudence de la commission de contrôle, l’interdiction du aux mineurs de 16 ans n’est pas surprenante. C’est le choix de cet exemple par une députée au cours des débats parlementaires de l’assemblée nationale qui m’incite à m’y attarder. Au cours de la session des questions orales au gouvernement du 21 avril 1959, l’élue s’adresse au ministre de l’Information pour lui demander explication de ce qu’elle considère être une trop grande indulgence de la commission de contrôle devant un tel film  :

A l’assemblée, la députée Jacqueline Thome-Patenotre attire l’attention de M. le ministre de l’Information sur l’influence déplorable que ne manque pas d’avoir dans notre pays à l’étranger, la diffusion de certains films français, et notamment le film qu’on peut voir actuellement sur les écrans parisiens, qui a pour sujet la mort dramatique d’un jeune étudiant provincial, dont on fait le jouet et la victime d’une bande de dévoyés de tous âges. Etant donné le caractère systématiquement amoral de ce film et l’image injurieuse qu’il présente de la jeunesse française en général, des étudiants et de leurs professeurs en particulier, elle lui demande :

1° s’il est exact, et dans quelles conditions, qu’une aide officielle aurait été apportée au producteur pour la réalisation de ce film ;

2° dans quelles conditions la commission de censure a été amenée à autoriser la sortie de ce film ;

3° dans quelles mesures il envisage pour lutter contre l’intoxication morale de la jeunesse par de telles oeuvres, malheureusement de plus en plus nombreuses et qui risquent de saper les efforts et les sacrifices d’une nation en faveur de sa jeunesse.

Cette question demande réponse de la part de deux ministres puisque depuis la création du ministère d’Etat aux Affaires Culturelles créé par le général de Gaullepour André Malraux, les affaires cinématographiques son traitées par lui et non plus par le ministère du Commerce et de l’Industrie. Puis en 1958, c’est le ministre de l’Information qui avait succédé au ministre du Commerce et de l’Industrie comme tutelle de la censure. Jacques Flaudest donc amené à préparer la réponse d’André Malrauxsur la partie de la question relative à la perception d’une aide publique par la société de production du film :

En réponse à votre demande du 2 mai 1959, j’ai l’honneur de vous faire connaître :

a) qu’aucune aide officielle au sens précis du terme (article 2, 4°), du code de l’industrie cinématographique), n’a été accordée à la société productrice du film “Les Cousins”, sans doute visé par la question orale de Madame Jacqueline THOME-PATENOTRE ;

b) que, par contre, le bénéfice de la loi du 6 août 1953 (créant le Fonds de Développement de l’Industrie Cinématographique) a été appliqué audit film, comme à toutes les productions françaises, dans les conditions du droit commun, lesquelles sont automatiques. C’est ainsi qu’une somme de 29 305 123 frs, provenant du concours financier alloué à la société de production au titre de son précédent film “Le Beau Serge” a été investie dans le film LES COUSINS. Aucun autre concours n’a été attribué au producteur pour la réalisation de ce film. Si, en effet, le jury fonctionnant dans le cadre de l’article 58 du code de l’industrie cinématographique s’est prononcé, le 11 mars 1959, en faveur de l’affectation d’une garantie minima de concours financier à la société de production en raison des qualité du film LES COUSINS, ce concours financier n’a pu être utilisé pour la réalisation de ce film.

J’ai pu remarquer les rapports pacifiés et cordiaux entretenus par Jacques Flaud, directeur général du CNC depuis 1952, et certains professionnels de l’industrie cinématographique, parmi les plus illustres et les plus prometteurs, dans cette lettre de Claude Chabrol, l’un des précurseurs de la Nouvelle Vague, datée du 9 mars 1959 :

Puis-je auparavant manifester l’espoir de voir rapporter l’interdiction aux mineurs de moins de 16 ans qui a frappé mon dernier né “LES COUSINS”. Je n’ai pas besoin d’insister, Monsieur le Directeur, pour vous convaincre que cette mesure me cause un grave préjudice moral et financier, qu’elle risque de se traduire, si elle était maintenue, par un manque à gagner d’au moins 30 % sur les recettes France, que cette diminution des recettes, malgré le succès commercial que nous attendons tous de l’exploitation de ce film, dont les premiers résultats à l’étranger sont plus qu’encourageants, risque de compromettre l’équilibre financier de ma société de production, ce qui serait dommage pour l’avenir. Il est évident que “LES COUSINS”, ces “jansénistes cousins” comme vous l’avez écrit si justement à l’occasion de vos voeux de jour de l’an, est un film moral et que l’ostracisme que les membres de la Commission de Censure ont montré à son égard est d’autant plus incompréhensibles que certains films beaucoup moins “moraux” n’ont pas été interdits, eux, aux mineurs de moins de 16 ans.

Le film attire 258 550 spectateurs en exclusivité parisienne. Très généralement, la critique le compare avec Les Tricheurs de Marcel Carné du point de vue des représentations de la jeunesse française. Elle apprécie l’authenticité et le caractère quasi documentaire de ce film. A l’inverse, les censeurs ont souvent tendance à reprocher à ce type de films un trop grand réalisme. 


Sources et bibliographie :

Geneviève Sellier : La Nouvelle vague, un cinéma au masculin singulier, CNRS Editions, Collection Cinéma & audiovisuel, Paris, 2005

DVD “Le Beau Serge“/”Les Cousins, édition “Les films de ma vie”