Rembrandt au rideau

Publié le 16 septembre 2007 par Marc Lenot

Il est toujours délicat de présenter des œuvres d’art contemporain dans un musée classique. Le Louvre, Orsay réussissent parfois le mariage. Dans le château de Whilhelmshöhe à Kassel, où certains des artistes de la Documenta ont été invités à exposer, ce n’est vraiment pas un succès, on cherche vainement des correspondances, des rappels, des intimités. Dans une salle où s’alignent de magnifiques Rembrandt, dont un superbe autoportrait et Jacob bénissant Ephraïm, la grandiloquente photo de Zofia Kulik (très présente aussi dans toute la Documenta) ne fait vraiment pas le poids. Alors, il reste à visiter les collections du château, l’exposition sur la peinture hollandaise du 18ème siècle, et les petits trésors cachés. En voici quelques-uns, graves ou amusants.

Dans une salle latérale, à l’écart des chefs-d’œuvre mentionnés ci-dessus, un petit Rembrandt surprend, interroge, laisse perplexe. C’est une Sainte Famille des plus classiques, Jésus blotti dans les bras de sa mère, Joseph travaillant dans la pénombre, au centre du feu à même le sol et un chat guettant un bol de bouillie. On discerne au fond des fenêtres grillagées, mais l’étonnement vient d’abord du second cadre, peint sur la toile, à l’intérieur du vrai cadre : moins orné, il a néanmoins une forme contournée, un sommet courbe. Un tel trompe-l’œil n’est pas rare, même si Rembrandt ne l’a guère utilisé ; cet artifice souligne l’écart entre le réel et sa représentation, il questionne l’idée même de la peinture fenêtre sur le monde. Mais ce ne serait là qu’un artifice banal si ce faux cadre peint sur la toile ne s’ornait pas d’une tringle horizontale à laquelle est suspendu par une vingtaine d’anneaux cuivrés un rideau de velours rouge qui cache à nos yeux le tiers gauche de la scène. Chez Rembrandt, chez Vermeer et d’autres, on trouve bien des rideaux qui encadrent une scène, mais ils font partie de la réalité décrite par le peintre, ils sont de l’ordre du réel. Ici le rideau, peint sur la toile, est censé être un accessoire du cadre fictif. Il introduit ainsi une profondeur, une distance, un détachement tout à fait uniques et étranges. Est-ce la partie profane, humaine de la scène qu’on nous cache ainsi, par opposition à la partie divine de
la Vierge et son Fils ? C’est bien plus qu’un jeu d’illusion ; peut-être, au fond, une allégorie de la peinture. On peut penser insolemment à un autre tableau, dissimulé aux regards derrière un rideau par son propriétaire, Khalil Bey. Ou peut-être est-ce le monde pécheur qu’il faut cacher aux yeux divins : pendant que nous péchons, occultons l’icône, ne l’offensons pas. Nul ne sait, et on pourrait conjecturer indéfiniment.

Sur un palier,  Johann Melchior Ross, peintre du début du 18ème siècle qui est aussi l’auteur d’une immense ménagerie baroque, a peint deux petits tableaux verticaux étroits, une fleur nommée la reine de la nuit, sous deux formes : en bourgeon sur un fond rougeâtre et en fleur sur un fond gris-bleu. Même paysage, même pot rouge, même tuteur ; deux œuvres symétriques, parallèles, sexuées.

Enfin, pour rire un peu après une semaine d’art contemporain assez austère, un petit tableau obscène de Caspar Netscher (connu pour ses tableaux d’amours arcadiennes et de décolletés généreux), une Farce Masquée (1668), où un apothicaire habillé en Arlequin offre des saucisses à deux jeunes femmes élégantes venues consulter ; au sol le compas et le fourreau font sans doute allusion à l’impuissance des maris. Elles hésitent, un fou en rouge les encourage. Dans la section archéologique du musée, ce pénis ailé, amulette hellénistique, aurait été une réponse plus appropriée.

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