De Descartes à Bézier : Suite de l'histoire.

Publié le 11 mai 2009 par Guy Marion
Récemment,je fis un modeste cadeau à ma lointaine cousine d'Amérique,que je ne présente plus. Je lui offris (via son blog) les équations de mon logo :

x(t) = sin(2t) - 6sin(5t)

y(t) = ( cos(4t) )^5 - 1.1cos(t)

t variant de 0 à 2*Pi

En retour,elle écrivit un billet élégamment illustré et scénarisé par ce logo où elle explique (avec ses talents de cyber-conteuse que tout le monde connaît maintenant ) que pour dessiner de belles courbes,les équations cartésiennes, c'est bien;mais les équations paramétriques,c'est mieux.
C'EST ICI
Les équations paramétriques pour dessiner de belles courbes,c'est mieux en effet,mais ce n'est pas suffisant pour pouvoir numériser n'importe quelle courbe que l'on crée de sa main,des courbes non mathématiques,des courbes sans équations,des courbes ou surfaces dont le type est soit non classifiable, soit non connu à l'avance.
Il y a beaucoup plus souple et créatif encore :
Ce sont les courbes de Bézier !

De Descartes à Bézier .
Voici donc la suite de l'histoire :
Nous sommes dans les années soixante et cela se passe en France,bien sûr; chez le constructeur d'automobiles Renault exactement.

Vers 1962, Pierre Bézier, ingénieur chez Renault a mis au point une méthode permettant de définir toute surface par un nombre minimal de points caractéristiques. Cette méthode doit permettre de modifier facilement la surface par déplacement de quelques points et de pouvoir la représenter sans "cassure" (continûment dérivable).
L'idée directrice est de tracer une courbe en déplaçant le barycentre d'un certain nombre de points, appelés points de contrôle et affectés de coefficients dépendant d'une variable. En modifiant ensuite la position des points de contrôle, on déforme progressivement la courbe jusqu'à l'obtention du profil recherché. Mathématiquement, pour décrire une courbe, il s’agit de définir la position d'un point M à chaque instant t. Si on note 0 l' instant où on commence et 1 celui où on s’arrête, on demande donc à t de décrire l'intervalle [01]

Supposons qu’on dispose de deux points AB et qu’on souhaite les joindre par la courbe la plus simple possible , le segment AB . Comment en décrire les points ? Facile : Au temps t de l’intervalle [01] on affecte les points A et B des poids 1t et t et on considère leur barycentre M. Lorsque t=0 , M est en A ; lorsque t=1, M est est en B et entre les deux , le barycentre M décrit le segment AB.

Maintenant, supposons qu’on dispose de trois points ABC et qu’on cherche une courbe allant de A à C tout en restant dans le triangle ABC. On utilise bien sûr encore un barycentre ! Il nous faut trouver, pour chaque t, trois poids abc qu’il faut affecter aux trois points. On cherche trois nombres positifs dont la somme fait 1. Une idée simple est la suivante. On part de ce que nous avons utilisé pour deux points :

1=(1t)+t

et on élève cela au carré tout simplement. On trouve :

1=(1t)2+2(1t)t+t2

Et voilà, nous avons trois nombres dont la somme fait 1. Il suffit donc d’affecter ABC des poids a=(1t)2b=2(1t)tc=t2. Lorsque t varie entre 0 et 1, le barycentre va décrire une courbe qui part de A et qui arrive en C. Dans ce cas, cette courbe est très simple, c’est une courbe quadratique, une parabole :

Et si on a quatre points ? Il nous faut maintenant quatre nombres dont la somme fait 1 :Il suffit d'élever 1=(1t)+t au cube !
1=(1t)3+3(1t)2t+3(1t)t2+t3

On choisit donc les poids

a=(1t)3b=3(1t)2tc=3(1t)t2d=t3

On dit que c’est une courbe cubique puisque les poids sont des polynômes de degré 3 .

Et si on a plus de points ? On élève l’égalité 1=(1t)+t à la puissance n-ème, pas de problèmes.

On peut aussi définir le barycentre final M qui va numériser la courbe que l'on va créer de sa main,en enchaînant des barycentres successifs de deux points seulement,comme sur l'applet interactif ci-dessous :


Cliquer ici pour ouvrir l'applet géogébra et vous allez tout comprendre.

Les recherches de Pierre Bézier aboutirent à un logiciel, Unisurf, qui est à la base de tous les logiciels créés par la suite. Les concepts de CAO et de CFAO venaient de prendre forme.

Renault a pendant longtemps utilisé Unisurf, puis celui-ci a été transformé par Matra Datavision. Aujourd'hui, les dessinateurs travaillent sur Catia. La CAO a réduit les temps de développement de quatre à deux ans.

A l'autre bout du monde (en Amérique bien sûr),des années plus tard,un groupe de développeurs liés à Apple créa un langage adapté à la future imprimante laser conçue pour le Mac. Il s'agissait de trouver un moyen de définir mathématiquement une courbe, comme le tracé d'un caractère, avant de l'envoyer à l'imprimante...L'un de ces développeurs, John Warnock, connaissait le travail du Français. Tout naturellement,il choisit les courbes de Bézier comme base du langage PostScript et fonda la société Adobe. On sait comment le PostScript fit la fortune de cette start-up devenue multinationale. Et comment le nom de Pierre Bézier fut popularisé par un autre best-seller d'Adobe,le logiciel de dessin Illustrator.

Aujourd'hui, les graphistes et designers utilisent l'outil Plume et tracent des courbes de Bézier sans avoir la moindre idée de leur origine, un peu comme monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir...

L'idée de Pierre Bézier,fondée au départ sur l'utilisation du barycentre,moyenne pondérée de points définie à l'aide des vecteurs,il y a moins de cinquante ans,a entraîné une quasi-révolution industrielle !
Une belle histoire ?
Hèlas,aujourd'hui,presque personne connaît le nom de Pierre Bézier.
Lorsqu’on songe qu’en 1999 à l’enterrement de Pierre Bézier, tous les PDG des grandes firmes automobiles étaient présents mais point de représentant notoire de la République Française, cela en dit long sur la capacité de l’espace public de prendre en compte les priorités de la recherche
(Il y a même des décideurs qui veulent supprimer les vecteurs des programmes de mathématiques.)

Pour en savoir plus,lire cet excellent article : Les courbes de Bézier ont révolutionné le monde
Sources : Wikipédia et Images des mathématiques,pour partie.