Kurt Masur - Joshua Bell : l'étincelle ne s'est pas produite ?

Publié le 17 septembre 2007 par Philippe Delaide

Concert jeudi 13 septembre au théâtre des Champs Elysées. Kurt Masur et l'Orchestre National de France (ONF) se produisent ce soir là au titre d'une occasion toute particulière : les quatre vingts ans du Maestro. La soirée était est outre donnée au bénéfice de la Fondation Mendelssohn de Leipzig, présidée par Kurt Masur.

Au programme... Felix Mendelssohn justement. En introduction, l'ouverture de Ruy Blas et le fameux 2ème concerto pour violon et orchestre en mi mineur avec Joshua Bell comme soliste. En seconde partie, le programme comprend la célèbre 9ème symphonie "du Nouveau Monde" d'Anton Dvořák.

L'ambiance est indéniablement à l'émotion. L'ouverture de Ruy Blas est attaquée avec vivacité et éclat par l'ONF avec un Kurt Masur mordant. L'orchestre révèle des couleurs splendides dans cette pièce écrite dans le plus pure style de Mendelssohn (élégance, inventivité harmonique, écriture limpide, très coulée). Cette oeuvre fait visiblement partie de ces paradoxes de la création artistique : Mendelssohn l'écrit pour la pièce de Victor Hugo alors que celle-ci lui aurait provoqué un profond dégoût et notre grand auteur national aurait été atterré par ce morceau de musique écrit "par un allemand nommé Mendelssohn"...

Joshua Bell entre ensuite en scène pour le concerto. C'est la première fois que j'écoute ce violoniste en concert (je vois tout de suite Klari verte de jalousie...) et dont j'avais déjà parlé dans la note du 17 avril 2007 à propos de son expérience new yorkaise dans le métro. Je trouve qu'il ressemble étrangement à Luke Skywalker et, excusez le mauvais jeu de mot, la force est bien avec lui ! La technique est époustouflante, l'engagement personnel total. Ce violoniste a une maîtrise exceptionnelle du legato. Je l'ai vu très peu de fois détacher l'archet des cordes et il se lance dans un continuo sidérant, comme une voix qui jamais ne reprendrait sa respiration. Son violon n'a pas une portée exceptionnelle mais révèle un son d'une grande finesse avec des aigus d'une pureté cristalline.

Il est un peu dommage que le chef ne suive pas totalement Joshua Bell dans son parti pris d'imprimer une certaine tension sur ce concerto. L'orchestre, si vif sur Mendelssohn en introduction, s'assoupit soudainement et semble même parfois à la traîne (probant sur le fameux thème principal de l'Allegro final, digne d'un caprice paganinien, où le violon doit, en principe, rivaliser avec les flûtes dans les quadruples croches - ici les flûtes sont légèrement décalées).

Sur la symphonie du Nouveau Monde de Dvořák, Kurt Masur prend une option intéressante qui est finalement une lecture assez noire de ce chef d'oeuvre. La tension est croissante pour aboutir à une grande intensité dramatique sur le dernier mouvement (Allegro con fuoco). J'ai trouvé l'interprétation du Largo très émouvante. Kurt Masur révèle dans ce mouvement lent une connotation funèbre assez bien vue.

Je ne peux pas complètement dire que l'ONF soit aussi brillant que d'autres grandes phalanges européennes. Kurt Masur lui a certes imprimé un style élégant et une belle homogénéité. Il manque peut-être un peu d'éclat par moment et pourrait être plus mordant.

L'émotion de Kurt Masur, grand homme d'un charisme certain et au regard félin, était évidente face à l'ovation chaleureuse et soutenue du public parisien. Le concert était diffusé en direct par la maison mère Radio France (France Musique).

A noter le luxueux et instructif programme remis pour cette soirée et qui retrace le beau parcours du chef est-allemand avec l'ONF depuis maintenant 5 ans.