Ce que j'entends par "c'est normal de faire des enfants"

Par Theclelescinqt

Hier j'ai eu l'honneur de voir mon entretien avec mon Electroménagère préférée de la blogosphère publié sur le blog de celle-ci. Ce qui a donné lieu à de charmants commentaires à la suite. Merci Mesdames, merci. Trop gentil, vraiment.

Mais en lisant le com de Chouyo, qui se demande bien si j'insinuerais d'après mes propos que son choix de ne pas faire d'enfant me semblerait "anormal", je ne peux que répondre en laissant de côté la sieste méritée que j'avais programmée après ces remarques sympas! (en effet confectionner "le" gâteau 2009 chez les Lescinqt pendant un lundi entier m'a laissé des séquelles visibles, j'y reviendrai...)

Chère Chouyo, quand je dis que "moi c'est normal que je fasse des enfants", nous pouvons remplacer exactement l'expression qui "fâche" par "c'est bien légitime", rien de plus.

Je trouverais que quelqu'un qui n'a pas envie de faire d'enfant, et donc n'en a pas, a un comportement "normal"= "légitime", correspondant aux normes du bon sens. Quelqu'un qui ferait des enfants sans en avoir envie passerait pour moi du côté obscur du bon sens, et donc son comportement ne serait pas "normal", "naturel".

Il est donc selon moi normal de ne pas faire d'enfant quand on n'en veut pas et normal de faire des enfants quand on en veut (et qu'on peut.)
Autrement dit : tout le monde devrait pouvoir comprendre ces deux comportements et les considérer comme "naturels".

Ce qui m'agace, c'est qu'en sus que mon comportement soit "normal" car bénéficiant des présupposés pré-cités qui pourraient s'appliquer à tout autre chose (exemples au hasard : je déteste la ville donc c'est normal que je veuille vivre à la campagne; ou bien je suis allergique au poisson donc c'est normal que je n'en mange pas même si je suis invitée), il ne s'agit rien moins que d'un comportement (celui de faire des enfants!) qui constitue la force vive de la Nation!!!(n'ayons pas peur des mots!)

Comprenez-vous ce que je trouve agaçant? Il est absolument légitime qu'une population se reproduise (sinon elle meurt, regardez ce qui est prévu en terme de retraites en Europe), mais les gens ont le choix individuellement car nous ne sommes pas sur le point de nous éteindre (sinon vous verriez que des lois anti-anticonception seraient vite fait édictées (cf.1920)), et donc il est absolument normal, légitime et naturel que la moitié de la population concernée au premier chef par la reproduction s'y colle un jour ou l'autre (par culture, amour, nature, convention, tic-tac de l'horloge, que sais-je, les raisons de fonder une famille sont multiples, bien que je ne critique pas du tout, je l'ai déjà dit, celles et ceux qui ne veulent pas de ce projet. Vu la fatigue que cela représente, je trouve même qu'ils ont raison ;-)

Et c'est là que le bas blesse, car malgré le fait que ce comportement "anecdotique" concernant la moitié de la population arrive tout de même assez souvent, donc est assez prévisible, l'ensemble de la société n'en tient pas encore vraiment compte. Nous qui "fabriquons" concrètement la société, nous devons nous justifier de faire des enfants. Quasiment s'excuser auprès des employeurs, quand nous ne sommes pas licenciées. La loi nous protège quand même, mais pourquoi devrait-elle nous protéger? Parce que nous embarrassons les gens qui font tourner cette belle machine. Nous gênons les gens dans les bus avec nos poussettes, devons quasiment faire garder nos enfants pour aller leur acheter des vêtements car ceux qui organisent les magasins n'ont pas d'enfants, à croire ce que je vois, (c'est à dire assez souvent les rayons enfants en bas ou en haut d'un escalier et sans ascenseur), et parfois nous ne pouvons retirer nos colis à la Poste car nous ne pouvons pas accéder aux guichets (vécu!)

Essayez donc de monter un escalier en portant une poussette-double et en tenant la main d'un jeune enfant, et on en reparle.

Depuis 10 ans que je suis parent, croyez-moi sur parole, le quotidien est fait de bouts de ficelle et de plans multiples en tout genre pour faire partie de la "société", alors que je suis un exemplaire -comme beaucoup d'entre vous - de celles et ceux qui bossent le plus pour elle.

Je suis considérée comme "ne travaillant pas", donc ai droit à la cantine pour mes enfants "à titre dérogatif", alors que mon boulot est bien plus harassant que celui du travailleur sans enfants, je n'ai pas de retraite et suis considérée comme n'ayant professionnellement rien fait, ou pas grand chose, alors que si quelqu'un jongle entre cinq activités différentes en même temps dans cette société, n'épargne pas sa fatigue, doit se passer de vacances, moments à soi et distraction, doit faire preuve de rapidité, d'astuce, voire de génie parfois, de ténacité, de courage, d'inventivité, de tendresse, de patience et d'autorité, c'est bien le parent au foyer. Malade ou pas, c'est marche ou crève; décès de quelqu'un de proche ou pas, c'est pareil, je ne peux y aller à moins de payer une fortune à un inconnu qui ne saura pas forcément s'occuper de quatre marmots en bas-âges (quand je vous dis que nous sommes compétents!), je dois faire des achats introuvables, prévoir tout, gérer un budget qui n'est pas élastique, m'occuper des autres en permanence, être taillable et corvéable à merci, mettre à jour un quasi service administratif, et même, éventuellement, ne pas dormir la nuit...

Quand je dis que moi "c'est normal que je fasse des enfants", c'est que j'attends que la société entière tienne compte de cette "spécificité" qui concerne la moitié de la population! Je ne trouve pas légitime de devoir me battre dix ans de plus pour retrouver un emploi digne de ce nom et une retraite, comme si je n'avais rien glandé, je ne trouve pas légitime de devoir biaiser pour ne pas assister aux réunions de travail à 18 h30 au risque que mes enfants se retrouvent sur le trottoir, je ne trouve pas non plus normal cette jungle de la garde d'enfants dont sont protégés uniquement les revenus les plus confortables,...

Je, nous, n'avons pas à nous justifier de faire des enfants, quel que soit le nombre!! Par contre la société actuelle a des comptes à nous rendre au sujet de l'impraticabilité du marché de l'emploi qui existe actuellement. 3% des enfants admis en crèche...(et beaucoup de pistonnés!!), des garderies en nombre insuffisant, 17% de salaire en moins pour les femmes à travail égal, plafond de verre, CDD non choisis pour ces dames en majorité,...

Imaginez un pédégé de, mettons, 55 ans, qui se présente à l'hôpital pour s'entendre dire : "Mais non, on ne vous prend pas en charge, nous n'avions pas prévu que les gens comme vous tombent malades..."

Par contre, pour la moitié de la population  qui fait des enfants "normalement", c'est à dire de manière naturelle et légitime, bizarrement ce n'est pas si prévu que ça. C'est notre choix paraît-il. Donc vogue la galère, les modes de garde abracadabrants, la mise en parenthèse d'années d'études, le sacrifice d'années de  retraite, les difficultés à même se mouvoir dans la cité (poussettes, trottoirs, bus, métro, absence de parcs et d'aires de jeux parfois,...! Sauf pour les familles au gros budget, donc pas pour tout le monde.

Le pire dans l'histoire c'est que la France est malgré tout un des pays les plus avancés sur ce plan-là; c'est vous dire ce qui se passe à côté...! Je crois savoir que l'Allemagne est en perte sèche de population car les femmes y sont exploitées en cas de maternité de manière éhontée et littéralement évincées du marché du travail à coup de pas d'école l'après-midi et d'absence de modes de garde suffisants (c'est facile de bloquer les mères, quand on se donne la peine!)

C'est pourquoi, bien que je soutienne absolument les femmes qui n'ont pas envie d'avoir d'enfant, quelles qu'en soient les raisons, et qui se tiennent à leur choix, je trouverais très sympathique de leur part de laisser entendre au tout-venant que si elles n'en font pas, c'est à cause de tout ce que je viens de vous raconter... C'est vrai quoi, à elles ça ne coûterait rien, et les autres, qui n'ont aucun moyen de pression au contraire de toutes les corporations de travailleurs qui prennent régulièrement le pays en otage pour exiger de la société plus d'argent, plus d'avantages, de meilleures retraites, finiraient peut-être un jour par bénéficier de tels discours réitérés.

Car on n'a jamais vu de parents au foyer défiler pour exiger de "meilleures conditions de travail", ni de grèves sauvages de gardes de leurs enfants, ni de menaces de jeter leurs bambins par la fenêtre... Donc, comme l'exprime si justement François de Closets dans ses livres, pas de capacité de nuisance, donc, au final : rien. La charité publique (quelques centaines d'euros de la Caf par mois) un tarif réduit pour les transports (en discussion), pas de retraite pour ces années harassantes (du moins pour moi, car il existe des conditions particulières, et apparemment c'est soumis au budget global, comme si aucune femme ne se faisait virer par son mari à l'aube de la retraite!)

Voilà.