Le poison est dans le fruit

Publié le 14 mai 2009 par Lisa

Les pesticides sont un poison pour l'homme et toutes les espèces vivantes sur terre. Ils sont présents partout : dans les sols, les eaux des rivières, les nappes phréatiques. Ils infestent l'air, imprègnent les fruits et les légumes que nous mangeons. Et détruisent notre santé.
L'alerte est générale. La mobilisation commence à l'être. En France, du 20 au 30 mars dernier, collectivités locales, associations et entreprises se sont mobilisées pour la quatrième année consécutive pour dénoncer l'impact des pesticides sur l'environnement et la santé, et proposer des alternatives afin de réduire leur utilisation. Treize autres pays d'Europe les ont imités. L'Amérique (Brésil, Québec) et l'Afrique (Cameroun, Tunisie, Mauritanie) se sont également jointes au mouvement.
> Réduire de moitié l'usage des pesticides
Dans notre pays, premier consommateur européen de pesticides avec 76 000 tonnes épandues par an, François Veillerette, président du MDRGF (mouvement pour le droit et le respect des générations futures) rappelait récemment que 96% des eaux superficielles et 52% des fruits et légumes contiennent des résidus de pesticides. Pour contrer cette pollution générale, un plan "Ecophyt 2018" a été lancé en septembre dernier par le ministre de l'agriculture, Michel Barnier, prévoyant "si possible" la réduction de moitié de l'utilisation des pesticides d'ici dix ans. Mais début février 2009, lors du débat sur le projet de loi Grenelle 1, les sénateurs ont déjà réduit la portée de cette ambition. En adoptant notamment un amendement qui précise que cet objectif ne devra pas "mettre en danger des productions, notamment les cultures dites mineures". Par "cultures mineures", les sénateurs entendent surtout l'arboriculture fruitière, grande consommatrice de pesticides. Cette attitude a provoqué la colère de Jean-Claude Bévillard, chargé des questions agricoles à la Fédération Nationale de l'Environnement (FNE). "L'objectif de réduction de 50% des usages de pesticides est l'un des acquis le plus structurants du Grenelle", déclare-t-il. "Il nous concerne tous : agriculteurs toutes productions confondues, collectivités, jardiniers, agents de la voirie".
> Une grande enquête en cours
Premiers utilisateurs et premiers exposés aux conséquences des pesticides, les agriculteurs devraient pourtant être plus vigilants. Modifieront-ils leurs comportements à la lumière des études en cours ? D'ici à la fin de l'année, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques fera le point sur l'incidence des pesticides sur la santé des agriculteurs français. Cette analyse, menée simultanément dans 12 départements auprès de 560 000 agriculteurs (sur 1,4 millions d'actifs que compte le monde agricole français), ambitionne de récolter le plus d'informations possible sur les liens éventuels entre l'exposition des agriculteurs aux pesticides et la contraction de cancers. Des questionnaires ont été adressés, et déjà 182 000 ont été retournés aux chercheurs. La lecture de ces indications doit permettre "d'identifier les expositions, l'incidence de certains cancers, les causes de décès mais aussi d'apporter des arguments scientifiques pour juger du caractère professionnel de certains cancers".
> De nouveaux printemps silencieux
Scientifiques et médecins sont maintenant de plus en plus nombreux à s'interroger sur l'impact de ces molécules pour la santé et l'environnement. Il a fallu du temps : presque cinquante ans depuis la parution, en 1962, aux Etats-Unis, du livre de la biologiste Rachel Carson "Printemps silencieux", qui dénonçait les effets de la chimie sur l'environnement. Et contribua à l'interdiction du DDT.
Présents dans tous les écosystèmes, les pesticides se retrouvent dans les différents maillons des chaînes alimentaires, affectant ainsi le comportement et la reproduction de nombreuses espèces vivantes. Les entomologistes observent la raréfaction de nombreuses espèces de papillons et d'insectes butineurs qui jouent un rôle fondamental dans la pollinisation des plantes, en particulier des arbres fruitiers, qui sont aussi, dans l'agriculture, les plus massivement traités.
Les espèces dont le régime alimentaire est insectivore paient un lourd tribut ainsi qu'en témoigne la diminution de certaines espèces d'oiseaux comme les hirondelles, ou des chauves-souris. Amphibiens, reptiles et poissons (dont l'anguille, particulièrement sensible) sont également touchés. Les botanistes signalent la quasi-disparition de certaines plantes comme les messicoles, plantes des moissons, ou encore l'adonis, le pied-d'alouette, le bleuet et la nielle. Les traitements phytosanitaires répétés provoquent aussi un appauvrissement, moins visible mais bien réel, de la microfaune et de la flore microbienne des sols, diminuant ainsi leur fertilité.
Ils contribuent par exemple à la diminution des vers de terre, dont le rôle est essentiel dans le maintien de la structure des sols et de la circulation de l'eau.
> Les professionnels, premières victimes
Chez les humains, ce sont les professionnels, agriculteurs, jardiniers et agents des collectivités territoriales, qui sont les plus exposés.
Si toutes les précautions d'emploi ne sont pas respectées, une intoxication aiguë peut survenir. Des maux de tête, des nausées, maux de ventre, irritations cutanées ou oculaires, des difficultés à respirer sont fréquemment signalés. "Un utilisateur de produits phytos sur cinq a ressenti des troubles au moins une fois dans l'année écoulée" indique le rapport "Phyt'attitude" de la Mutualité Sociale Agricole (MSA).
En cas d'exposition chronique aux pesticides, les atteintes de la fonction de reproduction, les troubles neurologiques et les pathologies cancéreuses sont les effets sanitaires les plus fréquemment invoqués. Les études toxicologiques et les enquêtes épidémiologiques en cours permettront peut-être de confirmer la forte suspicion d'un lien causal pour certains types de cancers (tumeurs cérébrales, lymphomes...) observés fréquemment chez les agriculteurs.
En 2006, la maladie de Parkinson a été, pour la première fois en France, reconnue par un tribunal de Bourges comme maladie professionnelle chez un ancien ouvrier agricole.
Pour la population générale, la question se pose également de savoir si la pollution diffusée par les pesticides, et par conséquent l'imprégnation des individus par ces substances, dont certaines sont reconnus comme CMR (cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques), pourrait être l'une des causes de l'augmentation importante et inexpliquée de la fréquence de certains cancers, en particulier chez des sujets jeunes, ou de la dégradation de la qualité du sperme observée depuis quelques années.  


Témoignage : "malade des pesticides, je brise la loi du silence".

Il y a 5 ans, Paul François, agriculteur en Charente, a été victime d'une grave intoxication aux pesticides. Depuis, il se bat. Pour recouvrer la santé. Pour inciter les agriculteurs à se protéger. Et contre les firmes chimiques.
"Ma vie a basculé le 27 avril 2004, à 40 ans. Ce jour-là, la chaleur cogne sur les 240 ha de mon exploitation céréalière, à Bernac (Charente). Après avoir pulvérisé sur mes cultures de maïs un désherbant chimique, je veux vérifier que la cuve ayant contenu le produit a été bien rincée par le système de nettoyage automatique. Quand j'ouvre le récipient, les vapeurs du Lasso (nom commercial de l'herbicide, fabriqué par Monsanto), mises sous pression par la chaleur, surgissent et me chauffent tout le corps. Dans les minutes qui suivent, je ressens des nausées. Je suis admis aux urgences. Je perds connaissance. Je suis hospitalisé quatre jours. Un cauchemar : je crache du sang, je souffre de violents maux de tête, de troubles de la parole, de la mémoire et de l'équilibre. Après 5 semaines d'arrêt maladie, je reprends le travail.
Le 29 novembre, grave rechute : je tombe dans le coma à la maison. S'ensuivent 7 mois rythmés par les hospitalisations, les transferts de service en service, les examens et les comas à répétition... Les médecins sont perplexes : ils ne s'expliquent pas la persistance des troubles plusieurs mois après l'inhalation accidentelle du Lasso. Différentes pistes sont tour à tour étudiées, toutes écartées : dépression, maladie mentale, épilepsie ... Un médecin m'a même soupçonné de me shooter à l'herbicide !
La MSA (mutualité sociale agricole) refuse de classer mes problèmes de santé en maladie professionnelle. Je l'attaque en justice. Le 3 novembre 2008, le tribunal des affaires sociales d'Angoulême me donne raison : il reconnaît que je souffre d'une maladie professionnelle causée par mon "gazage" à l'herbicide Lasso, retiré du marché français en 2007. Il a fallu que je me batte, que j'apporte des preuves scientifiques. Un labo indépendant a analysé le Lasso. Outre sa matière active herbicide, il contient un solvant. Un an après mon accident, ces deux molécules sont présentes, à doses très élevées, dans mes urines et mes cheveux. Mélangées, elles constituent un cocktail beaucoup plus redoutable pour la santé que chacune séparément. Elles interagissent sur l'organisme, se stockent dans les graisses et sont progressivement relarguées dans le sang, écrit dans son rapport le professeur en toxicologie Jean-François Narbonne. C'est l'explication de ma longue maladie. Mon procès a révélé au grand jour que les fabricants de produits phytosanitaires sont autorisés par la loi à garder secret tout ingrédient qui entre à moins de 7% dans la formule. J'apprends aussi que les tests pour homologuer les produits portent sur chaque composante, mais ne mesurent pas la toxicité du mélange. J'ai porté plainte contre Monsanto. Les fabricants ne disent pas tout sur la dangerosité de leurs produits. Si j'avais su que le Lasso était à ce point volatil, si cette propriété avait été indiquée sur l'étiquette, j'aurais mis un masque avant d'ouvrir la cuve. Je me bats pour une jurisprudence qui protège les agriculteurs. Ils sont les premières victimes des pesticides. Ils sont davantage touchés que le reste de la population par les cancers, les maladies de Parkinson ou d'Alzheimer.
Les médecins des services de neurologie, néphrologie (reins), immunologie me l'ont dit. Pour ne pas être accusés de pollueurs ou d'empoisonneurs, les arboriculteurs et les viticulteurs n'ont pas osé se protéger, comme la MSA le préconise, dans des scaphandres de cosmonaute. Il faut briser la loi du silence : la France est le 3me pays utilisateur de produits phytosanitaires dans le monde, et le 1er en Europe, et nous ne serions qu'une petite dizaine d'agriculteurs reconnus en maladie professionnelle ?... Les agriculteurs ne doivent pas culpabiliser d'avoir utilisé ces produits phytosanitaires. Ils l'ont fait pour répondre à la demande et aux pressions exercées par l'obligation de rendement. Ils utilisent des produits homologués, ils n'enfreignent donc pas la loi.
Si on continue à pratiquer une agriculture intensive avec des pesticides à hautes doses, on va dans le mur".

Source : Alternative santé, n°366, mai 2009, pages 20 et 22.

Le silence des fabricants de pesticides en dit long sur les intérêts en jeu. Face au lucratif marché de la chimie en agriculture, que pèsent les risques encourus par l'homme ?

> A lire aussi sur le sujet : "Pesticides, révélations sur un scandale français", de Fabrice Nicolino.

Résumé : Les conséquences sanitaires de l'exposition aux pesticides sont d'ores et déjà massives. Des centaines d'études, à l'échelle internationale, montrent que ces produits de la chimie de synthèse agissent, même à faibles doses, sur notre équilibre le plus intime. Le cordon ombilical du foetus , le système endocrinien, la fabrication du sperme sont atteints. Les cancers et les maladies neurologiques se multiplient. Depuis 1945, l'industrie des pesticides a pris le pouvoir en France, sans que personne ne s'en aperçoive. Cet ouvrage donne des noms, livre des dates, fouille les archives. Les industriels ont infiltré, et continuent à le faire, les commissions officielles chargées du contrôle des pesticides. L' "agriculture raisonnée" , que les pouvoirs publics français présentent comme la solution de l'avenir, est une incroyable manipulation. En lisant ce récit, on découvre le rôle scandaleux de la haute administration de notre pays dans la mort de milliards d'abeilles. On y découvre comment est dissimulée l'existence de milliers de malades des pesticides.
L'auteur est journaliste et travaille pour le magazine Terre Sauvage.