Le cinéma de la Nouvelle Vague

Par Abarguillet

    

En Novembre 1957, Françoise Giroud fit la une de l'Express avec pour titre " La Nouvelle Vague ". L'image était lancée. Certes la journaliste ne parlait pas de cinéma mais commentait une enquête sur la jeunesse, dont le comportement et les habitudes surprenaient leurs aînés. L'année suivante, la France, pays réputé conservateur, se dotait d'une nouvelle constitution et plaçait un nouveau président Charles de Gaulle ( qui n'était pas de première jeunesse cependant ) à la tête d'une société prospère mais vétuste.
A la fin des années 50, le cinéma français était à l'image du pays : des réalisateurs non dénués de talent mais souvent âgés et peu inventifs, menuisaient la " qualité française " à l'intérieur de studios poussiéreux, selon des formules rodées au cours des années 30 et se pliaient à une réglementation protectionniste qui limitait l'accès à la profession. Voilà justement ce que la jeunesse entendait changer et tout particulièrement quelques personnalités fougueuses regroupées autour d'André Bazin et des Cahiers du Cinéma, que l'on appellera, par la suite, les jeunes turcs et dont les noms étaient : Chabrol, Malle, Truffaut, Doniol-Valcroze, Rohmer, Rivette, Godard, jeunes qui entendaient imposer au 7e Art vieillissant la politique des auteurs. Les vrais cinéastes ne sont pas des artisans mais des artistes à part entière, à l'égal des écrivains, des peintres ou des musiciens - proclamaient-ils, non sans raison. Grâce à des caméras mobiles, ils entendaient saisir la réalité sur le vif, s'approcher au plus près de l'être, le surprendre dans son intimité, dévoiler ce qui se cache derrière l'apparence des choses. En quelque sorte initier un cinéma vérité qui traque ce qui est le plus secret ou le plus privé et nous restitue la vie dans son authenticité.

      

Cette Nouvelle Vague fut d'une ampleur exceptionnelle, au point de remettre en cause les mécanismes de la production, avec l'adoption de méthodes de tournage permettant d'en abaisser considérablement le coût et un nouvel état d'esprit valorisant l'idée d'auteur aux dépens d'une conception plus technique du cinéma.
La démarche ne manquait pas d'audace et nous a valu, au début, quelques films expérimentaux, prototypes d'un cinéma en pleine mutation. Ce qui primait était d'utiliser les personnages, les situations, les dialogues de façon à imposer son point de vue, à imprimer sa marque. Chaque réalisateur devait être en mesure de faire passer ses préoccupations personnelles dans un matériau étranger, de manière à se l'approprier. Mais il arriva que ce cinéma- vérité soit battu sur son propre terrain par un cinéma bourré de littérature et d'artifices, ce qui allait à l'encontre du but recherché. Heureusement, la personnalité du créateur finissait par faire la différence, mais beaucoup d'entre eux, restés sur le bas-côté, ne laissèrent qu'un pâle souvenir.

En 1958 et 59, Chabrol - qui sera le premier de la bande à plonger hardiment dans le long métrage - disposant de moyens financiers grâce à un petit héritage familial, tourne coup sur coup Le beau Serge  et  Les cousins.  Le passage à l'acte prendra les allures d'une aventure collective, confirmant la rumeur propagée par certains qu'il s'agit bien d'une bande de copains. Non des soudards, mais des jeunes gens enthousiastes, unis par la même idée du cinéma en tant qu'art, cela dans un formidable climat de stimulation et d'entraide.
Au générique de ces films, on verra revenir le nom des mêmes acteurs : Jean-Paul Belmondo, Gérard Blain, Bernadette Lafont, Jean-Claude Brialy, Anna Karina, des mêmes scénaristes Paul Gégauff, Jean Gruault, en passant par les mêmes assistants et opérateurs. Une grande équipe s'est mise en ordre de bataille pour rénover de fond en comble l'art cinématographique et faire passer un formidable message de modernité. Comme l'écrira Truffaut : 
Les jeunes qui ont pu trouver les capitaux par leur famille - cas de Louis Malle, Chabrol et moi-même - ont fait les premiers films de la N.V., mais le succès de ces premiers films a permis à ceux qui venaient derrière, et n'auraient pu réunir tout de suite des capitaux, de trouver des financements auprès de petits producteurs opportunistes. En deux ans, tous ceux qui voulaient faire des films aux Cahiers l'ont fait. Ces films ont été conçus dans la même optique que celle d'Hiroshima, c'est-à-dire en prévoyant le pire. Ce sont des films qui ont été tournés dans de telles conditions d'économie, en général 30 ou 40 millions d'A.F., qu'une exploitation minime suffisait à amortir ".


    


C'est à ce moment que Truffaut tourne  Les quatre cents coups,  dont il puise l'inspiration dans sa propre adolescence. Ce film fera l'effet d'une bombe et à Cannes l'expression N.V. sera sur toutes les lèvres. Le monde entier s'en empare. Le phénomène " jeune " emporte tout sur son passage. Doniol-Valcroze écrira dans les Cahiers :  La porte ébranlée sous les coups de Chabrol, Franju, Rouch, Reichenbach et autres gaillards du même acabit, soudain cède et un avenir commence.
Suivra  A bout de souffle de Godard, seul vrai succès public qu'un film de ce cinéaste remportera spontanément et, ce, sans l'apport de vedettes. Il apparaîtra bientôt comme le film-manifeste, après Le beau Serge, qui illustre idéalement la théorie et la pratique du cinéma d'avant-garde. Alors que ce film ne renie nullement une inspiration classique, tant son auteur s'essaiera à faire revivre un cinéma ancien et aimé. Avec lui et grâce à lui, Godard révolutionne définitivement l'écriture cinématographique et on ne peut nier qu'il y aura un avant et après A bout de souffle.

"A bout de souffle" de Jean-Luc Godard (crédit: www.allocine.fr)

Mais le temps passe, les films succèdent aux films et si les jeunes cinéastes se serrent les coudes, chacun tente néanmoins de creuser son trou en toute indépendance économique. Le but n'est-il pas de prouver que, dorénavant, on peut réaliser des films dans les mêmes conditions qu'un amateur, en obtenant un produit de format professionnel exploitable commercialement. Mais s'ajoutaient à cette contrainte d'autres paramètres que la N.V. s'était fixée dès le début : de préférence des décors naturels, une équipe ultra légère, des acteurs non professionnels, si bien que ces impératifs finirent par user les cinéastes et signer la fin de la N.V. Truffaut l'écrira sobrement : Chacun est resté fidèle à lui-même mais, en le faisant, il s'est éloigné des autres. A l'actif de ce mouvement, on peut porter ceux d'un dépoussiérage du cinéma français, d'une libération des formes et de l'écriture, d'un nouvel accent empreint de vérité et de sincérité, d'une personnalisation des oeuvres. Mais la cohabitation ne pouvait durer pour la bonne raison que les sensibilités et les tempéraments étaient trop différents. La vague retomba comme toutes les vagues et de nouveaux auteurs purent, à leur tour, écrire sur le sable redevenu lisse.

Telle est la leçon à retenir de la Nouvelle Vague et le sens de cette fameuse  politique des auteurs  qu'elle inventa d'abord et illustra ensuite avec plus ou moins de bonheur. Grâce au recul dont nous jouissons aujourd'hui, nous comprenons mieux les réticences que ce cinéma suscita, en provoquant volontairement une rupture dans le 7ème Art. En 1962 Godard déclarait, plus modéré qu'à l'ordinaire :
" La critique nous a appris à admirer à la fois Rouch et Eisenstein. A ne pas condamner un genre de cinéma au profit d'un autre. A ne pas refaire ce qui a déjà été fait. Tout écrivain contemporain sait que Molière et Shakespeare ont existé. Nous avons été les premiers réalisateurs à tenir compte de l'existence de Griffith. Même Carné, Delluc, René Clair n'avaient pas de base critique et historique réelle. Renoir lui-même n'en avait guère plus : mais lui, bien sûr, avait du génie."

Ce mouvement de la Nouvelle Vague n'en a pas moins engendré une postérité nombreuse. Elle constitue d'ailleurs la plus grande part du cinéma français actuel. Sans elle, des cinéastes aussi divers que Cavalier, Pialat, Pascal Thomas, Jean Eustache n'auraient probablement pas existé. Et si une oeuvre comme celle de Tavernier s'est édifiée en opposition presque absolue avec son héritage, n'était-ce pas une manière de reconnaître sa dette envers lui ? Malgré ses excès, ses erreurs et ses reniements, la Nouvelle Vague n'en a pas moins été une démarche fructueuse et une étape nécessaire qui a évité au cinéma de se scléroser ou de se laisser rattraper par un trop précoce vieillissement. Ce coup de gueule, ou plutôt cette torche vive, qui mit le feu au poudre, nous a valu un cinéma vivant, ragaillardi, immédiat et accessible qui a exploité, à bon escient, et sans se départir de sa poésie, l'originalité profonde du 7ème Art.