Contes de l'ordi sacré : la vengeance du caribou fou 15

Publié le 16 mai 2009 par Porky

EPISODE 15 : Où l'on apprend quel terrible danger menace les héros et où Gudule perd une partie de ses moyens.

Les paroles du caribou magique eurent un effet lui aussi magique : elles plongèrent l'assistance dans un silence inquiet, événement tellement rarissime qu'il est bon de le souligner, de l'écrire en gras et en italiques. Comme personne ne se décidait à lui demander quel horrible danger ferait surgir l'incantation, le caribou magique continua ses explications. « Pour l'instant, nous ne risquons rien car avant de quitter ma cabane au Canada, je vous ai tous entourés d'une protection spirituelle magique qui vous rend inodores, incolores, inaudibles et invisibles pour mon frère et Gudule. Mais le pire, c'est qu'il veut faire revenir le cercle rouge de Sirius. » Il y eut un soupir de soulagement collectif. « C'est ça, la fameuse menace ? fit Marsupilania, dédaigneuse. Nous savons comment nous en débarrasser. Un « berk » et il dégage ! » « Non, chère Vaillante, précisa le caribou magique. Plus maintenant. Pendant son séjour sur Sirius, il s'est immunisé contre toutes les interjections possibles et imaginables. Il faudra trouver autre chose. » « Et que se passera-t-il si le cercle rouge revient ? » demanda Multimédia, stressée au point de torturer sa naze télécommande. « Il nous expédiera sur Sirius, rien de plus », dit le caribou magique. « Ah non ! s'insurgea le Prince Charmant. J'ai horreur des pays étrangers. » « Sirius n'est pas un pays, Loga chéri, expliqua patiemment la Belle Monogramme, Princesse de conte de fée. C'est une planète. » « Raison de plus, s'entêta Logarithme. Je veux bien aller dans le pavillon dix-huitième, chez Marsu à la rigueur, mais ailleurs, non. » On décida d'un tacite et commun accord de ne pas tenir compte des dernières affirmations du Prince Charmant, lequel commençait d'ailleurs à gonfler sérieusement avec ses principes de maniaque. « Je pense donc qu'il faut vraiment agir tout de suite, résuma le caribou magique. Avant l'arrivée du cercle rouge. » « Bon, soupira la Belle Monogramme. On part quand ? » « On fait la vaisselle, on nettoie l'appartement, et on y va ! dit Marsupilania en se levant. Caribou magique, quelles montures prenons-nous ? » « Aucune. Je n'ai pas besoin de monture pour emmener la troupe au château d'Onyx Noir. Une formule suffit. » « Parfait, dit Marsupilania. En attendant, voilà le balai, nettoie le parquet vitrifié, il ne doit pas rester une seule miette de pain dessus ! Je suis moi aussi une maniaque dans mon genre et j'assume ! »

Dans le fameux château d'Onyx Noir, le Masque de fer sortait peu à peu de son coma. Se sentant assez nauséeux, il ne voulait pas ouvrir les yeux et respirait profondément. Un vague bruit de voix parvenait par à-coups à ses oreilles. Il tenta de percevoir ce qu'on disait autour de lui.

Retranchés dans un coin du laboratoire maudit, Gudule et le caribou fou discutaient à voix basse. Gudule suppliait son maître à sorceller de la battre encore une fois, parce que quand il ne serait plus là, personne n'oserait le faire même si tout le monde en avait envie. « Je serai toujours là », affirma le caribou fou pour avoir la paix. « Oh que non ! grinça Gudule. Tu t'es déjà fait expédier sur Sirius, les autres finiront bien par t'envoyer sur Pluton. Ce n'est qu'une question de temps. » Son insolence lui valut enfin la paire de gifles qu'elle réclamait à cors et à cris. Puis le caribou fou s'assit sur une chaise et posa nonchalamment ses pattes sur la table. « Il faut avant tout s'assurer que notre repaire est imprenable, dit-il. Mon frère a dû aider nos ennemis, je ne sens ni ne perçois leur présence, nulle part. Ce n'est pas normal. Et je ne le sens pas lui non plus. » « Ce qui veut di'e, mon ca'ibou ado'é ? » demanda Gudule qui, soudain, ne pouvait plus prononcer les r. « Si je le savais, idiote ! » gronda le caribou fou en tapant sur la table. Il se leva d'un bond. « Te souviens-tu de l'incantation qui t'a permis de créer le cercle rouge ? » « Oh oui, dit Gudule. Je m'en souviens t'ès bien. Il suffisait de p'ononcer co'ectement t'ois mots et le 'este, on pouvait di'e ce qu'on voulait. » « Tu sais que c'est pénible de t'entendre parler sans r, affirma le caribou fou, convaincu. Recommence tout de suite à les prononcer, sinon, je ne te frappe plus jamais ! » Gudule se jeta à genoux devant son maître à sorceller. « Mon ca'ibou, pa' pitié, ne fais pas ça, ce n'est pas ma faute, quand tu m'as asticotée tout à l'heu'e, tu as tapé si fo't que mes ' sont pa'tis en l'ai'. Si tu veux, aide-moi à les 'et'ouver et tout i'a bien de nouveau. » « Va mourir, connasse, rétorqua le caribou fou. J'ai autre chose à faire que de chercher de vieux r pourris. Si tu ne les trouves pas, tâche de ne plus sortir que des mots qui ne contiennent pas cette consonne ! » « Ca va êt'e t'ès difficile, pleurnicha Gudule. Enfin, cette idée va davantage emme'der l'auteu' que moi. Je che'che. »

Pendant qu'elle ch'echait à genoux sur le ca'elage du labo'atoi'e maudit, (pardon, un moment d'inattention, NDLA), le caribou fou mettait au point une psalmodie contenant les trois mots magiques, psalmodie qui, le pensait-il, allait lui permettre de faire revenir le cercle rouge de Sirius. Lorsque tout fut prêt, il apostropha Gudule qui rampait toujours, le nez sur le sol, à la recherche du r perdu. « T'as fini, grosse tourte ? » aboya-t-il. « Non, mon maît'e, geignit Gudule, affolée. Je n'ai 'ien t'ouvé, c'est at'oce, que vais-je deveni' sans mes ' ? Tu ne me f'appe'as plus et je vais mou'i' de déplaisi'. » « Crève si tu veux mais après avoir psalmodié avec moi. J'espère seulement que ça marchera malgré l'absence de r. »

Alors qu'ils allaient psalmodier, le Masque de fer, qui se sentait beaucoup mieux, manifesta l'intention de se lever ; d'un geste de la patte, le caribou fou l'immobilisa et le transforma en statue. Puis, on prononça l'incantation. « C'est littéralement épouvantable, dit le caribou fou, excédé. Heureusement que le seul mot important de la formule ne contient pas de r ! »

Cela va peut-être paraître étrange aux lecteurs, mais cette psalmodie eut un effet positif. Le cercle rouge apparut, dédoublé, dans un coin du laboratoire maudit. Il ondulait avec beaucoup de sûreté et d'arrogance. « Je vous salue Gudule », dit-il en s'inclinant avec une courtoisie non dénuée d'ironie. « Je te salue, ce'cle 'ouge », répondit la sorcière et le cercle, d'étonnement, vira à l'orange en entendant des sons aussi bizarres. « Et moi, alors, on ne me salue pas ? » tempêta le caribou fou. « Bien sûr que si, dit le cercle rouge. Je te salue, caribou fou, ex citoyen de Sirius et futur citoyen de Pluton. » « Arrggg ! hurla le caribou fou. Il est à peine arrivé qu'il me provoque déjà ! Foutue figure géométrique de mes deux ! » Puis il se calma en voyant le cercle rouge se livrer à des ondulations d'évidente gausserie. « Bonjour, cercle rouge, dit-il dignement. Ma majesté soit avec toi ! » « Et que mes « ' » 'eviennent ! » ajouta Gudule. « Amen, termina le cercle rouge. Bon, c'est fini, ces stupidités ? Pourquoi m'as-tu fait revenir ? »

(Le couple infernal a finalement mis sa menace à exécution : le cercle rouge est revenu, et il a une bonne longueur d'avance sur nos amis. Le Masque de fer est dans une situation critique ; les héros pourront-ils intervenir à temps ? N'est-il pas trop tard ? Comment vont-ils pouvoir affronter le cercle rouge maintenant que l'arme marsupilanienne est inefficace ? Le pouvoir des M fonctionne-t-il encore, depuis le temps ?... Pouce, on réfléchit.)