Vaincre Hitler ?

Publié le 19 mai 2009 par Anom Yme
"Vaincre Hitler" d'Avraham Burg
Fayard /
306 p.

Il faut l'avouer, la critique l'avait précédé. Sorti en 2007 en Israël, peu de personnes n'ont pu entendre un vent de polémique souffler dès que l'on prononçait le nom de Burg, le titre de son ouvrage, ou encore même le mot Shoah.
C'est certain, ce livre est une sorte de bombe, de mise à nu de tout un pan de l'histoire de l'homme, du peuple juif et de l'état d'Israël. Ne nous leurrons pourtant pas, cet ouvrage est loin d'être une Bible (même si l'auteur aime à se prendre des allures de philosophe-théoricien de temps à autres). L'ouvrage reste personnel, fruit d'analyses, d'observations, de tentatives de compréhension d'un seul homme, le tout au vu de l'Histoire.
Mais ce qui fait probablement 'mal' dans ce livre, ce n'est pas que ce soit une critique du sionisme, de l'évolution de la société israélienne ou encore de la mentalité israélienne elle-même ; mais plus que ce livre ai été écrit par Avraham Burg, ancien sioniste affiché, ancien vice-président du Congrès juif mondial ou de l'Agence juive et du Mouvement sioniste mondial, et surtout ancien président de la Knesset.
Exit les « illuminés », « antisémites » et autres « fous ».
Initialement appelé « Le Triomphe d'Hitler », Avraham Burg, dans un « élan d'optimisme » a préféré le nommer « Vaincre Hitler », partant du principe que la société israélienne n'est pas totalement aliéné et que la 'victoire' reste encore possible face à cet ennemi enterré depuis plusieurs décennies.
Si certaines contradictions se font dans le livre (sur Ahmadinejad par exemple) et si l'on se perd quelques fois dans le raisonnement de l'auteur, on peut noter que l'usage de la réflexion mélangée avec des faits biographiques ou historiques portent l'histoire. Ce texte n'est donc pas seulement une pensée, une tentative de réflexion brute. La division en dix chapitres le montre bien.
Et si tout y passe, de Péres à Rabin, de Kennedy à Bush ; deux faits reviennent principalement, comme lancinants : la Shoah et le procès Eichmann.
La première est indissociable du peuple juif. Burg le sais, le clame, mais ne peut s'empêcher de dénoncer corps et âme cette banalisation du terme, ces voyages de tous les enfants dans les camps de la mort, cette manière qu'a le peuple juif de se retrancher derrière cette part horrible de l'histoire. Les propos sont crus, frontaux : « On dit souvent qu'un enfant maltraité deviendra un enfant maltraitant. [...] En s'armant jusqu'aux dents, Israël s'apparente à un enfant chétif qui chercherait à se protéger de ses ennemis, réel ou imaginaire [...] La Shoah fait partie de notre vie, on ne l'oubliera jamais et on ne laissera personne l'oublier. [...] Face à la Shoah, tout est insignifiant, néant, et donc permis. Barrages, encerclements, sièges, tueries : tout est possible, puisque nous avons survécus à la Shoah, et surtout... qu'on ne nous fasse pas la morale ! »
Le procès Eichmann a aussi fortement marqué l'auteur, qui se tient à analyser du mieux possible son impact sur la société et les mentalités israéliennes : "Le procès Eichmann a fait l'objet d'innombrables commentaire. On a évoqué sa dimension théâtrale ainsi que le rôle de Ben Gourion dans cette mise en scène politique et historique [...] Ainsi, sous une étroite surveillance politique et sous couvert sioniste, a été racontée l'histoire telle qu'on voulait nous la faire entendre. Les quelques opinions divergentes, comme celle d'Hannah Arendt, venue couvrir le procès pour un magazine américain, ont été étouffées et éloignées. Arendt n'a pas hésité à démasquer le 'spectacle' de Ben Gourion ce qui lui a valu d'être vivement attaquée et rejetée."
Pour résumer quelque peu cet ouvrage, on peut dire qu'il est indispensable pour quiconque souhaite comprendre la mentalité israélienne. Non pas que ce soit 'la référence' mais une vraie vision alternative à lire, analyse et point de vue qui pousse à la réflexion ; qui plus que Avraham Burg n'est pas n'importe qui, et qu'on ne pourrait, au même tire que Bishara ou Pappé, le taxer de révisionniste ou autre adjectif généralement utilisé dans les cas de sortie de livre de cette manière.
Et même si tout ne doit pas être pris à la lettre, au mot près ; et même si certaines pensées sont plus que discutables, il n'empêche que ce livre a bien sa place dans une bibliothèque.
Le débat n'est en tout cas pas prêt de se terminer et c'est ce qui est relativement intéressant : pousser les gens, les esprits à se questionner, cogiter, tenter de comprendre et se poser certaines question ; encore et toujours. Et c'est ce point qui m'a le plus marqué dans l'ouvrage : poser les questions qui font mal. Et comme l'écrit Jean Christophe Ploquin pour La Croix lors de la chronique du livre :
"En Israël, les ondes de choc provoquées par cet essai ont duré plusieurs semaines.
Mais il est trop tôt selon l’auteur pour analyser son impact.
«C’est un livre pour les dix ans qui viennent, considère-t-il. Moi qui ai été si longtemps l’homme du consensus, j’ai produit cette fois une opinion très minoritaire. C’est très important, car les minorités d’aujourd’hui font les majorités de demain.»" Attendons donc...
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Note initialement publiée le 12/04/08

Pour aller plus loin :
- "Avraham Burg compare Israël à l'Allemagne d'avant 1933" sur Europalestine
- "The end of Zionism" par Avraham Burg sur The Guardian