"Looking for Mr Goodbar" ("A La recherche de Mr Goodbar") : l'agonie des seventies

Par Vierasouto

C’est le film culte par excellence, daté, démodé et hors mode, anachronique et universel, plombé des dernières années de la révolution sexuelle préfigurant les futures années 80. Opaque et sombre, le plus souvent filmé dans une semi-pénombre verdâtre, sans espoir. Des intérieurs saturés de lumière artificielle et d'ombres, des corps emmêlés dans le noir, des journées livides d'hiver, des néons rouges dans les quartiers chauds, des atmosphères enfumées dans les bars. L'image du film, à elle-seule, est oppressante, nauséeuse, la BO obsédante, avec des morceaux allant du free jazz au leit-motiv de la musique disco de Donna Summer et Diana Ross.


Après la rupture avec Martin, son prof de lettres et premier homme de sa vie, macho et brutal, qu’elle s’imagine aimer quand il lui appris la jouissance, Theresa Dunn (Diane Keaton), professeur pour enfants malentendants le jour, se perd la nuit dans les bars de San Francisco à la recherche d’un plaisir sans visage.

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Le film juxtapose les scènes de Theresa à l’école avec sa classe d’élèves malentendants, dont la petite Amy, sourde et muette, qu’elle va prendre en charge, et les scènes de Theresa la nuit buvant un verre au comptoir d’un bar à la recherche d’un homme de passage. La correspondance est appuyée par la mise en scène, surlignant la double vie de Theresa : le jour, la vertu, la restauration du corps des autres, de la parole des enfants handicapés, la nuit, le vice, la recherche effrénée du plaisir jusqu’à l’avilissement de son propre corps, l’envers du décor.


L’enfance de Theresa la condamne : marquée au fer rouge par une scoliose invalidante et des manipulations traumatisantes dans les hôpitaux, une maladie congénitale niée par son père qui la fait soigner pour une polio et l’expose dans le salon emmurée dans un plâtre qui lui enserre tout le corps, la petite fille de 8 ans apprend la souffrance et le martyre du corps. Les images de cette période cauchemardesque sont montrées au début du film, filmées en noir et blanc et de manière stroboscopique, comme la fin du film…


Le père de Theresa, homme tyrannique et borné, catholique intégriste, féru de plaisanteries niaises et de jeux télévisés (la télévision est allumée en permanence, assourdissante, dans la maison des parents de Theresa), n’aime que sa fille Katherine, une beauté blonde qu’il considère comme une perfection issue des ses gênes ayant échappé à la scoliose atavique familiale.


Les rapports entre les deux sœurs sont la seule relation humaine du film. Car la ravissante Katherine, hôtesse de l’air déprimée à la vie dissolue, qui affole tous les hommes et son père en premier, est la seule à comprendre que la perfection, humainement parlant, la martyre, c’est Theresa. Au début du film, Katherine dit à Theresa que cette dernière sait bien qu’elle ne vaut rien… En croyant aider Theresa à s’émanciper, en lui faisant louer un appartement dans son immeuble par un des ses amants fortunés, Katherine, totalement frivole, trop occupée à s’étourdir de sexualité de groupe, d’avortements répétés et de drogues, va pourtant fournir un cadre matériel sur mesure à la perte de Theresa.


Au bout de 45 mn, il arrive… Richard Gere au sommet de son art et de sa séduction, dans un des ses meilleurs rôles (avec "American gigolo" et le remake tant contesté d'"A Bout de souffle") : Tony Lo Porto… Dans le bar devenu le QG de Theresa, un gigolo surexcité, qui tambourine avec ses poings sur le comptoir, s’approche d’elle pour lui proposer une nuit avec lui, se présentant comme le meilleur coup sur la place… Il disparaît avec une blonde à son bras… Quelques semaines plus tard, il réapparaît dans le même bar «Looking for me?» (la phrase choc prononcée par Richard Gere…) Géniale composition de Richard Gere/Tony, bad boy fauché sorti de nulle part, lunettes noires et imper mastic pour sortir en pleine nuit ou dansant frénétiquement en slip bleu marine dans l'appartement de Theresa, entre hystérie et violence...


S’en suit une liaison violente bien qu’épisodique entre le prof déluré et le voyou sans vergogne qui débarque chez Theresa à l’improviste en forçant la serrure de son appartement. Tony disparu qui la maintenait dans une sorte de relation à deux, si improbable soit-elle, Theresa va plonger : hantant les boites toutes les nuits, fréquentant les dealers et ramenant chez elle n’importe quel cave, la nuit a pris le pouvoir sur le jour et ses activités professionnelles. Et surtout, le référentiel de Theresa a changé : James, jeune homme beau, bien élevé et respectueux, amoureux d’elle et adoubé par son père, l’assomme et la rend cruelle, elle l’éconduit, se moque de lui comme on s’est moqué d’elle (anachronisme de la scène où elle le tourne en ridicule quand il utilise un préservatif, les années avant le sida..). Quand, après des semaines, Tony revient profiter d’elle, elle le vire. Theresa ne veut plus d’amour, comme elle croyait l’espérer avec son prof de fac, comme elle le ressentait vaguement pour Tony. A présent, Theresa veut seulement du plaisir et au delà, la recherche inconsciente du martyre du corps jamais satisfait… Theresa chasse à présent les hommes de son lit en pleine nuit pour avoir la paix. C’est ce qui va la perdre, cette sous-estimation de la névrose et de la susceptibilité de l’autre, ce rire pour les jeter dehors de façon ludique, cette absence totale d’intérêt pour eux malgré sa gentillesse naturelle. Un soir de réveillon, Theresa rencontre dans un bar un jeune homme ambigu qui vient de plaquer son amant en larmes, elle l’accoste pour échapper à James qui l’ennuie, le type ressemble un peu à Tony…


L’analyse de la société middle class américaine est d’une dureté qu’on retrouve par exemple ensuite dans
«Crimes of passion» (1984) de Ken Russel(lire la critique du film...), un film proche par le sujet et le traitement du sujet avec une héroïne menant une double vie et un cauchemar climatisé sans retour. La télévision omniprésente dans l’appartement des parents de Theresa, les lugubres nuits de fêtes, de Noël et de réveillon du nouvel an (étrangement, le film se passe pendant les fêtes de 75, 76, 77), l’hyper-consommation de tout, des gens et des choses. C’est un film plus noir que noir où les libertés aliènent, où les familles démolissent, où la communication est coupée, où la nuit n’en finit plus… La dernière scène du film est très dure à supporter, cela fait n fois que je vois ce film et je n’ai jamais pu la regarder en entier, et d’ailleurs, la mise en scène va dans ce sens…


Richard Gere et Diane Keaton

Backstage :

Tiré d'un roman à succès de Judith Rossner, qui partait d'un fait divers d'une jeune femme de 27 ans retrouvée assassinée dans son appartement de New York, les critiques cinéma de l'époque ont pointé que Richard Brooks n'avait pas affiché clairement les penchants masochistes de Theresa comme dans le livre (que je n'ai pas lu personnellement) et pourtant, la démarche autodestructrice de Theresa ne fait pas de doute...

Quand Richard Brooks engage Diane Keaton qui tourne quasiment au même moment "Annie Hall" de Woody Allen (elle obtiendra l'Oscar), il lui donne un parfait contre-emploi, elle va s'en tirer au delà de ses espérances... Par ailleurs, la réputation du futur total séducteur des années 80 Richard Gere étant à l'époque passablement sulfureuse (il n'était pas encore converti au boudhisme), le réalisateur le prévient de ne pas brusquer la sage Diane Keaton...

Note CinéManiaC : 5/5*